Essais bibliographiquesBibliographical EssaysEnsayos bibliográficos

La transition de genreEntre ordre sexué et mobilité socialeBeaubatie Emmanuel, 2021, Transfuges de sexe. Passer les frontières du genre. Paris, La Découverte.

  • Laurence Hérault

…more information

  • Laurence Hérault
    Aix-Marseille Université, Institut d’Ethnologie Méditerranéenne, Européenne et Comparative, Maison méditerranéenne des Sciences de l’Homme, 5, rue du Château de l’Horloge, BP 647, 13094 Aix-en-Provence, France
    laurence.herault@univ-amu.fr

Access to this article is restricted to subscribers. Only the first 600 words of this article will be displayed.

Access options:

  • Institutional access. If you are a member of one of Érudit's 1,200 library subscribers or partners (university and college libraries, public libraries, research centers, etc.), you can log in through your library's digital resource portal. If your institution is not a subscriber, you can let them know that you are interested in Érudit and this journal by clicking on the "Access options" button.

  • Individual access. Some journals offer individual digital subscriptions. Log in if you already have a subscription or click on the “Access options” button for details about individual subscriptions.

As part of Érudit's commitment to open access, only the most recent issues of this journal are restricted. All of its archives can be freely consulted on the platform.

Access options
Cover of Diversité de genre, Volume 47, Number 2, 2023, pp. 15-274, Anthropologie et Sociétés

La transition expérimentée par les personnes trans est bien souvent décrite dans un lexique où dominent les termes conversion, changement ou encore métamorphose. La transition se présenterait donc a priori comme un processus de transformation des personnes, et plus particulièrement de modification de leur qualification sexuée. Mais au-delà de cette compréhension commune, comment décrire ce processus qui offre à une personne ordinairement assignée à un genre la capacité de s’inscrire dans un genre « autre » revendiqué comme sien ? Avec quels outils conceptuels est-il possible de l’appréhender ? Ces questions ont mobilisé historiquement les sciences humaines et sociales, et plus particulièrement la sociologie et l’anthropologie. Confrontés à des sociétés non européennes où les expériences trans étaient socialement admises, certains anthropologues ont repris la notion de troisième sexe pour rendre compte de cette acceptabilité et montrer, par la même occasion, la diversité culturelle en matière de conception du genre. D’autres ont vu dans l’usage de cette notion de troisième sexe une conception finalement ethnocentrique qui ne rendait pas justice à la manière, certes différente, de concevoir le genre hors de « l’Occident ». En sociologie, c’est Harold Garfinkel (1967) qui fait figure de pionnier avec son étude de la performance de genre d’Agnès, qui vivait quotidiennement en tant que femme et souhaitait réaliser une chirurgie génitale. Le passing très travaillé d’Agnès rendait visible la fabrique ordinaire et interactionnelle du genre et son analyse permettait aussi à Garfinkel d’interroger la pertinence des concepts de l’ethnométhodologie, notamment celui d’accountability. On comprend ainsi que l’expérience trans peut être un espace heuristique, une sorte d’opportunité conceptuelle qui a permis et permet des tentatives originales et débattues de penser la conceptualisation du genre, voire de la fabrique du social. On peut cependant remarquer que la sociologie et l’anthropologie ont parallèlement proposé un autre type d’approche de la transition de genre, plus soucieuse de saisir son contenu et sa spécificité. Pour ce faire, ces approches ont mobilisé des concepts formés initialement pour penser d’autres expériences culturelles et sociales. On pense notamment, en anthropologie, au travail d’Anne Bolin, In Search of Eve (1988), qui a utilisé la notion de rite de passage, si classique dans la discipline, pour décrire le processus de la transition « transsexuelle » permettant le passage d’une identité masculine à une identité féminine par le biais de phases de séparation, de marge et d’agrégation. On pense également, en sociologie, au travail de Richard Ekins, qui a utilisé la notion de carrière initialement développée par les interactionnistes pour analyser des expériences marginales et/ou socialement définies comme déviantes ou pathologiques. Dans son livre Male Femaling (1997), Ekins envisage les activités d’hommes définis comme transsexuels ou travestis comme étant caractéristiques d’une carrière de « féminisation » (femaling) dont il s’attache à décrire le contenu et le déroulement depuis son commencement jusqu’à sa consolidation. C’est dans cette lignée que s’inscrit l’ouvrage remarquable du sociologue Emmanuel Beaubatie, Transfuges de sexe, qui reprend les concepts bourdieusiens de transfuge de classe et d’espace social de classe pour proposer une approche originale de la transition et de ses effets sur les vies trans. Ce faisant, il s’inscrit dans une perspective récente de la sociologie du genre, dont certains auteurs revisitent les concepts élaborés par Bourdieu pour penser les pratiques de distinction sociale au prisme du genre (voir entre autres Bessière et Gollac 2020). Issu d’une thèse soutenue en 2017 (prix de thèse de l’Institut du genre) et d’une réflexion développée dans des articles plus récents, l’ouvrage s’attache à une question très peu explorée dans les travaux sur la transidentité, à savoir celle des différences …

Appendices