Abstracts
Résumé
La recherche empirique sur la problématique de la discrimination génétique (DG) au Québec est généralement limitée. À ce titre, cette étude vise, au moyen d’une méthodologie qualitative, à explorer et à recueillir les opinions, les expériences et les connaissances des Québécois à l’égard de la DG. En concordance avec les objectifs exploratoires de cette étude, nous avons choisi l’approche du forum en ligne afin de pouvoir extraire des données qualitatives représentant le plus fidèlement possible les perspectives du public québécois sur différents thèmes touchant la DG. L’expérience du forum indique que des craintes tangibles existent par rapport à la DG au Québec, et que s’exprime le besoin d’un débat de société sur cet important enjeu faisant partie intégrante de la révolution génétique et des soins de santé personnalisés.
Abstract
Empirical research regarding genetic discrimination (GD) in the province of Quebec is largely limited. As such, this study aims, through a qualitative methodology, to explore and collect the opinions, experiences and knowledge of Quebecers regarding GD. In accordance with the exploratory objectives of this study, we chose the online forum approach as a means to extract qualitative data that would most accurately represent the perspectives of the Quebec public on various themes relating to GD. Participants’ comments on the forum indicate that there are tangible fears concerning DG in Quebec as well as a need for social debate on this important issue, as an integral part of the genetic revolution and personalized healthcare.
Article body
INTRODUCTION
Le séquençage du génome humain a considérablement accéléré le rythme de la recherche génétique et biologique [1]. Grâce au progrès de la génomique, l’étude purement scientifique du génome humain est en pleine transition vers une recherche clinique axée sur les soins de santé personnalisés [2]. Le secteur évolutif de la génomique promet non seulement une médecine plus personnalisée, mais des modèles de prévision des risques plus élaborés et des traitements pharmacologiques plus efficaces des maladies en fonction des caractéristiques génétiques des patients [3,4].
En dehors du contexte médical et scientifique, il est possible que l’information génétique puisse être utilisée arbitrairement contre les intérêts d’un individu, ce qui peut ainsi engendrer de la discrimination et susciter des préjudices sociaux, économiques et psychologiques chez les personnes qui en sont victimes [5]. La discrimination génétique (ici après DG) se manifeste lorsqu’un individu est profilé abusivement ou traité négativement sur la base de ses caractéristiques génétiques (présumées ou avérées) [6]. La DG peut donner lieu à des pratiques qui excluent certains segments de la population de l’accès aux biens sociaux de base, notamment les soins de santé, l’assurance, le logement, la liberté de reproduction et l’emploi. Depuis plusieurs années, la DG a suscité diverses craintes et discussions, notamment dans les contextes de l’assurance et de l’emploi [7–9]. Le secteur des assurances, par exemple, a utilisé des informations génétiques pour sélectionner les candidats et déterminer les primes d’assurance [10].
À la suite de l’expression des préoccupations croissantes du public et de la médiatisation du phénomène de la DG, divers pays, tels les États-Unis, le Mexique, la Corée du Sud de même que de nombreux pays européens, ont légiféré pour prévenir la DG [3]. Un des objectifs principaux de ces approches législatives est de tenter de limiter le risque que les personnes qui pourraient bénéficier des tests génétiques évitent ces nouvelles technologies en raison de la crainte de possibles répercussions sur le plan de l’assurance ou dans le domaine de l’emploi [11]. Le Parlement du Canada a adopté en mai 2017 le projet de loi S-201, Loi sur la non-discrimination génétique (LNDG), avec pour objectif de prévenir la DG au Canada. La portée de l’information génétique protégée par la LNDG se limite toutefois aux résultats de tests génétiques[1] [12, art. 2]. Par exemple, la LNDG n’interdit pas aux assureurs de poser des questions sur les antécédents médicaux familiaux d’une personne qui désire souscrire une assurance privée [13,14]. Malgré la réception généralement positive à l’égard de la nouvelle loi par les professionnels de la santé et certaines associations de patients [15], des questions demeurent quant à son applicabilité, sa constitutionnalité et la façon dont la DG est perçue et comprise par le public [16].
La plupart des études sur la DG au Canada proviennent des provinces canadiennes anglophones et se concentrent sur des contextes particuliers, notamment l’accès à l’assurance vie pour des individus à risque de développer la maladie de Huntington [3,17–20]. Seulement certaines de ces études empiriques de grande envergure incluent un nombre limité de participants provenant du Québec [17,21]. Une étude qualitative explorant la perception et la connaissance de la DG en assurance au Québec s’est concentrée sur un petit groupe de participantes à la recherche sur le cancer du sein et de décideurs dans le système de santé [22]. La présente étude vise, au moyen d’une méthodologie qualitative, soit le forum en ligne, à explorer les perceptions et les connaissances du public québécois concernant les enjeux éthiques, sociaux et légaux associés à la DG.
Dans la dernière décennie, les communications via des sites Internet ont largement été intégrées dans la vie quotidienne des citoyens et constituent maintenant un espace commun particulièrement propice à la discussion sur des questions de politiques publiques [23]. Les forums en ligne constituent une méthodologie de recherche qualitative bien adaptée pour faire participer le public, recueillir et explorer ses points de vue [24]. Les forums en ligne offrent plusieurs avantages pour les études qualitatives : le ciblage de différents types de population provenant de différents lieux géographiques; la possibilité d’interactions asynchrones entre les participants; l’anonymat des participants qui contribue à favoriser des interactions honnêtes et spontanées; et le recrutement de participants qui ont de la difficulté à s’exprimer, mais qui veulent contribuer aux discussions et aux débats publics [25–27].
La théorie de la démocratie délibérative, développée par le philosophe Habermas, met l’accent sur un processus délibératif, impliquant des délibérations argumentées entre citoyens, en tant que processus pouvant fonder des politiques publiques légitimes et rationnelles [28,29]. Outre le débat politique qui prit place lors de l’adoption de la LNDG par le Parlement du Canada en mai 2017, il n’y a pas eu de véritable débat impliquant le public sur la question de la DG et de l’utilisation et la confidentialité de l’information génétique. Dans un contexte où la génétique devient de plus en plus intégrée dans les soins de santé personnalisés, mais aussi dans un contexte non médical (p. ex. assurances et emploi), l’adoption de politiques publiques légitimes sur les enjeux liés à l’information génétique pourrait se faire davantage en considération du bien commun des citoyens et du pluralisme dans la société canadienne. Le battage médiatique entourant l’adoption de la LNDG et l’invalidation de celle-ci par la Cour d’appel du Québec en décembre 2018 a créé une occasion favorable à un débat sur l’utilisation de l’information génétique qui devrait impliquer le public [16,30].
En concordance avec les objectifs exploratoires de cette étude, et afin de pouvoir extraire des données riches représentant le plus fidèlement possible les perspectives du public québécois concernant la DG, nous avons choisi l’approche du forum en ligne qui permet à la fois d’informer les participants et d’analyser leurs commentaires écrits sur différents thèmes touchant la DG. Notre étude vise à collecter les commentaires des participants à un forum en ligne et à les analyser en poursuivant les 2 sous-objectifs suivants : 1) extraire les thèmes liés à la DG, notamment ceux portant sur les perceptions, les craintes et les connaissances, et 2) évaluer la qualité des échanges afin de déterminer si les commentaires du forum répondent à certains critères pouvant aider à déterminer si les discussions constituent un processus délibératif.
MÉTHODOLOGIE
Contexte du forum
Le forum a initialement été créé à l’aide du service Discourse [31], une plateforme open source permettant des discussions en ligne. Ce forum a été hébergé sur la première version de la plateforme de l’Observatoire de la discrimination génétique (ODG) qui avait pour rôle de donner accès au public et aux participants à de l’information générale, de type Foire aux questions (FAQ), et à de l’information sur les différentes approches pour prévenir la DG au Canada. Au moment du forum, l’ODG était financé par des fonds de recherche du Réseau de médecine génétique appliquée (RMGA) et incluait déjà un comité consultatif chargé d’appliquer une politique sur les conflits d’intérêts. En 2020, l’ODG est devenu un observatoire international incluant à la fois une plateforme de communication et d’information sur la DG ainsi qu’un réseau unique de chercheurs se consacrant à la recherche sur la discrimination fondée sur la génétique/génomique et autres données prédictives de santé [32,33].
Déroulement du forum Discourse
Les activités de recherche sur la première version du forum, le forum Discourse, se sont déroulées comme suit : après s’être inscrits et avoir répondu à des questions démographiques non identifiantes, les participants étaient invités à donner leurs opinions après avoir lu un texte sur un thème prédéterminé et à commenter des questions ou d’autres commentaires livrés par le modérateur ou des participants. Ces textes et les questions qui les accompagnaient ont été adaptés pour le grand public et sélectionnés pour leur capacité à lancer des discussions sur le forum. Jusqu’à 2 ou 3 articles ont été affichés séquentiellement pendant la durée du forum afin de maintenir les discussions en cours.
Préalablement à la mise en ligne du forum, un comité d’experts multidisciplinaire de 4 à 7 membres (le comité consultatif), comprenant au minimum un représentant d’association de patients, avait pour fonction d’approuver les textes et les questions à être affichés sur le forum afin d’amorcer et de maintenir les échanges en ligne. Ce comité consultatif avait aussi la possibilité de surveiller la bonne conduite des discussions qui avaient lieu sur le forum.
Un chercheur spécialisé dans la DG et qui s’était déjà familiarisé avec les forums en ligne a joué le rôle de modérateur. Deux autres membres de l’équipe de recherche ont aidé à la modération sur le forum. Le modérateur était responsable d’afficher les textes et les questions présélectionnés, de s’assurer que les directives soient respectées, de vérifier la pertinence et le contenu des commentaires affichés et d’évaluer quand un sujet particulier avait atteint la saturation des données.
Le forum Discourse se déroula du 28 juin au 16 aout 2018, période à la fin de laquelle nous avons observé une saturation des données (figure 1).
Évolution vers le forum ODG
À l’aide des outils mis à notre disposition par Google Analytics, un service qui permet l’analyse et le suivi de pages web, nous avons constaté que durant le forum Discourse, peu de visiteurs se sont inscrits (n=9) et que la plupart (plus de 80%) utilisaient des petits appareils connectés tels des téléphones cellulaires et tablettes rendant la lecture des textes informatifs et la participation plus difficile. Le forum a été mis en pause du 16 aout au 28 septembre 2018, le temps d’apporter des changements à la plateforme en ligne et au contenu afin d’augmenter la participation du public (figure 1).
Tout d’abord, nous avons délaissé la plateforme Discourse pour en créer une sur mesure dans le but de faciliter la participation à partir de n’importe quel type d’appareils connectés (p. ex. ordinateurs de bureau, téléphones cellulaires, tablettes électroniques). Sur cette nouvelle plateforme, la DG était abordée en fonction des mêmes quatre sous-thèmes que dans le forum Discourse: le phénomène de la DG; la crainte de la DG; les protections contre la DG; et s’informer sur la DG. Chacun de ces sous-thèmes incluait un mélange de questions fermées et de questions ouvertes ne requérant aucune lecture préalable de textes. Selon leurs intérêts, les participants avaient le choix de passer de l’un à l’autre des thèmes proposés à tout moment.
Dans cette nouvelle version (ici après le forum ODG), les participants devaient, comme pour le forum Discourse, répondre à des questions démographiques lors de l’inscription et créer un nom d’utilisateur non identifiant. Les échanges ont été également supervisés par le comité consultatif ainsi que par 2 modérateurs. Le forum ODG a été mis en ligne le 28 septembre 2018 et s’est terminé le 31 janvier 2019 (figure 1).
Recrutement de participants pour les forums Discourse et ODG
Notre stratégie de recrutement visait toute personne de 18 ans et plus résidant au Québec et pouvant comprendre et s’exprimer en français. Les participants avaient toutefois la possibilité de s’exprimer en anglais. Nous avons procédé à plusieurs types de campagnes publicitaires dont l’objectif était de présenter le projet afin de recruter environ 50 participants. Ces campagnes publicitaires ont inclus les stratégies suivantes:
L’achat d’espaces publicitaires imprimés et en ligne dans trois journaux populaires (Métro Montréal, Journal de Montréal, Journal de Québec);
Des campagnes de placement de publicité sur Google (par des mots-clés) et Facebook (en fonction des intérêts des usagers);
La diffusion d’invitations et d’informations sur les forums au sein de notre réseau de collaborateurs;
La diffusion de nouvelles à travers des groupes et associations de patients du Québec.
Pour plus de détails sur les campagnes de recrutement, consulter le tableau 1 (Stratégies de recrutement). Sans être strictement identiques, les campagnes publicitaires des forums Discourse et ODG ont fait usage de stratégies similaires, à l’exception du forum ODG, pour lequel une vidéo incluant une courte présentation par un chercheur a été intégrée sur la page d’accueil du forum.
Cette étude a été approuvée par le Comité de recherche éthique de la Faculté de Médecine de l’Université McGill (Montréal, Canada) et a été exemptée de l’obligation d’obtenir un consentement éclairé des participants.
Collecte et analyse des commentaires
Le premier des deux sous-objectifs est d’évaluer le contenu des échanges et commentaires des participants afin d’en dégager les thèmes, notamment ceux portant sur les perceptions, les craintes et les connaissances liées à la DG. Pour ce faire, les données et les notes de codage ont été collectées, organisées et analysées à l’aide du logiciel de recherche qualitative NVivo [34], qui permet un suivi rigoureux du processus de recherche. Trois chercheurs (GD, MP, YJ) ont analysé le contenu des discussions des participants. Nous avons utilisé une procédure d’analyse à la fois inductive et déductive pour repérer les thèmes et les modèles de rapports dans les données qualitatives. Les premiers résultats ont été organisés en codes thématiques. Ces résultats initiaux ont montré l’émergence des mêmes thèmes à partir des forums Discourse et ODG, ce qui nous a conduits à analyser les commentaires des deux forums comme un seul ensemble de données. Des stratégies mixtes ont ensuite été utilisées pour coder les données, y compris des codes prédéterminés élaborés à partir d’une conception théorique établie dans une étude précédente sur la DG [22] et de nouveaux codes qui se sont matérialisés de façon empirique à partir des données de la présente étude. Deux chercheurs (GD, MP) ont codé indépendamment l’ensemble des discussions à l’aide d’un guide des thèmes codés (tableau 2) et les différences ont été résolues de façon consensuelle par l’ensemble de l’équipe (GD, MP, YJ).
Évaluation de la qualité des échanges délibératifs
Par son second sous-objectif – évaluer la qualité des échanges sur le forum afin de déterminer si ceux-ci répondent à certains critères pouvant aider à déterminer s’ils constituent un processus délibératif – notre recherche vise à réduire l’écart entre la théorie et la pratique sur les échanges délibératifs prenant part dans les deux forums. Plusieurs auteurs ont suggéré des critères pouvant servir d’indicateurs d’un dialogue délibératif afin d’informer l’élaboration d’une politique publique [35–37]. Dans le cadre de cette étude, nous avons utilisé cette approche afin de comparer la qualité des discussions s’étant déroulées dans les forums Discourse et ODG.
Un guide des critères d’un processus délibératif (consulter le tableau 3) a été adapté de la littérature sur les échanges délibératifs [36,37]. Ce guide présente en détail les définitions et les valeurs numériques correspondantes que nous avons utilisées pour l’évaluation de chaque commentaire dans le contexte des deux forums. Le contenu des commentaires a été codé numériquement pour la présence d’une argumentation raisonnée, le respect du sujet discuté, l’inclusion de sources d’information connexes, l’engagement dans un processus délibératif, la présence d’un accord ou d’un désaccord avec l’argumentation d’un ou d’autre(s) participant(s) et le respect du droit de parole des autres participants. La somme des valeurs numériques attribuées pour chaque élément d’un dialogue délibératif a été transformée en un indice (voir la Figure 2 dans la section Résultats et Discussion : dans la section Processus délibératif). Ces indices sont utilisés pour comparer les critères sélectionnés à travers les forums Discourse et ODG. Aucun seuil à atteindre n’a été prédéterminé. Les indices permettent de suivre les tendances entre les forums.
RÉSULTATS ET DISCUSSION
Démographie
Un total de 50 personnes se sont inscrites aux forums Discourse (n=9) et ODG (n=41). Étant donné le petit nombre de participants aux deux forums, les données démographiques ne se prêtent pas à une analyse statistique comparative. Pour cette raison, notre analyse ne porte en ce domaine que sur les tendances démographiques observées à partir de l’ensemble des participants. Les données démographiques concernant chacun des forums sont incluses dans le tableau 5. Pour les 2 forums combinés, 30 personnes inscrites résidaient dans la région de Montréal, 7 dans la région de Québec et 13 dans d’autres régions de la province. L’âge de 24 des répondants se situe entre 36 et 55 ans, suivis de 18 personnes dont la tranche d’âge est 18 à 35 ans, et enfin, 8 personnes inscrites âgées de 56 ans et plus. Les 2 forums ont rassemblé plus de femmes (n=33) que d’hommes (n=17). Enfin, la plupart des participants étaient des diplômés de niveau universitaire (n=38), suivis de ceux ayant obtenu un diplôme d’études collégiales (n=10) et de quelques participants avec un diplôme d’études secondaires (n=2). Les données démographiques montrent que le niveau d’éducation de notre échantillon de participants aux 2 forums est supérieur à celui observé dans la population canadienne. En effet, 96% de nos participants avaient atteint un diplôme d’études collégiales ou universitaires, en comparaison à la moyenne canadienne en 2016 qui est de 54% pour la tranche d’âge de 25 à 64 ans [38].
Participation aux forums
Les deux forums n’ont pas eu le succès escompté sur le plan de la participation du public. Seulement 6 personnes sur les 9 inscrites au forum Discourse ont participé activement, alors que pour le forum ODG, 9 personnes sur les 41 inscrites ont participé. La plupart des participants ont contribué aux deux forums au cours d’une session seulement, mais certains sont revenus à une ou plusieurs date(s) ultérieure(s) pour y inscrire de nouveaux commentaires (forum Discourse, n=2; forum ODG, n=3). Une majorité de participants inscrits du forum ODG ne sont pas retournés participer par la suite.
La difficulté d’utilisation de la plateforme Discourse avec un téléphone cellulaire ou une tablette électronique a possiblement contribué à la faible participation à ce forum. À moins de télécharger l’application pour appareils connectés Discourse Hub [39], la visualisation de la page du forum n’était pas aisée sur les téléphones cellulaires et tablettes électroniques. Il est possible que les changements de plateforme et d’approche sous le forum ODG aient eu un effet positif sur la participation : les 9 participants actifs du forum ODG ont donné 49 réponses à des questions fermées et écrit 29 commentaires comparativement aux 8 commentaires des 6 participants actifs du forum Discourse.
Outre les difficultés techniques rencontrées, il est possible qu’un obstacle majeur à la participation aux deux forums soit le manque de connaissance et d’intérêt préalables sur la DG pour la plupart des personnes inscrites. Trois des participants du forum Discourse commentent sur la DG et la confidentialité de l’information génétique dans le contexte de leur profession dans le domaine de la santé (n=2) ou de leur emploi pour le gouvernement (n=1), ce qui laisse croire que ces personnes ont possiblement un niveau d’expertise sur l’information génétique bien au-delà de celui du public en général. Dans l’extrait de commentaire suivant, un participant semble parler de sa profession dans le domaine de la génétique :
Peuvent-ils comprendre la signification d’un variant dans un gène dont la signification n’est pas claire? Les compagnies doivent se doter de personnes aptes à interpréter ces résultats, mais d’un autre côté, il est possible que peu de professionnels de la santé spécialisés en génétique souhaitent travailler dans ces compagnies, car discriminer ne fait généralement pas partie de nos valeurs en tant que personnes oeuvrant en génétique.
forum Discourse
Il est également possible que le protocole du forum Discourse, qui requérait une lecture de textes préalablement à l’inscription d’un commentaire, ainsi qu’un manque de connaissance général des participants concernant la génétique et la DG aient potentiellement été des facteurs intimidants contribuant à la faible participation. Cette situation a pu également être exacerbée par la participation d’« experts » ou de professionnels de la santé étant déjà familiarisés avec la DG. Des auteurs ont observé que le processus délibératif peut devenir moins inclusif s’il existe des inégalités d’information entre les participants [40,41]. Une autre étude mentionne que les participants à des forums en ligne tendent à s’engager dans des discussions qui affectent davantage leur quotidien [42]. À ce titre, le manque de connaissances des participants sur les enjeux de la DG pourrait en avoir désintéressé plusieurs une fois qu’ils arrivaient sur la page interactive du forum, après leur inscription. Ce contexte pourrait expliquer pourquoi seulement 9 des 41 personnes inscrites au forum ODG ont participé et que certaines questions fermées de ce forum soient restées sans réponse. Par exemple, personne n’a répondu à la question suivante du modérateur : « Selon vous, est-ce que la discrimination génétique est (ou pourrait devenir) un problème au Québec[2]? » Lorsque les participants se font poser la question : « Avant votre arrivée sur ce Forum, aviez-vous déjà entendu parler de la problématique de la discrimination génétique[3]? », seulement 3 des 7 répondants disent « oui ». Un participant ajoute:
J’ignorais que la discrimination génétique devenait en 2018 un enjeu aussi important.
forum ODG
Ces difficultés de recrutement et de participation aux deux forums donnent à penser qu’il peut être difficile d’engager le public sur un sujet spécialisé comme la DG, lequel, possiblement, favorise la participation d’une sélection d’individus déjà informés et concernés par la question. Ces résultats nous font croire qu’une campagne d’information sur la DG ciblant le public pourrait augmenter la participation à un forum en ligne tenu ultérieurement.
Analyse thématique
Dans cette sous-section, les thèmes et les sous-thèmes de l’analyse qualitative sont présentés et mis en contexte dans une discussion intégrée à la fin de chaque thème. Les résultats présentés dans le texte incluent des références à un identifiant unique en lien avec des extraits de commentaires insérés dans le tableau 4.
Assurance
Parmi les commentaires des deux forums, 6 étaient pertinents au thème de l’assurance. Les participants ont notamment parlé : 1) de leurs craintes sur les pratiques des assureurs (n=5 commentaires); et 2) de facteurs atténuants (n=1 commentaire) (voir le tableau 4 : Assurance).
Il y avait dans les commentaires une préoccupation manifeste sur les pratiques des assureurs au sujet de la possibilité que l’industrie de l’assurance se serve de renseignements médicaux, incluant l’information génétique, pour exclure certaines personnes de l’admissibilité à une assurance ou pour augmenter la prime quand la couverture semble présenter un risque plus élevé (tableau 4 : #1). Cette préoccupation est confirmée par 3 des 8 des participants qui ont répondu oui à la question, « avez-vous (ou un membre de votre famille) déjà eu des difficultés à obtenir ou renouveler un contrat d’assurance sur la base de vos (ou de leurs) caractéristiques génétiques autres qu’une condition médicale préexistante[4]? ». Un commentaire en particulier exprime des préoccupations au sujet des connaissances de l’industrie de l’assurance en matière de génétique et de la possibilité d’une interprétation erronée de l’information génétique pour l’évaluation du risque à assurer (tableau 4 : #2). Par ailleurs, un autre commentaire exprime la crainte que les assureurs ne soient pas en mesure de comprendre les analyses génétiques et qu’ils ne peuvent faire la distinction entre les porteurs de mutations génétiques et les personnes atteintes d’une maladie génétique (tableau 4 : #3).
Un autre participant craint que des facteurs atténuant les résultats génétiques ne soient pas pris en considération par les assureurs. Il fait la remarque qu’un test génétique prédictif d’un risque de développer une maladie ne devrait pas toujours impliquer un effet négatif sur le plan des assurances (tableau 4 : #4). Si le risque pour la santé est sérieux, l’individu devrait normalement être suivi par le système de santé, ce qui aurait comme conséquence possible de prévenir le risque qu’il développe une telle condition pouvant déclencher la possibilité d’une réclamation à un assureur. Ainsi, l’évaluation du risque en assurance devrait considérer le contexte global de la personne ainsi que les facteurs atténuants, notamment le suivi médical de l’individu concerné.
Le thème de l’assurance personnelle dans le contexte de la DG est le plus souvent cité [7–9]. Dans le contexte d’une étude commandée par le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada menée en 2018-2019 auprès des Canadiens sur des questions liées à la protection de la vie privée, 83 % des participants ont exprimé des craintes de passer un test génétique et 37% ont des préoccupations importantes au sujet des tests génétiques et de la vie privée [43]. Au Québec, dans le contexte de l’information génétique obtenue dans un programme de recherche sur le cancer du sein, la majorité d’une cohorte de femmes avait exprimé des craintes à passer des tests génétiques en raison des possibles répercussions sur la possibilité d’obtenir une assurance personnelle [22].
En résumé, il semble qu’il existe un climat de méfiance envers l’industrie de l’assurance, qui ne concernerait pas seulement les utilisations possibles de l’information génétique mais, de façon plus générale, les pratiques de cette industrie. La plupart des participants ont souligné diverses craintes concernant l’assurance et la DG, et beaucoup estimaient que des moyens de prévenir la DG sont nécessaires dans le contexte de l’achat d’une assurance (voir aussi la section Protection/prévention).
Emploi
La crainte de la DG dans l’emploi est présente dans certains commentaires, lesquels peuvent être regroupés en 3 sous-thèmes émergents: 1) la crainte générale de l’utilisation des renseignements génétiques dans le cadre de l’emploi (3 commentaires); 2) la crainte que des formulaires de préembauche incitent à la divulgation de renseignements médicaux (1 commentaire); 3) le point de vue que l’information génétique ne devrait être exigée par un employeur que lorsqu’elle est pertinente à l’évaluation d’un employé ou d’un candidat pour un poste particulier requérant cette exigence (1 commentaire) (voir le tableau 4 : Emploi).
En ce qui concerne la crainte de l’utilisation des données génétiques dans l’emploi, les 3 commentaires soulèvent 3 points uniques: la question de la confidentialité de l’information génétique et de santé ; la question de l’illégalité d’exiger des informations de santé (incluant la génétique) dans le cadre du contrat d’emploi; et le refus d’employer des personnes compétentes sur la base de leurs caractéristiques génétiques (tableau 4 : #5). L’unique commentaire correspondant au deuxième sous-thème dénonce l’utilisation de formulaires de préembauche incitant les candidats à l’emploi à divulguer leurs antécédents médicaux, ce qui implique possiblement une divulgation de leur information génétique (tableau 4 : #6). Le commentaire touchant au troisième sous-thème exprime l’opinion que l’information génétique ne devrait pas être exigée dans le contexte de l’emploi, parce que cette information ne donne généralement pas d’indication sur la capacité des employés à exécuter leurs tâches (tableau 4 : #7).
Le travail est considéré comme un droit fondamental qui donne accès à de meilleures conditions de vie sur le plan tant économique que social [5]. Les participants aux forums expriment la crainte qu’en l’absence de protection de leurs renseignements génétiques, les employeurs pourraient exiger la divulgation de cette information comme condition pour obtenir ou maintenir un emploi. Par exemple, certains renseignements génétiques permettraient d’identifier les individus génétiquement prédisposés à développer une maladie professionnelle. Ne pas embaucher ces individus permettrait à un employeur de minimiser les couts liés à l’absentéisme et à sa responsabilité pour les accidents causés par des employés à risque [44]. Dans le processus d’embauche, un employeur peut demander des renseignements en apparence discriminatoire, mais uniquement si ceux-ci sont en lien avec les aptitudes ou les qualités requises pour le poste convoité et les tâches à accomplir [45]. Les craintes exprimées sur la DG dans le domaine de l’emploi par les participants indiquent possiblement que ceux-ci ne connaissent pas ou trouvent insuffisantes les protections applicables à l’emploi offertes par la LNDG: prohibition de faire subir ou d’exiger la communication de résultats de tests génétiques d’un employé ou d’un candidat à l’embauche [46, art. 3-5, 8].
Il existe peu de données factuelles documentant les pratiques de DG dans le domaine de l’emploi au Canada [7]. Toutefois, une étude dans le contexte de la maladie d’Huntington au Canada, aux États-Unis et en Australie documente la crainte de telles pratiques dans le domaine [20]. Dans une étude canadienne concernant des cas d’indemnisation de travailleurs par leur employeur, le risque de prédisposition génétique de certains travailleurs a été utilisé afin de déterminer si la causalité de maladies professionnelles était héréditaire plutôt que d’être associée à l’environnement de travail ou à la négligence de l’employeur [47]. Dans ce contexte, l’information génétique étant parfois déterminante dans l’évolution d’une maladie, il est possible que l’interprétation sur la portée de cette information puisse être exagérée et ainsi contribue à marginaliser des individus.
Information génétique
Cinq commentaires des participants faisant référence à l’information génétique se divisent en deux sous-thèmes, à savoir : 1) les autres sources d’information génétique, et 2) les limites des tests génétiques (voir tableau 4 : Information génétique).
Le sous-thème des autres sources d’information génétique comprend des commentaires qui expriment aussi l’idée que les tests génétiques ne constituent pas la seule source d’information génétique qui peut être utilisée de façon préjudiciable par des tierces parties (3 commentaires) (tableau 4 : #8). Le deuxième sous-thème, limites des tests génétiques, se réfère à la perception que les tests génétiques ne révèlent généralement qu’une faible probabilité de développer les symptômes associés à une maladie et ne peuvent que dans certains cas être utilisés pour prédire un risque significatif de développer une maladie (tableau 4 : #9).
Certains participants sont conscients du fait qu’il y a plusieurs sources d’information génétique préjudiciable et que celle-ci est plus difficile à protéger étant donné qu’elle provient d’origines multiples (p. ex. 23andMe.com, participation à un projet de recherche sur la génomique). Même si les participants n’en ont pas discuté directement, l’historique familial constitue, en plus des tests génétiques et de l’information génomique, une autre source d’information génétique pouvant prédire le développement d’une maladie à court, moyen ou long terme chez une personne asymptomatique [5]. La LNDG ayant été conçue et défendue par des groupes représentants des maladies monogéniques rares pour lesquelles il existe des tests génétiques, le Parlement du Canada a fait le choix d’omettre l’historique familial dans sa définition d’information génétique [12, art 2]. En conséquence de ce choix, certaines personnes appréhendant la DG peuvent hésiter à se prévaloir de biens sociaux telle l’assurance en raison de leurs antécédents familiaux de maladies. D’autres personnes, mal informées sur les maladies génétiques ou sur la portée limitée de la protection offerte par la loi, peuvent agir de manière imprudente qui ne sera pas propice à la réalisation de leur droit à l’égalité. Par exemple, en dévoilant leur historique familial et d’autres types d’information génétique sur les réseaux sociaux (p. ex. Ancestry.com).
De plus, les participants mettent en question la pertinence des résultats de tests génétiques pour l’évaluation du risque représenté par un individu dans le contexte de l’assurance et de l’emploi, ce risque étant perçu comme relativement peu significatif à ce stade de la connaissance scientifique, à l’exception de maladies d’origine monogéniques sévères à grande pénétrance (p. ex. maladie d’Huntington, certaines formes familiales de la maladie d’Alzheimer) [5]. Ces résultats confirment notre compréhension que certains participants ont une connaissance plus approfondie de la génétique et sont possiblement plus conscientisés sur les enjeux de la DG que la majorité de la population. Ceux-ci sont en mesure d’offrir une critique sur l’utilisation discriminatoire de l’information génétique, notamment sur les pratiques des assureurs. Sur ce point, notre analyse montre un niveau de scolarité élevé parmi les participants et des commentaires plus « informés » sur la génétique et la DG qui pourraient émaner de chercheurs en génétique, généticiens cliniques, et conseillers génétiques.
Phénomène social
Les 7 participants ayant répondu à la question sur le phénomène de la DG en parlent comme d’une problématique dont la présence est réelle et non pas mythique. Cependant, l’analyse des commentaires a permis de nuancer leur conception de la DG. Douze commentaires discutent de la DG en tant que phénomène social; nous les avons regroupés dans les trois sous-thème suivants : 1) l’enjeu social de la DG (9 commentaires); 2) la logique économique liée à la DG (2 commentaires); 3) la conception positive de la DG (1 commentaire) (voir tableau 4 : Phénomène social).
Le sous-thème enjeu social englobe des commentaires qui soulèvent des enjeux sociaux liés à la DG, par exemple utiliser les tests génétiques de façon équitable et responsable. Dans tous les cas, les participants mentionnent que ces choix devraient être faits dans le cadre d’un débat de société visant à déterminer la façon d’utiliser et de partager l’information génétique (tableau 4 : #10). Deux commentaires portent sur le deuxième sous-thème, la logique économique liée à la DG, qui traite de l’idée que certains secteurs de l’industrie (p. ex. assurances) ou des tierces parties contractuelles (p. ex. employeurs) peuvent être particulièrement enclins à banaliser les conséquences sociales de la DG en fonction de leurs propres intérêts, souvent financiers (tableau 4 : #11). Le troisième sous-thème, conception positive, exprime l’opinion que la DG est enracinée dans notre culture et qu’elle est justifiable en fonction de ses effets sélectifs et positifs sur le bassin de gènes de la société, contribuant ainsi à éliminer les maladies génétiques.
Les thèmes abordés par les participants illustrent quelques-unes des nombreuses implications, facettes et pratiques sociales de la DG recensées dans la littérature [48], lesquelles varient de l’intérêt financier de certaines parties prenantes à l’acceptabilité sociale et morale de la DG. La pratique des assureurs est de classifier des individus souscrivant une assurance personnelle selon le groupe présentant des risques homogènes aux fins de déterminer la prime d’assurance à exiger. Les modèles et pratiques actuariels utilisés par les assureurs peuvent, selon le contexte légal de certaines juridictions, intégrer les données génétiques des individus à leurs données médicales afin d’affiner la catégorisation et de déterminer des sous-groupes pour une évaluation plus précise du risque actuariel [10]. La crainte exprimée par le public concernant la DG en assurance a incité plusieurs pays à adopter un cadre réglementaire afin d’interdire cette utilisation des données génétiques par les assureurs [49]. Avec ces lois restreignant l’utilisation de l’information génétique, les assureurs craignent que des candidats à l’assurance puissent dissimuler des informations pertinentes à la détermination de leur risque actuariel, ce qui pourrait possiblement, dans le cas d’une réclamation, leur causer des pertes financières (ci-après le phénomène de l’anti-sélection) [50]. Cet enjeu économique a été soulevé par les compagnies d’assurance durant la période précédant l’adoption de la LNDG [51].
Une conception positive de la DG a été abordée dans le forum Discourse (tableau 4 : commentaire #12). Même si très minoritaire dans l’ensemble de nos résultats, cette conception est parfois utilisée dans les débats scientifiques, éthiques et philosophiques sur la justification de l’utilisation de technologies, tels le dépistage génétique prénatal et l’édition génétique (CRISPR/Cas9) à des fins d’élimination des maladies et tares génétiques [52,53]. Dans un rapport publié en 2018, la fondation Nuffield Council on Bioethics aborde ces questions éthiques en justifiant l’édition des caractéristiques génétiques dans le cas où l’objectif est d’assurer le bien-être de la personne à naître [54]. En ce sens, l’utilisation de l’édition génomique héréditaire doit être compatible avec les principes de justice sociale et de solidarité, de sorte qu’elle ne doit pas accroître les désavantages, la discrimination ou les divisions dans la société [54,55]. Les enjeux éthiques de la sélection et de l’édition génétiques, comme ceux de la DG, peuvent non seulement avoir une incidence sur les possibilités sociales[5] des individus porteurs de certains traits génétiques recherchés ou à éliminer, mais aussi interpeller des principes éthiques et valeurs bien ancrés dans la société canadienne, comme la dignité humaine, le droit à l’égalité, l’équité et la vie privée [3,56]. Les participants reconnaissent l’importance d’un débat public sur les enjeux de la DG dont l’issue ne devrait pas s’aligner exclusivement sur les valeurs de l’industrie de l’assurance [57].
Protection/prévention
Les participants ont été appelés à exprimer leurs préférences par rapport à certains outils de protection et de prévention de la DG. Les participants ont inscrit un total de 22 commentaires sur ce thème. Nous avons codé les commentaires en fonction des 5 sous-thèmes suivants: 1) uncadre législatif (7 commentaires); 2) les droits de la personne (2 commentaires); 3) l’autorégulation (4 commentaires); 4) les ressources administratives (3 commentaires); 5) le droit à la vie privée (6 commentaires) (voir tableau 4 : Protection/prévention).
À la question « Avant de participer à ce forum, aviez-vous déjà entendu parler de la Loi sur la non-discrimination génétique (S-201)[6]? », un seul participant a répondu être au courant de la loi et 4 ne l’étaient pas. Cependant, 7 participants ont discuté de l’idée de prévenir la DG à l’aide d’un cadre législatif (4 en faveur, 1 contre et 2 neutres; voir tableau 4 : Cadre législatif). Un autre participant a mentionné qu’un cadre législatif minimum devrait être requis pour accéder à de l’information génétique (tableau 4 : #13) et un autre a mentionné le besoin d’équité dans cette approche. Un participant a nuancé l’approche du cadre législatif en rappelant que les lois ne sont pas immuables et qu’elles peuvent être modifiées ou contestées devant un tribunal (tableau 4 : #14). Un participant a exprimé l’opinion que le gouvernement du Québec n’a adopté jusqu’à présent qu’une position passive face à la DG dans son corpus de lois (tableau 4 : #15). Aucun participant n’a commenté l’approche du Parlement du Canada de criminaliser l’exigence de passer un test génétique ou de divulguer des résultats de tests génétiques dans le contexte d’un contrat ou de la fourniture de biens et services.
Dans le sous-thème sur les droits de la personne, les participants ont fait 2 commentaires, évoquant le concept d’égalité et de non-discrimination, qui appuient l’idée que les droits de la personne devraient s’appliquer pour prévenir la DG, comme cela se fait actuellement pour d’autres motifs de discrimination (tableau 4 : #16). Ces commentaires illustrent la popularité de l’approche fondée sur les droits de la personne qui est citée comme étant la méthode la plus courante pour lutter contre la DG en Europe, notamment dans la Convention sur la biomédecine (1997) et la Charte européenne (2000) [3]. Les commentaires restent toutefois ambigus relativement à la connaissance des participants concernant l’existence d’une protection semblable dans la LNDG contre la discrimination basée sur les « caractéristiques génétiques », et/ou la condition indiquant que cette protection ne s’applique principalement qu’aux institutions fédérales [12, art. 9].
En lien avec notre discussion sur les sources de l’information génétique, une question a abordé l’élargissement de la portée de l’information protégée par la LNDG : « selon vous, est-ce que la protection offerte par la Loi sur la non-discrimination génétique (S-201) devrait aussi inclure des sources d’information génétique autres que les tests génétiques (p. ex. l’historique familial)[7]? ». Trois participants ont répondu par l’affirmative, tous étant favorables à une protection plus étendue de l’information génétique.
Quatre commentaires défavorables à l’autoréglementation par certaines parties prenantes semblent provenir de participants ne faisant pas confiance à l’industrie pour agir dans l’intérêt supérieur de la population (tableau 4 : #17-18). L’autorégulation repose sur la bonne volonté de certains acteurs privés de développer des politiques directrices non contraignantes concernant la DG [49]. Par exemple, les compagnies membres de l’Association canadienne des compagnies en assurance de personnes s’engageaient en 2017 à ne pas utiliser les résultats des tests génétiques pour les assurances vie d’un montant inférieur ou égal à 250 000$ [14, art. 4.2]. Néanmoins, les participants ne semblaient pas être au courant, ou ne semblaient pas faire confiance à l’autorégulation, et ils étaient rassurés d’apprendre qu’une mesure législative telle la LNDG a été adoptée au Canada.
Peu de participants ont exprimé un commentaire sur la pertinence d’un cadre administratif pour prévenir la DG (3 commentaires) : un s’oppose à cette approche, l’autre y est très favorable et un mentionne ne pas avoir assez d’information (tableau 4 : #19).
Le sous-thème du droit àla vie privée se rapporte à l’appui ou au rejet de l’opinion selon laquelle la protection contre ou la prévention de la DG devrait passer par la confidentialité de l’information génétique. Six commentaires ont fait référence à la protection de la confidentialité et au droit à la vie privée (tableau 4 : #20), faisant parfois une association entre les protections offertes à d’autres renseignements personnels, des domaines tous considérés comme délicats et confidentiels.
La majorité des commentaires des participants ont exprimé un avis favorable à un cadre législatif pour prévenir la DG, certains pointant vers une approche basée sur une prohibition et/ou sur des lois sur la protection de la confidentialité des renseignements personnels. Quelques commentaires ont aussi fait le lien entre la DG et d’autres formes de discrimination interdites par nos lois, justifiant une approche législative fondée sur la protection des droits de la personne pour la prévention de la DG. Dans le contexte législatif de la prévention de la DG, la conception de l’information génétique des participants s’aligne sur l’exceptionnalisme génétique qui soutient que l’utilisation de l’information génétique devrait être traitée séparément et de façon plus restrictive que l’utilisation d’autres informations sur la santé. Cette approche constitue le noyau des lois anti-DG de plusieurs pays [58].
Campagnes d’information
Treize commentaires des participants ont pu être regroupés sous le thème de l’importance des campagnes d’information sur la DG. Il est à noter que ce thème a émergé uniquement du forum ODG, la brève durée du forum Discourse n’ayant pas permis de questionner les participants sur ce thème. Six de ces commentaires concernaient l’importance d’offrir l’accès à de l’information pertinente sur la DG afin que les individus puissent prendre des décisions éclairées concernant les tests génétiques et l’utilisation de leurs données génétiques (tableau 4 : #21-23).
Parmi ces commentaires, nous notons deux remarques exprimant le besoin de sensibiliser davantage le public aux diverses formes que peut prendre la DG ainsi qu’aux répercussions qu’elle peut avoir sur les individus (tableau 4 : #22). Un participant relate qu’il avait de la difficulté à trouver de l’information sur la DG dans ses recherches personnelles (tableau 4 : #23).
D’autres commentaires (n=7) font référence au rôle des médias dans la diffusion de cette information (tableau #4; #24-25). Ces commentaires illustrent l’opinion selon laquelle les médias constituent un moyen efficace de sensibiliser le public sur le sujet de la DG (tableau 4 : #24) et référent à la préférence quant à un ou plusieurs type(s) de médias qui devrai(en)t être utilisé(s) pour informer sur la DG et l’utilisation de l’information génétique. La plupart des commentaires suggèrent des formes de communication numérique (p. ex. site web, Facebook) et fiable (p. ex. site gouvernemental) (tableau 4 : #25).
Les médias jouent un rôle important dans la couverture des questions sociales et juridiques, incluant la DG, et constituent une source importante d’information médicale et scientifique pour la population générale [59]. La presse canadienne a particulièrement fait état d’allégations d’individus selon lesquelles des compagnies d’assurance auraient fait preuve de discrimination à leur égard en raison de leur risque d’être affectés par des maladies génétiques héréditaires [60–63].
Les commentaires des participants témoignent de la nécessité d’entreprendre des campagnes d’information plus importantes sur cette question. La diffusion de cette information permettrait aux individus de prendre des décisions mieux éclairées afin de se protéger, et elle permettrait au public dans son ensemble de débattre sur les utilisations acceptables et éthiques de l’information génétique. Les commentaires semblent refléter le sentiment général qu’il y a trop peu d’information pertinente disséminée publiquement sur la DG, et que le public pourrait tirer un grand profit de meilleures campagnes de sensibilisation sur le sujet.
Processus délibératif
Tous les commentaires codés des forums Discourse et ODG ont été évalués séparément en fonction de critères qui peuvent aider à déterminer si les discussions dans le contexte de chacun des forums constituent un processus délibératif (tableau 3). L’indice numérique – qui évalue la présence de critères formant les préalables d’un processus délibératif – est illustré dans la Figure 2
Les indices de la qualité des délibérations semblent montrer peu de différence entre les forums Discourse et ODG pour la présence d’arguments raisonnés, le respect du sujet discuté et l’inclusion de sources d’information complémentaires. Près de la moitié des commentaires dans chacun des forums montrent la présence d’arguments raisonnés. De plus, une grande majorité des commentaires restent dans le sujet abordé sous un thème ou celui posé par d’autres participants. Toutefois, peu de commentaires introduisent ou font référence à des sources d’information complémentaires pour enrichir le débat. Les commentaires n’incluent généralement que peu d’engagement, d’accord et de désaccord en lien avec les commentaires des autres participants.
Nous observons une disparité entre les commentaires des participants des forums Discourse et ODG pour le critère de l’engagement (33% vs 3%) et de l’accord (22% vs 3%). Les participants du forum ODG semblent ne pas s’engager (0%) dans des discussions et ne manifestent que peu ou pas d’accord (3%) ou de désaccord (0%) dans leurs commentaires avec ceux des autres participants. Les participants du forum Discourse s’engagent modérément dans des discussions (33%) et le font plus souvent pour montrer leur accord avec un ou d’autres commentaires (22%). Cette différence observée entre les deux forums pourrait s’expliquer par l’approche prévue dans chacun. Le forum Discourse se voulait un forum avec modérateur. Les participants se sont possiblement sentis plus à l’aise à réagir de façon délibérative avec le modérateur et les autres participants sur les textes qui leur étaient offerts en lecture préalable. Dans le forum ODG, l’absence de textes informatifs et l’interaction avec les participants à l’aide de questions fermées ont peut-être eu un effet inhibiteur sur les questions pouvant être débattues. Les commentaires sur le forum ODG ressemblent davantage à une justification des réponses données aux questions fermées qu’à un engagement dans un échange où un point de vue est débattu.
Même si certains marqueurs tels l’argumentation raisonnée, le respect du sujet, et l’absence de paroles offensantes ou irrespectueuses montrent un indice élevé, beaucoup de marqueurs (source d’information, engagement, accord, désaccord) servant à révéler la présence d’un processus délibératif montrent un indice relativement bas. Les commentaires des deux forums montrent que les participants semblent davantage donner leur opinion personnelle, parfois à l’aide d’arguments factuels, mais parfois aussi sur la base de leurs propres principes moraux – ce qui est plus souvent le cas dans les commentaires du forum ODG. D’un point de vue plus général, la faible participation aux deux forums et l’absence d’un dialogue délibératif entre les participants donnent à penser que, pour le public ciblé dans cette étude pilote, la DG est possiblement perçue comme un enjeu réel, mais complexe, qui n’est présentement pas d’intérêt général dans la population.
Depuis plusieurs années, la médiatisation de certains cas dans le domaine des assurances personnelles et de l’emploi a attiré l’attention du public sur la DG [63–65]. Toutefois, le manque de données probantes a empêché tout progrès réel sur la capacité de cerner les enjeux véritables, de cibler la population vulnérable et de déterminer les moyens adéquats pour prévenir la DG [7,66]. Dans ce contexte, les deux forums ont possiblement servi à informer certains participants sur la DG, mais sans favoriser un débat sur les enjeux et les politiques. Préalablement à un débat social sur les enjeux de la DG, des campagnes d’information destinées à éclairer le public sur les enjeux et l’élaboration de politiques visant à prévenir la DG devront préalablement inclure des telles données probantes.
Limitations de l’étude
Une des limitations de cette étude est le faible taux d’inscription et de participation. Les forums Discourse et ODG ont permis le recrutement de 50 personnes, mais seulement 15 ont participé activement aux forums Discourse et ODG, ce qui représente un petit échantillon. Cette étude qualitative ayant pour objectif d’explorer les opinions, les expériences et les connaissances du public sur la DG, le faible échantillon ne constitue pas un obstacle à l’analyse de nos résultats. La composition démographique de l’échantillon correspond à nos objectifs de diversification sur les plans du genre, de l’âge et du lieu de résidence. Cependant, les commentaires des deux forums proviennent en grande majorité de personnes très scolarisées. En tenant également compte de l’approche méthodologique ayant ciblé spécifiquement le public québécois francophone, la généralisation des conclusions de notre étude devrait être faite avec prudence.
Notre choix de ne pas avoir procédé à l’analyse thématique des 2 forums séparément pourrait constituer théoriquement un biais méthodologique. Cependant, bien que nous ayons changé notre approche du forum en ligne, afin de faciliter la participation, de permettre une meilleure compréhension des questions et de stimuler les échanges, les thèmes abordés dans les 2 forums sont restés identiques. Les participants des deux forums ont également été recrutés avec des stratégies similaires et avaient accès à la même information générale sur le site de l’ODG. Pour ces raisons, nous avons fait le choix méthodologique de procéder à une analyse qualitative des commentaires comme s’il s’agissait d’un seul forum.
Vers la fin du forum ODG, la Cour d’appel du Québec, dans un jugement rendu le 21 décembre 2018, a émis l’opinion selon laquelle la LNDG était inconstitutionnelle [67]. En juillet 2020, la Cour suprême du Canada a cassé ce jugement et maintenu la constitutionnalité de la LNDG. Bien que notre discussion et notre analyse tiennent compte de cette évolution législative, il est important de noter que les participants aux deux forums ont pu avoir une connaissance limitée de la procédure de renvoi concernant la LNDG (annoncée en mai 2017) et que le forum ODG s’est déroulé en majeure partie avant les décisions de la Cour d’appel du Québec et de la Cour suprême du Canada (voir figure 1). Les participants des deux forums n’ont pas fait allusion au renvoi sur la LNDG, ce qui corrobore cette affirmation et laisse croire que l’impact de ce processus judiciaire sur les deux forums est limité.
CONCLUSIONS
Nous avons utilisé une approche qualitative, un forum en ligne, nous permettant d’engager un dialogue avec le public québécois sur la DG. Malgré un faible taux de participation, les échanges en ligne étaient constructifs et empreints d’une curiosité des participants à propos de la DG. Cette étude démontre qu’il est possible d’utiliser un forum en ligne afin d’extraire les opinions, les expériences et les connaissances du public ainsi que d’informer sur la DG.
Nous avons constaté une certaine hésitation du public francophone à s’engager dans un débat en ligne sur les enjeux liés au phénomène de la DG. Nous attribuons ce résultat à un manque d’information et d’intérêt du public face à la DG et ses enjeux, et ce, malgré les discussions médiatiques entourant l’adoption de la LNDG en 2017 et le renvoi constitutionnel qui a suivi. L’adoption de cette loi n’a pas été suivie d’une campagne d’information auprès du public et des différents intervenants dans le domaine de la santé. Un intérêt pour plus d’information sur la DG a été exprimé par les participants de la présente étude ainsi que ceux d’une autre étude qualitative au Québec [22].
L’utilisation de l’information génétique par de tierces parties suscite une certaine anxiété chez les participants des forums, particulièrement dans le cadre de l’assurance et de l’emploi. En lien avec ces craintes, les participants semblent avoir une conception de la confidentialité de l’information génétique axée sur l’exceptionnalisme génétique. L’existence de la LNDG au Canada, également fondée sur ce concept, semble pourtant peu connue des participants des forums. Les participants se questionnent sur l’utilité de LNDG, en particulier en ce qui concerne la portée limitée de la protection offerte par la loi et les moyens indirects pouvant être utilisés par les assureurs et employeurs pour obtenir de l’information génétique sur les personnes.
Cette analyse qualitative a permis de révéler certains thèmes émergents, comme la conception des participants sur l’information génétique et sur les limites de sa capacité à prédire la maladie, mais également en tant que risque économique associé à une personne dans le domaine de l’assurance et l’emploi, et un sentiment de solidarité face à la protection de cette information. Les participants des forums semblent aussi découvrir la dimension sociale de la DG, plus particulièrement l’absence du public dans l’élaboration du cadre normatif actuel régissant l’accès, l’utilisation et la confidentialité de l’information génétique. Par exemple, plusieurs commentaires et réponses suggèrent que l’autoréglementation de l’industrie de l’assurance n’est pas nécessairement une approche répondant à l’intérêt commun. La majeure partie des participants préfère un encadrement normatif prohibant la DG, une approche qu’ont adoptée plusieurs pays industrialisés, et certains conçoivent la prévention de la DG comme un droit de la personne.
Les participants montrent leur intérêt et désirent en connaitre davantage sur les différentes formes que peut prendre la DG, sur les moyens pour contrer ce phénomène et pour être en mesure de prendre des décisions éclairées quant à l’utilisation de leur information génétique. Malgré les craintes sur la DG, ce type de discrimination n’est cependant pas encore un enjeu connu du public; il semble néanmoins perçu comme un enjeu qui pourrait devenir important. Une campagne d’information claire et dynamique permettrait un débat de société dynamique sur les enjeux éthiques, juridiques et sociaux liés à la DG [3]. Subséquemment, des consultations du public sur la DG à l’aide d’un sondage à grande échelle au sein de la population canadienne et la tenue d’ateliers regroupant des représentants du public, d’organisations liées à des groupes de patients et d’autres parties prenantes pourraient constituer le début de futures consultations. Comme suggéré par les participants, notre façon d’aborder la DG et le contrôle de l’information génétique ne devraient plus n’être que l’affaire des politiciens; ces questions doivent être étendues pour aussi toucher le grand public.
Appendices
Remerciements
Nous aimerions souligner l’appui financier du FRQ-A/RMGA pour ce projet. Nous tenons également à remercier Elena Olvera, François Brouillet, Ida Ngueng Feze et Ma’n Zawati pour leur aide dans la conception de l’Observatoire de la discrimination génétique et la campagne de recrutement. Les auteurs GD, MP, GM et YJ déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêts.
Notes
-
[1]
La LNDG définit ainsi les tests génétiques : « [t]est visant l’analyse de l’ADN, de l’ARN ou des chromosomes à des fins tels la prédiction de maladies ou de risques de transmission verticale, ou la surveillance, le diagnostic ou le pronostic. »
-
[2]
Question posée le 2 aout 2018 par le modérateur sur le forum Discourse.
-
[3]
Question posée sur le forum ODG.
-
[4]
Question posée sur le forum ODG.
-
[5]
Par exemple, les attitudes préjudiciables et le traitement négatif des personnes génétiquement prédisposées à des maladies sur la base de leur capacité de reproduction présumée.
-
[6]
Question posée sur le forum ODG.
-
[7]
Question posée sur le forum ODG.
-
[8]
Buzzetti, Hélène. “La discrimination génétique, un phénomène répandu ou pas?”, Le Devoir (août 2018), online: <https://www.ledevoir.com/politique/canada/534303/la-discrimination-genetique-un-phenomene-repandu-ou-pas>.
-
[9]
Facebook: @forumdiscriminationgenetique.
-
[10]
Twitter : https://twitter.com/DGenetique.
-
[11]
Pour la durée du forum.
-
[12]
Human Genetics Newsletter, à partir du 1er octobre 2018.
-
[13]
À partir du 10 juillet 2018 jusqu’à la fin du forum.
-
[14]
À partir du 1er octobre 2018.
-
[15]
À partir du 4 octobre 2018.
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