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Dans cette ère globalisée, les migrations internationales ont donné lieu à des transformations profondes des sociétés d’accueil et d’origine. L’ouvrage Villes connectées. Pratiques transnationales, dynamiques identitaires et diversité culturelle, sous la direction d’Hassan Bousetta, Sonia Gsir, Marc Jacquemain, Marco Martiniello et Marc Poncelet, rend compte de ces enjeux contemporains, plus précisément entre l’Afrique et l’Europe. Le livre est, en fait, le résultat des 8 projets de recherche discutés au cours du programme d’Action de Recherche concertée (ARC-TRICUD) en 2014, créé par l’Institut des Sciences humaines et sociales de l’Université de Liège. D’après une perspective relationnelle, ces échanges scientifiques ont pour objectif de contrer la vision conflictuelle de la rencontre entre les populations migrantes et les sociétés d’accueil. En effet, les auteurs suggèrent plutôt de l’envisager comme une coexistence sur le mode de la création, du partage, du rapprochement et de l’éloignement. En fonction des approches adoptées (ethnographiques, quantitatives et microsociologiques), la publication se présente en deux thèmes : la ville post-migratoire et les familles transnationales ainsi que la dynamique des identités et la diversification culturelle.
En premier lieu, Merla veut déconstruire l’idée que les femmes migrantes ne peuvent prendre soin de leurs enfants à distance. Selon elle, la démocratisation des technologies de communication de transport permet de maintenir le contact entre des membres de familles qui sont séparés. Dans la même logique, Zickgraf met en lumière l’agencéité (agency) et la participation des membres non-migrants marocains au sein des dynamiques transnationales de care. Poncelet et Solo Lola prennent aussi en considération les logiques, les normes et les représentations dans les familles congolaises des transferts d’argent (remittance) entre les migrants et les membres restés au pays. Ces échanges transnationaux transforment radicalement les rapports sociaux de pouvoir et produisent un certain type d’élitisme chez les migrants qui s’apparente au rôle joué par l’État postcolonial. Toujours au sein de la famille transnationale, Meiers retrace les relations familiales des habitants de la localité congolaise N’djili, maintenant dispersés entre différentes villes européennes. L’auteure observe la formation de néo-fraternités spirituelles d’affiliation pentecôtiste évangélique dans la diaspora.
En second lieu, face au discours populaire sur l’échec du multiculturalisme belge, Kovincic étudie l’évolution des attitudes de la population majoritaire envers les minorités ethniques issues de l’immigration. Il constate une diminution de la distance sociale entre ces groupes présumés « antagonistes », qui est due à deux facteurs : le climat politico-idéologique et le remplacement générationnel. La position de Zibouh est plus sceptique puisqu’il présente les artistes belgo-marocains comme des porte-voix de l’état sociologique d’une minorité ethnoculturelle marginalisée. Dans un contexte de crise économique, ces derniers utilisent des expressions artistiques pour dédramatiser leur stigmatisation et pour questionner l’ordre établi. À l’opposé, Arnaud décrit comment des associations de quartier comme Tanbo Bô Kannal et Escambiar ne tentent pas de revendiquer une identité spécifique, mais plutôt de déconstruire les processus de catégorisation et d’identification nés du colonialisme et du racisme. Ces collectifs, aussi qualifiés de résistances culturelles envers l’État français, vont puiser dans leur folklore afin de se forger de nouveaux rapports à eux-mêmes et aux autres. Dans le même ordre d’idées, Seca explique que la genèse des musiques de masse électro-amplifiées (MdMEA) vient des échanges interculturels et migratoires dans des espaces urbains contemporains. En prenant l’exemple d’un groupe rock et de musiciens antillais dans un sous-sol de stationnement à Paris, l’auteur montre que ces cultures musicales possèdent un caractère hybride imprégné par chaque parcours de vie individuel.
Enfin, l’originalité du présent ouvrage tient à son pluralisme méthodologique et théorique sur une même question, celle des migrations internationales. Sa force est de venir nuancer le point de vue médiatique vis-à-vis des stratégies des acteurs sociaux autant migrants que non-migrants. Cela permet au lecteur d’obtenir une vision holiste sur cet enjeu et de se prémunir contre les discours populaires sur le multiculturalisme. Néanmoins, consécutivement aux événements tragiques causés tout récemment par le terrorisme, certaines enquêtes gagneraient à être reconduites pour étudier l’évolution de la distance sociale entre la population majoritaire et minoritaire en Belgique. En effet, certains résultats pourraient ne plus représenter la situation actuelle depuis la montée de nouveaux partis politiques et de sentiments xénophobes. Un autre point fort de l’ouvrage est son réel ancrage sur le terrain puisque plusieurs auteurs s’engagent par la critique sociale, mettant en lumière l’absence de soutien gouvernemental chez les familles transnationales, la reproduction du pouvoir postcolonial et l’usage des catégories juridiques. Bref, le livre, plutôt accessible au grand public, s’adresse aux lecteurs désirant obtenir un point de vue critique et global sur des débats concernant les migrations entre l’Afrique et l’Europe.