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La République Populaire de Chine (RPC) est maintenant le quatrième pays le plus visité au monde après la France, l’Espagne et les États-Unis. De surcroît, l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) prévoit que la RPC sera la destination numéro un d’ici l’an 2020[1]. Dans le but d’uniformiser la modernisation du pays et de pallier l’écart grandissant de développement économique entre les régions côtières et les régions intérieures, le gouvernement chinois encourage le développement du tourisme (Goodman 2004 ; Tak-chuen 2005). Dans le sud-ouest du pays, peuplé en grande partie par des nationalités minoritaires, les gouvernements provinciaux misent sur une forme de tourisme dit « ethnique », dont l’attrait principal est la culture traditionnelle des communautés minoritaires (Van den Berghe et Keyes 1984).

Tel est le cas de la province du Guizhou, longtemps considérée comme une province reculée et difficile d’accès, avec sa topographie accidentée aux sommets variant entre 1000 et 1500 mètres d’altitude. Déjà en 1908, le missionnaire français Père Aloys Schotter (1908 : 397) écrivait : « Parmi les dix-huit provinces de Chine, celle du Kouy-tcheou est cependant sans contredit, la plus petite, la plus pauvre, la plus montagneuse et, ne craignons pas d’ajouter, la moins chinoise ».

En effet, encore aujourd’hui, la population est composée de 35 % de nationalités minoritaires (par rapport à 8 % au niveau national) et l’on y retrouve près de 48 des 56 nationalités officiellement reconnues en RPC[2]. Dépourvu d’industries modernes et d’infrastructures, le Guizhou n’attire pas ou très peu d’investissements industriels, faisant ainsi du tourisme une des seules avenues de développement économique.

Figure 1

Localisation de Zhaoxing dans la province du Guizhou

Localisation de Zhaoxing dans la province du Guizhou

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Ciblé par le gouvernement provincial pour que le tourisme ethnique y soit un levier de développement économique, le village de Zhaoxing[3] est considéré le plus grand et le plus ancien village dong en RPC. Situé dans le comté de Liping, au sud-est de la province (voir figure 1), le village repose au creux du bassin de Duliu, dans la préfecture autonome Miao et Dong du Qiangdongnan. Habité à 98 % par la nationalité minoritaire dong, le charme de l’endroit repose sur l’architecture particulière de cette minorité : les tours tambours, les ponts couverts, les scènes d’opéra et les portes du village, toutes construites en bois. Les Dong sont aussi reconnus pour leurs chants généralement exécutés sans accompagnement musical (appelés Grands Chants dong – dongzu dage 侗族大哥). Au cours des dix dernières années, ce petit village de 4 000 habitants et de 800 maisonnées est devenu un site touristique reconnu par un nombre grandissant de touristes internationaux et domestiques.

Les changements occasionnés par un tel développement sont importants, tant au niveau physique que social et politique. Loin de représenter un cas isolé dans le sud-ouest de la Chine (Berlie 2001 ; McKhann 2001, Walsh 2001 ; Cable 2006), les villageois de Zhaoxing font l’expérience d’un développement économique dicté par l’industrie touristique, face auquel ils ont très peu de pouvoir. Auparavant relativement isolée, cette petite communauté se trouve au coeur du paradoxe du tourisme ethnique dans lequel modernité et traditions coexistent, s’affrontent et s’entrecroisent.

Malgré l’ampleur du phénomène et la vitesse de son développement, les études de cas approfondies qui permettent d’entrevoir le point de vue des « visités » sont encore peu nombreuses (Michaud 2001). En RPC, cette lacune s’explique, entre autres, par l’ouverture seulement récente du pays aux chercheurs étrangers et par les conditions de recherche encore difficiles (Cornet 2010). Sur la base d’un terrain ethnographique approfondi (entre 2006 et 2007) et de courts séjours (entre 2000 et 2009), cet article présente l’évolution du tourisme dans le village ainsi que quelques-uns des changements tels qu’ils sont vécus par les villageois – qu’ils soient engagés ou non dans les affaires touristiques. Il présente les données préliminaires d’une localité en plein changement, intégrée comme jamais auparavant dans la grande nation chinoise, et ce, autant physiquement que symboliquement.

Le tourisme à Zhaoxing de 1980 à 2010

Pour fins d’analyse, le développement du tourisme à Zhaoxing peut être divisé en trois phases. Durant la première, soit au début des années 1980, le tourisme est sporadique et les villageois vivent principalement d’agriculture de subsistance et d’exploitation forestière[4]. À la suite de l’ouverture de la Chine et plus particulièrement de certaines régions plus reculées, les premiers touristes se rendent à Zhaoxing. Ces quelques rares voyageurs séjournent dans une auberge rudimentaire ouverte en 1982 et tenue par le département culturel du gouvernement local. Durant cette période, les infrastructures touristiques sont encore limitées et le développement du tourisme est géré par le gouvernement local. Cette période est aussi marquée par la reconstruction et la rénovation (entre 1982 et 1985) des tours tambours qui ont été détruites par les Gardes Rouges durant la Révolution culturelle (1966-1976)[5]. Ici comme ailleurs au pays les villageois émergent de la période de Mao Zedong (1949-1976) et amorcent les politiques de modernisation lancées par Deng Xiaoping. En 1992, les vieilles génératrices du village sont remplacées par l’électricité d’État.

La deuxième phase débute en 1998 lorsque la province du Guizhou voit sa principale source de revenus lui être retirée à la suite de nouvelles politiques de protection de l’environnement règlementant la coupe de bois[6]. Cherchant un revenu alternatif, les habitants de Zhaoxing commencent à réaliser le potentiel économique que représente la venue de touristes dans leur village et plusieurs ouvrent leurs propres auberges. Le directeur[7] du village a qualifiée cette période d’autodéveloppement, une période marquée par un intérêt renouvelé des habitants de Zhaoxing envers leur culture. Les villageois mettent sur pied des troupes de chants et de danse afin de répondre aux demandes des touristes[8].

C’est aussi durant cette période que les gouvernements des différents niveaux (du comté, provincial et national) s’impliquent financièrement dans le développement d’infrastructures dans le but de faciliter le développement du tourisme. Dès 2000, le tourisme devient, pour la province du Guizhou, le principal levier de développement économique et la solution aux problèmes reliés aux campagnes, à l’agriculture et aux fermiers[9]. Tel que me l’a indiqué le propriétaire d’une des premières auberges tenues par les villageois :

En 2001, ma famille et moi étions les premiers villageois à ouvrir une auberge. J’ai ensuite demandé aux directeurs de notre unité de se joindre à cet effort et ils ont demandé aux autres fermiers de construire ces petits sentiers en pierre qui sillonnent le village. Notre unité était la première à construire ces sentiers. Tout le monde y a volontairement participé. Je dis souvent que nous devons ces sentiers aux fermiers. Une fois que nous l’avons terminé, les officiers du gouvernement du comté et de la province sont venus voir le résultat. Ils ont attaché beaucoup d’importance à notre initiative et étaient même gênés que nous, simples villageois, ayons pensé à cela avant eux. Ils ont ensuite décidé d’investir de l’argent et ont demandé aux deux autres unités de Zhaoxing de construire les mêmes sentiers partout dans le village.

Entrevue, le 30 janvier 2007

Bien que les habitants de Zhaoxing soient considérés par les officiers du gouvernement comme étant de simples villageois, leur initiative fut récompensée. Le gouvernement (du comté et de la province) investit dans l’amélioration des infrastructures du village, en réparant, par exemple, le lit de la rivière, en enfouissant les fils électriques, en développant un système d’égouts, et surtout, en favorisant la prévention des feux[10]. Cette deuxième phase est donc marquée par l’implication des villageois dans le développement du tourisme et l’investissement financier de différents paliers du gouvernement.

En 2003, le développement touristique du village s’accélère et s’engage dans une nouvelle phase. Une compagnie spécialisée dans le développement touristique obtient, par l’entremise d’un contrat de 50 ans avec le gouvernement du comté et le gouvernement local, le mandat de développer le village et ses environs. Dans le village, une entente est signée avec les représentants des trois unités administratives. En revanche, à la signature, les représentants d’une des unités refusent de signer et demandent plusieurs ajustements dans le contrat, principalement au niveau de la rétribution des bénéfices. En entrevue, un villageois m’a affirmé :

Les chefs de notre unité administrative ont pris le contrat et l’ont lu aux autres villageois. Plusieurs n’étaient pas d’accord avec le contrat. Puis finalement ils ont un peu changé le contrat et nous avons été forcés de le signer[11].

Entrevue, 29 janvier 2007

Le contrat octroie à la compagnie et à ses employés l’accessibilité prioritaire aux tours tambours, aux ponts couverts, aux scènes d’opéra et aux portes du village pour y tenir des spectacles touristiques. Les villageois peuvent en tout temps en être délogés sauf s’ils y célèbrent un mariage ou des funérailles. De plus, on retrouve dans le contrat le pourcentage de bénéfices que la compagnie doit reverser aux habitants des trois villages et aux gouvernements locaux et du comté. En contrepartie, la compagnie se doit d’investir dans le développement touristique du village et a, en effet, financé plusieurs projets depuis 2003 : construction de stationnements aux abords du village, reconstruction et rénovation des portes du village, engagement de personnes pour nettoyer les rues, installation de lanternes chinoises rouges le long de la rivière, pose des néons de couleurs sur deux des tours et, surtout, promotion du village aussi bien internationalement que dans le reste du pays[12].

En 2005, le village obtient le statut d’un des six plus beaux villages antiques de Chine dans le livre Scenic Splendor of China publié par le Chinese National Geography (CNG) et traduit en anglais en 2006. Aussi, ajoutant à sa popularité, il est cité par la version chinoise de la revue National Geographic Traveler comme étant l’un des plus beaux endroits à visiter dans le monde en 2007.

Durant cette troisième phase de développement (donc depuis 2003), le nombre estimé de touristes a augmenté chaque année et a même presque doublé entre 2004 et 2006 (voir tableau 1). Le nombre d’auberges tenues par des villageois est passé de trois en 2001 à 25 en 2009 et la compagnie touristique a construit trois hôtels dont un de luxe dans le village. En mai 2009, Zhaoxing était doté de plus de 20 restaurants, 20 magasins de souvenirs ainsi que cinq bars, un karaoké, une discothèque et de nombreux cafés Internet[13]. Cette phase est donc marquée par la prise en charge du développement du tourisme par une compagnie spécialisée et par la mise en avant de Zhaoxing comme site touristique reconnu.

Tableau 1

Zhaoxing, nombre estimé de touristes par année 2004 à 2006[14]

Année

Nombre total de touristes

Nombre de touristes internationaux

2004

28 000

13 000

2005

42 000

17 000

2006

65 000

17 000

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La vue des changements par les villageois

Les habitants de Zhaoxing interviewés entre 2006 et 2007 associent plusieurs changements au développement du tourisme. Ils perçoivent avant tout des changements physiques au niveau du village : accessibilité, propreté et aspect général des maisons et des rues. Mais ils voient aussi des changements économiques : augmentation de leurs revenus, hausse des prix, écart grandissant entre le statut économique des villageois impliqués dans l’industrie du tourisme et les autres (voir Zhou, Han et Harrell 2008). Finalement, ils remarquent des changements d’ordre culturel : un renouveau culturel et un intérêt accru de la part des jeunes envers la culture et les coutumes dong. Nous assistons en effet à une réaffirmation des frontières ethniques (Barth 1969 ; Tapp 2002) mais selon les critères du gouvernement et les contraintes imposées par la représentation touristique (Wood 1997 ; Picard 2001 ; McKhann 2001). Des changements qui contribuent à différents degrés à intégrer cette petite localité (longtemps isolée) à la grande nation chinoise et à ses grands projets de modernisation (Oakes 1998 ; Goodman 2004 ; Tak-chuen 2005).

D’après tous les villageois interviewés, le plus grand changement dans les dernières années a été, en 2005, l’amélioration de la route entre la ville de comté (Liping) et le village. Cette route de terre, en proie à de fréquents éboulements de terrain, pouvait isoler Zhaoxing pendant des jours. Maintenant que la route est cimentée, le nombre de véhicules transitant par le village a considérablement augmenté et les villageois bénéficient d’une plus grande mobilité. Il est dorénavant plus facile de se rendre à Liping où sont situés les écoles secondaires et les fournisseurs de biens commerciaux (approximativement quatre heures de route).

De plus, l’accessibilité du village continue de s’améliorer grâce à des connexions (quoiqu’indirectes) avec les réseaux aérien, routier et ferroviaire. En effet, il fallait jusqu’il y a peu un minimum de deux jours d’autobus pour se rendre à Zhaoxing de la ville de Guiyang (au Guizhou) ou à partir de Guilin (au Guangxi). Depuis l’automne 2006, un aéroport est en fonction dans la ville de comté (Liping) avec des vols vers Guiyang et Guilin. De plus, la province finalise la construction d’une autoroute avec une sortie prévue à quelques kilomètres du village – sortie qui sera appelée « Sortie Zhaoxing » (zhaoxing chukou 肇兴出口) – bien qu’elle soit localisée dans le village voisin). Finalement, la construction d’un chemin de fer a débuté en 2009 avec une station aussi prévue dans le village voisin (appelée « Station Zhaoxing » Zhaoxing huochezhan 肇兴火车站). Ces infrastructures sont parmi celles que Scott (2009) qualifie de « distance demolishing infrastructures » car elles intègrent physiquement le village aux grands centres urbains, réduisant ainsi la distance et l’isolement qui ont longtemps caractérisé cette région de la Chine[15].

Pour beaucoup de villageois, non seulement le village est maintenant plus accessible, mais il est aussi nettement plus propre. En effet, depuis le développement du tourisme, des poubelles ont été installées le long de la route principale, les chiens n’ont plus le droit de se promener en liberté et la compagnie emploie des villageois pour nettoyer quotidiennement les rues. D’après le chef de l’hôpital local, l’amélioration des conditions sanitaires du village combinée avec une hausse des revenus (permettant une alimentation plus complète) ont contribué à améliorer la santé des villageois[16].

Le troisième changement le plus fréquemment mentionné par les villageois est l’aspect général du village. Plusieurs ont remarqué que les maisons étaient maintenant plus hautes (elles sont passées de deux à trois étages) et la route principale qui traverse le village a été élargie. D’après un villageois (un directeur d’unité administrative), cela conduit, souligne-t-il, à un certain paradoxe :

[…] Les maisons se sont grandement améliorées. Avant elles étaient abîmées et simples, maintenant il y a beaucoup de nouvelles maisons. Mais le problème est que les visiteurs n’aiment pas les nouvelles maisons. C’est une des grandes contradictions entre les idéaux locaux et les attentes des visiteurs. Pour l’instant nous sommes en pourparlers avec le gouvernement local qui insiste sur le fait que notre village est l’un des six plus beaux villages antiques de Chine et qu’il doit donc garder son apparence plus primitive, mais les gens pensent que s’ils restent ainsi, ils ne se développent pas et donc n’avancent pas. Mais si nous construisons de nouvelles maisons, nous allons détruire l’apparence primitive du village. Nous savons tous que des nouvelles maisons détruiraient le paysage et si nous en construisions, qui viendrait voir notre village ? Il ne resterait plus rien d’intéressant à voir…

Conscients du paradoxe entre modernité et traditions dans lequel ils se trouvent, les villageois n’ont plus le droit, depuis 2003, selon le contrat avec la compagnie touristique, de construire de nouvelles maisons dans Zhaoxing et, s’ils rénovent, ils doivent suivre le plan et le style énoncés[17]. Afin d’accommoder le désir des villageois d’améliorer leurs conditions de vie lorsque leur situation économique le permet, ceux-ci ont le droit d’utiliser des matériaux modernes dans leur maison, mais doivent garder l’extérieur en bois et de style dong. Zhaoxing se démarque donc des autres villages de la région où l’usage du bois a été remplacé en grande partie par celui du ciment et de la brique dans la construction des maisons.

Pour faire face à l’accroissement de la population, les officiers du gouvernement local m’ont parlé de leur projet de bâtir un nouveau Zhaoxing. Celui-ci serait comparable aux nouvelles villes construites aux bordures de Dali et de Lijiang dans le Yunnan et permettrait, selon le directeur du village[18], de conserver Zhaoxing comme village primitif, écologique et culturel. Par contre, une des premières étapes de ce projet, qui consistait à déménager l’école secondaire, a rencontré de vives résistances de la part des villageois sous forme de pétition envoyée au gouvernement du comté[19]. En mai 2009, celle-ci n’avait toujours pas été déménagée et l’emplacement exact du futur nouveau Zhaoxing était encore inconnu (le chef local du Parti Communiste refuse de révéler l’endroit à quiconque afin d’éviter toute spéculation immobilière).

Un autre des changements les plus mentionnés par les villageois est l’augmentation, depuis les dernières années, de leurs revenus, particulièrement pour ceux qui sont directement impliqués dans le développement du tourisme. D’après un officier du gouvernement local[20], presque 70 % des villageois ont un revenu annuel qui dépasse largement les 10 000 RMB (soit environ 1500 $ canadiens). Selon son estimation et les données recueillies auprès des villageois, le revenu moyen mensuel augmenterait de près de 200 RMB (environ 30 $, soit 360 $ par année ; voir tableau 2). Les données recueillies indiquaient des revenus variant entre 550 et 3000 RMB par mois.

Tableau 2

Estimation du revenu mensuel des villageois de Zhaoxing

Année

Revenu (RMB) mensuel

Années 1990

Entre 300 et 400

2000

1 000

2004

1 200

2005

1 400

2006

1 600

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À titre comparatif, les habitants du village de Zaidan, situé dans le comté voisin de Congjiang (un village dong sans accès routier et sans développement touristique), ont un revenu annuel moyen équivalent au revenu mensuel moyen des habitants de Zhaoxing[21].

D’après les personnes interviewées, cette augmentation a entraîné deux changements majeurs dans le village. Premièrement, plusieurs m’ont indiqué avoir remarqué une diminution du nombre de jeunes partant travailler dans les manufactures. Vers la fin des années 1990, donc consécutivement à l’interdiction de l’exploitation forestière dans la région, au moins une personne par maisonnée (et souvent plus) quittait pour travailler dans les manufactures des grandes villes côtières. Récemment, en plus des personnes ayant ouvert un commerce relié directement au développement du tourisme, plus de 100 villageois avaient trouvé un emploi dans la compagnie touristique du village (bien que le salaire soit bas : en moyenne 600 RMB par mois en 2007).

Deuxièmement, l’inflation créée par le tourisme a fait grimper les prix des biens de consommation. Elle avantage certains villageois pour lesquels l’augmentation des revenus est directement reliée à la vente de leur surplus agricole ou à l’élevage d’animaux pour la consommation. Par exemple, les habitants du village de Jilun, une communauté agricole située dans la montagne surplombant la vallée, peuvent faire plus de 10 000 RMB par année en vendant leurs légumes à Zhaoxing. Le vice-directeur du gouvernement de ce village a indiqué qu’il se vendait à Zhaoxing six cochons et deux vaches de Jilun par jour[22]. Par contre, cette inflation désavantage d’autres villageois en créant une pression économique sur les moins bien nantis, qui voient leurs dépenses augmenter[23].

Finalement les villageois ont remarqué que le développement du tourisme a fait revivre la culture dong. Un aîné du village nous a mentionné :

Le tourisme a permis le développement de la culture ethnique. Par exemple les personnes de la génération de nos pères connaissaient très bien et utilisaient souvent nos instruments de musique ethnique. Notre génération par contre a été éduquée et les a délaissés. Dans les années 1980 et 1990, nous ne nous intéressions pas tellement aux chants et aux pièces de théâtre dong mais avec le développement du tourisme, l’intérêt a réellement été renouvelé.

Entrevue, 29 janvier 2007

Toutefois, ce renouveau culturel a amené à une homogénéisation des référents culturels dong et à une perte de variations locales. La troupe de Zhaoxing, gérée par la compagnie, intègre dans ses spectacles des danses et des chants d’autres villages et parfois même d’autres minorités (le plus souvent les Miao ; voir aussi les exemples donnés par Tak-chuen 2005 : 276-283). De plus, lors de ces performances présentées aux touristes, seuls les jeunes participent, laissant les aînés (qui avant y prenaient part) jouer les spectateurs. Cette tendance à l’homogénéité culturelle est aussi renforcée par les parcs thématiques situés dans les grandes villes et présentant un échantillon stéréotypé des nationalités minoritaires où les « habitants » des villages présentés ont tous « …entre 18 et 25 ans et peuvent être qualifiés de superbes et rayonnants » (Sofield et Li 1998 : 383).

Le développement du tourisme à Zhaoxing a donc, selon les habitants, intégré le village physiquement au reste de la province et du pays via de nouvelles infrastructures ; il a contribué à la rénovation du village et de ses architectures traditionnelles (évitant l’utilisation de briques, symbole de modernité) ; il a augmenté le revenu moyen des villageois menant à un écart croissant entre riches et pauvres ; et il a permis une renaissance culturelle (quoique formatée aux besoins du tourisme ethnique).

Quelques conclusions

Ainsi que le mentionne Wood (1997 : 20), le tourisme s’insère toujours dans un processus historique dans lequel se trouvent déjà plusieurs acteurs. Le tourisme en introduit de nouveaux et tend à redéfinir le rôle, les opportunités et les contraintes de ceux déjà existants. Tel que le mentionnent Oakes (1998) et Schein (2000), le développement touristique génère une arène dans laquelle les nationalités ethniques et l’État chinois luttent pour le pouvoir de définir l’ethnicité, la modernité et le développement économique. Une lutte dans laquelle le gouvernement local (et l’élite des nationalités minoritaires ; Litzinger 2000) joue un grand rôle de médiation, d’interprétation et d’application de politiques nationales (Tak-chuen 2005 : 261).

Lors de ma dernière visite du village en mai 2009, plusieurs villageois ont exprimé leurs craintes face à la présence de la compagnie touristique dans leur village. Plusieurs ont affirmé se sentir impuissants devant cette compagnie qui, selon eux, contrôle le gouvernement local supposé les représenter. Ils ont en effet vu la transformation des bureaux du gouvernement local en hôtel comme symbolisant une passation de pouvoirs au profit de la compagnie touristique. Plusieurs m’ont affirmé qu’ils devraient développer le tourisme eux-mêmes et ainsi garder le contrôle sur le développement de leur village et sur les bénéfices économiques qui y sont liés.

Afin d’exprimer leur mécontentement, et face au silence des autorités à tous les niveaux (comté, province et nation) auxquelles plusieurs pétitions ont été envoyées, les villageois sont de plus en plus nombreux à refuser de travailler pour la compagnie, forçant celle-ci à recruter dans les villages aux alentours. On semble assister à ce qui pourrait être une quatrième phase de développement touristique caractérisée par le début d’une résistance locale.

En effet, les processus par le biais desquels les villageois de Zhaoxing sont en train de se moderniser sont fondés sur un dialogue (souvent inéquitable) qui met en évidence des formes de pouvoir et de résistance. Les habitants de Zhaoxing ne sont pas exclus de la quête nationale de modernité, ils désirent aussi un développement économique ; ils ne sont donc pas dans un simple processus d’assimilation. Toutefois, ils aimeraient être davantage impliqués dans les décisions touchant leur village et leur avenir afin de pouvoir présenter leur compréhension de la modernité et du développement économique et, surtout, afin de pouvoir eux aussi tirer profit des ressources de leur village. Ils vont certainement continuer de demander à maintenir un certain contrôle sur leur avenir et celui de leurs enfants. Par contre, les habitants de Zhaoxing font maintenant partie intégrante de dynamiques qui vont bien au-delà de leur localité, et leur pouvoir semble bien limité.