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Cosovschi Agustín, 2022, Les sciences sociales face à la crise. Une histoire intellectuelle de la dissolution yougoslave (1980-1995). Paris, Éditions Karthala, coll. « Meydan », 243 p.

  • Oriane Girard

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  • Oriane Girard
    Institut d’ethnologie et d’anthropologie sociale (CNRS), Aix-Marseille Université, Aix-en-Provence, France, École française d’Athènes, Athènes, Grèce

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Cover of La situation coloniale à la lumière des archives, Volume 48, Number 1, 2024, pp. 15-318, Anthropologie et Sociétés

Synthèse des recherches doctorales qu’Agustín Cosovschi a menées de 2015 à 2018, son premier ouvrage livre un examen critique du champ des sciences sociales dans une Yougoslavie en mutation. L’auteur s’intéresse aux conditions de production et de reconfiguration des sciences sociales pendant la période de crise, qui s’échelonne de la mort de Josip Broz Tito, en 1980, à la fin de la guerre en Croatie et en Bosnie, en 1995. Au prisme d’une histoire située des idées, l’analyse de ces transformations disciplinaires et intellectuelles propose d’évaluer l’impact de la sociologie, des sciences politiques et de l’anthropologie sur les développements idéologiques, sociaux et culturels du monde yougoslave. Historien de formation, Agustín Cosovschi a combiné aux méthodes classiques de sa discipline d’autres registres méthodologiques traditionnellement associés aux sciences sociales, et particulièrement à l’anthropologie. Son interprétation des sources archivistiques est ainsi enrichie d’une quarantaine d’entretiens réalisés auprès d’intellectuels serbes et croates rencontrés à Belgrade et à Zagreb. La restitution partielle de cette série d’entretiens permet à l’auteur de nous livrer une lecture rétrospective des défis inédits auxquels ont été confrontées les sociétés est-européennes à la suite de l’effondrement du système socialiste. Le développement de son enquête est traversé par deux constats principaux, dont il nuance l’apparente contradiction : en dépit de leur position de faiblesse face aux mutations globales de leurs pays, certains scientifiques yougoslaves ont mis leur réflexion au service d’un militantisme critique et d’une contestation idéologique ; pourtant, ces mêmes intellectuels ont peiné à renouveler les outils interprétatifs des sciences sociales au moment de la dissolution yougoslave en 1991, et ont perpétué certains réflexes conceptuels hérités d’une tradition scientifique dont ils désavouaient parallèlement l’esprit conservateur. L’analyse rigoureuse de la période concernée est portée avec éloquence par une écriture précise et percutante qui inscrit la réflexion de l’auteur dans un tressage disciplinaire où sociologie, science politique et anthropologie se donnent la réplique. Introduites aux lecteurs dans leur singularité, ces trois disciplines sont pensées ensemble comme formant un observatoire des sociétés yougoslaves en période de crise économique et de conflit ethnique. Agustín Cosovschi rappelle qu’à l’image d’autres régimes communistes, les pays yougoslaves, majoritairement agraires et appauvris au début de la guerre froide, ont entrepris une transition économique, sociale et industrielle tournée vers la modernisation globale de leurs systèmes de gouvernance et de production. Mobilisées par le régime communiste, les sciences humaines et sociales ont été mises au service du projet socialiste dès la fin des années 1960, et simultanément soumises à une marginalité scientifique ainsi qu’à une neutralité politique à partir desquelles s’est laborieusement négociée leur liberté d’expression. Au fil des six chapitres qui structurent l’ouvrage, on suit notamment le parcours épistémologique de la jeune discipline ethnologique qui se transforme, dès les années 1970, au contact de la pensée anthropologique occidentale, et notamment des apports du structuralisme et de l’anthropologie culturelle américaine. Celle-ci inspire une nouvelle génération de scientifiques tels que Dušan Bandić et Ivan Kovačević en Serbie, ou encore Dunja Rihtman-Augustin en Croatie. Au sein de l’Institut d’ethnologie et de folkloristique de Zagreb, cette dernière participa activement au « processus d’anthropologisation » de l’ethnologie croate, ainsi qu’au débat sur l’instrumentalisation politique des traditions populaires en faveur du nationalisme yougoslave. Dans un souci de représentativité de la diversité des postures intellectuelles, l’auteur met en lumière des figures féministes telles que celles de Lydia Sklevicky, qui a contribué à écrire une histoire située des femmes en Yougoslavie et qui a vivement critiqué la propagande socialiste des récits nationalistes. Parmi d’autres, Dunja Rihtman-Augustin et Lydia Sklevicky illustrent l’attention qu’ont portée anthropologues et sociologues aux variations idéologiques de la scène politique dans un contexte de crise …