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Depuis plusieurs années, les éditions L’Harmattan ont fait paraître une collection regroupant plus d’une centaine de livres d’initiation à des langues minoritaires. Le présent ouvrage porte sur l’apprentissage du lissou, pratiqué par une ethnie tibéto-birmane qui fait partie des centaines de minorités ethniques (plus de 80 millions de personnes) qui peuplent les hautes terres de l’Asie du Sud-Est.
Le livre est divisé en 3 parties, suivies d’un appendice et d’un lexique français-lissou de 3270 mots et expressions. Au tout début de l’ouvrage, sous la partie intitulée « Phonologie et transcription », les auteurs invalident l’écriture hiératique et mentionnent le système de transcription phonétique élaboré par les missionnaires protestants et les linguistes chinois, tous extérieurs et inconnus aux Lissous, disent-il, pour enfin proposer un système de transcription romanisée de leur propre cru, pour faciliter la prononciation d’un auditoire francophone.
Dans la première partie découpée en 7 chapitres, « La société et la culture lissou », ils présentent leur postulat de base affirmant que le groupe lissou est resté « pratiquement inviolé » (p. 35) jusque vers les années 1950, cet isolement ayant permis la préservation de leur patrimoine culturel. Les auteurs semblent, sur ce point, méconnaître le fait que, selon l’historiographie chinoise, la région lissou (préfecture de Lijian, Province du Yunnan) fut placée sous l’administration des Yuan dès le 12e siècle. Pour les auteurs, le groupe (jusque-là isolé et farouchement indépendant) serait apparu dans l’historiographie moderne au moment de l’exploration scientifique clandestine française de Guibaut et Liotard en 1936 – auxquels ils empruntent les descriptions des phénotypes raciaux en vogue à l’époque. Le ton général de cette introduction restitue une vision européocentriste dans la tradition colonialiste des Grands Explorateurs français dont Dessaint est lui-même membre depuis 1997.
Au niveau géographique, les Lissou sont présents dans des zones allant du Bhoutan, à l’Inde, au Myanmar, à la Thaïlande et à la Chine. Qui non seulement il reste approximatif pour ce qui est de la distribution géographique du groupe, mais il fournit des données démographiques désuètes, datant de 1981 pour l’Inde, 1990 pour la Chine et 1995 pour la Thaïlande, bien que le livre ait été publié en 2006. Il donne ainsi à penser que le manuscrit est resté en chantier assez longtemps et a été livré sans mises à jour. Il mentionne les diverses catégorisations du groupe par les États-nations où il réside : « nationalités minoritaires » en Chine, « nationalités » au Myanmar, « tribu programmée » [traduction de scheduled tribe] en Inde et « tribu montagnarde » en Thaïlande ; mais sans référence aux terminologies vernaculaires. Ce manque de rigueur renvoie ainsi une image décousue du groupe et, à aucun moment, le lecteur n’est renseigné sur le poids démographique considérable du groupe qui compte aujourd’hui plus de 700 000 personnes.
Le titre du chapitre 2, reprenant celui de P. Gourou : « La civilisation du végétal » (1948), consiste en un survol de l’utilisation des ressources naturelles et évolue vers la culture matérielle, le vêtement et l’habitation. Au chapitre 3, il présente l’économie de subsistance et le mode de vie lissou : système de production, chasse pêche, cueillette, les échanges, etc. Au chapitre 4, il traite de la maisonnée et du clan, offrant une analyse de l’organisation sociale basé sur trois institutions : la maisonnée, le clan et le village, unités géopolitiques fondamentales mais instables sur lesquelles il revient au chapitre 5. Les chapitres 6 et 7, intitulés respectivement : « Religion de la nature » et « Rejoindre les ancêtres », closent la première partie.
En deuxième partie (chapitre 8) il en arrive finalement à l’analyse de la langue lissou du point de vue de sa structure grammaticale ; il s’agit, dit-il, d’une langue relativement homogène au sein des langues sino-tibétaines dont il présente un inventaire. Les chapitres suivants (9 à 14) présentent de manière succincte la structure grammaticale lissou : les phrases, noms, pronoms, verbes, adverbes et adjectifs. La troisième partie (chapitres 15 à 21) présente des textes oraux ainsi que différentes thématiques de l’oralité lissou : mythes, contes, proverbes et dictons, énigmes, poèmes, et finalement conversations, sous la forme de dialogues contextualisés.
Dans l’appendice présenté en avant-dernière partie, il présente certaines notions (numération, mesures, termes de parenté emprunts, et idiotismes). Finalement, le livre se termine sur un lexique français-lissou de 3270 mots.
Parlons lissou est ainsi davantage qu’un ouvrage standard de vulgarisation linguistique, car il offre des éléments ethnographiques, constituant ainsi une introduction valable pour un public non initié à la discipline ethnographique et une contribution non négligeable à l’introduction des Lissou. On peut toutefois regretter que Lang Dessaint nous livre ici un manuel de facture plus modeste que son ouvrage précédent (Au Sud des nuages paru en 1994) qui, beaucoup plus étoffé, comblait alors un vide dans la littérature sur le groupe, et formait une contribution importante à la connaissance des peuples de langue tibéto-birmane.
Cela nous ramène à ce qui devrait être la raison d’être du livre : l’apprentissage de la langue lissou. Le fait est que Parlons lissou ne se veut pas un outil pédagogique : Lang Dessaint n’affiche nulle part la prétention d’aider le lecteur à acquérir des rudiments de langue lissou. Le volume est présenté dans un format décidément pas très commode pour le voyage, mais il répond bien aux exigences de la collection qui, par le truchement de la langue, offre à ses lecteurs métropolitains, une fenêtre sur l’univers lissou. Par la même occasion, Dessaint réussi à tirer l’attention sur cette fraction de la mosaïque culturelle du Massif sud-est asiatique qu’il parcourt depuis trois décennies.