Abstracts
Résumé
L’oeuvre contemporaine reprend et intègre plusieurs des effets et des affects qui se produisent à la jonction de deux lieux principaux, l’espace de création et celui de diffusion, l’atelier et le musée. Cette stratégie n’est cependant pas nouvelle, et depuis le 19e siècle plusieurs artistes ont choisi de « muséifier » leur atelier. La contrainte du musée permet-elle de préserver et de transmettre l’essentiel de la démarche de création et sa portée polysensorielle? Les conditions de l’atelier : espace et lumière, les qualités tactiles et olfactives des matériaux et l’environnement des oeuvres qui subsistent peuvent-ils fournir au spectateur qui s’y engage une expérience différente de celle du musée, la rencontre avec une démarche artistique? Quatre types de musée-atelier (décor, galerie, inventaire, processus), définissent différents apprentissages qui plongent le visiteur dans une saisie plus complète de l’oeuvre perçue dans son lieu même.
Mots clés:
- Lacroix,
- atelier d’artiste,
- musée,
- atelier-musée,
- expérience muséale,
- polysensorialité
Abstract
The contemporary artwork reworks and integrates several of the effects and affects produced at the intersection of two significant sites: the creative space and the gallery space, the studio and the museum. The strategy is not new; since the 19th century various artists have chosen to “museumize” their studio. Do museum constraints permit the preservation and transmission of a creative approach’s essence, its polysensorial impact? Can the conditions that prevail in the studio — the space, the light, the tactile and olfactory qualities of materials, the environment created by the works it contains — offer spectators who venture within a different experience from the one provided by a museum? A veritable encounter with an artistic vision? Four types of studio-museum (decor, gallery, storage, process) define different learning structures that plunge the visitor into a more complete apprehension of the work in situ.
Keywords:
- Lacroix,
- Artist’s studio,
- museums,
- studio museum,
- museum experience,
- polysensoriality
Resumen
La obra contemporánea retoma e integra varios efectos y afectos que se producen en la confluencia de dos lugares principales, el espacio de la creación y el de la difusión, el taller y el museo. No obstante, esta estrategia no es nueva, desde el siglo 19e varios artistas han decidido “museificar” su taller. ¿La rigidez del museo permite preservar y transmitir lo esencial de la tentativa creativa y de su alcance polisensorial? ¿Las condiciones del taller: espacio y luz, las cualidades táctiles y olfativas de los materiales y del ambiente de las obras que subsisten pueden ofrecer al espectador que se entabla en una experiencia diferente a la de un museo, el encuentro con una exploración artística? Cuatro tipos de museo-taller (decorado, galería, inventario, proceso) definen diferentes aprendizajes que sumergen al visitante en una compenetración más plena de la obra percibida en su propio sitio.
Palabras clave:
- Lacroix,
- taller de artista,
- museos,
- experiencia en museo,
- polisensorialidad
Article body
Il est plus intéressant de visiter un champ de fouilles avec l’archéologue que de voir des tessons alignés dans une vitrine.
Philippe Lejeune 1998 : 156
Dans l’ensemble des lieux que l’évolution conduit à devenir un musée, qu’ils soient édifices religieux ou militaires, hôtel particulier ou équipement industriel, l’atelier d’artiste occupe une place singulière en raison de la fonction initiale de ce type d’architecture[1]. Cet espace, témoin de la genèse de l’oeuvre et dont le rôle est lié à la production artistique, est, à l’occasion, transformé en musée dédié à la mémoire du créateur qui l’a occupé et de sa pratique. Cette mutation est symptomatique de la valorisation du statut de l’artiste dans la société et de l’importance accordée à certaines oeuvres. En examinant les étapes de formation de ces musées, la typologie de ces institutions et leur rôle, je souhaite attirer l’attention sur la façon dont se vit l’expérience de l’oeuvre d’art dans cet environnement chargé de la mémoire du travail en chantier. La reconnaissance de l’atelier tient compte d’un phénomène sociologique particulier relativement récent, qui mystifie le travail de l’artiste et confère à l’espace de création un fétichisme singulier. L’atelier agirait comme une synecdoque capable de contenir la personnalité de l’artiste et l’ensemble de ses réalisations. Indépendamment de cette aura, l’atelier offre un espace de connaissance intuitive et d’appréciation directe des activités du créateur, et à ce titre, mérite qu’on le considère dans la chaîne des espaces de médiation qui permettent de communiquer une oeuvre et son contenu.
Ainsi, en 1928, le critique d’art montréalais Jean Chauvin publie un ouvrage maintenant reconnu comme un texte fondateur proposant une réflexion sur l’émergence de la modernité artistique au Québec (Chauvin 1928). Bien que ce livre se situe dans la tradition du modèle établi au 16e siècle par Giorgio Vasari et qu’il se concentre sur la biographie et les réalisations de l’artiste, Chauvin intitule son ouvrage Ateliers, démontrant une sensibilité à la riche critique littéraire qui s’est développée depuis le 19e siècle et qui reconnaît l’importance des étapes de la création artistique et de son lieu de production. Un peu comme si l’atelier permettait de contenir la vie et l’oeuvre du créateur qui l’a habité.
Les changements de paradigme qui s’effectuent dans le marché de l’art, après la Révolution française et avec la montée de l’industrialisation, déplacent la nature et la finalité de l’oeuvre d’art. Avant le 19e siècle, l’artiste connaît généralement la fonction et la destination de son travail, car il résulte d’une commande publique ou privée, ou encore il est le fruit d’un travail fait en série et répond ainsi à une commande implicite. La transformation des conditions du marché amène l’artiste à développer de nouvelles stratégies qui ont une incidence majeure sur la nature même de l’oeuvre et qui se manifestent par un recentrement sur les valeurs proprement plastiques et esthétiques de son travail. La destination anticipée ou souhaitée de l’oeuvre, que ce soit la collection particulière ou publique, est en quelque sorte intégrée au résultat final (en particulier par le format choisi, le genre traité et par la facture employée), en même temps que l’oeuvre porte les traces de son contexte et des conditions de production qui se manifestent également par les mêmes caractéristiques formelles et stylistiques.
La modification du statut de l’artiste entraîne également un changement de son lieu de travail, l’atelier[2]. Cet espace est occupé au quotidien par l’artiste et il devient le signe d’une continuité de la production et d’une permanence de la carrière. Certes, il en sort régulièrement pour prendre contact avec l’art des nouveaux lieux de présentation qui se multiplient et que sont les musées et les galeries d’art. De plus, l’artiste peut travailler sur le motif, directement dans la nature, ne restreignant pas la création au seul espace de l’atelier. Le créateur assume cependant des tâches d’auto-promotion et d’une première diffusion de son oeuvre et l’atelier se transforme alors en un espace social où l’artiste reçoit non seulement les modèles, les élèves et les collègues, mais aussi le collectionneur, le marchand, le critique et le conservateur. L’atelier se modifie, il n’est pas qu’un lieu-refuge de l’intimité et de la solitude, exigences de la création, il devient également un espace polyvalent et ouvert, cadre de sociabilité, de commercialisation et de formation d’un premier public[3].
Ce sont les artistes « officiels », les peintres académiques actifs dans la seconde moitié du 19e siècle qui, par l’ampleur des commandes qu’ils ont reçues, les fortunes et les collections qu’ils ont accumulées, ont fixé le genre de l’atelier-type avec ses espaces consacrés à la conception et à la réalisation des oeuvres, mais aussi des aménagements privés pour lire et se reposer, des pièces publiques pour recevoir les visiteurs et un coin pour s’occuper de leurs affaires[4]. Ces ateliers sont de vastes espaces subdivisés en pièces qui servent à ces différentes fonctions, disposant d’une verrière orientée vers le nord, de façon à obtenir un éclairage uniforme[5]. Depuis, et avec la modernité, de multiples variantes ont été aménagées, mais chaque fois l’environnement, le volume, l’éclairage et les fonctions fournissent des caractéristiques qui, tout en définissant l’espace, marquent la nature de l’oeuvre et sa première réception dans le cadre du lieu de production.
L’atelier est souvent limitrophe à la résidence, au milieu de vie. Il la complète, devient le principal investissement de l’artiste à succès qui y voit le symbole de son prestige et peut-être même sa réalisation principale. Ainsi la maison-atelier-musée de Frederic Leighton à Londres se présente en des termes qui suggèrent la nature du lien identitaire qui unit l’artiste et son cadre de vie :
Even long-standing acquaintance felt they did not really know him [Leighton]. Was this house [and studio] then created with such care and consideration, the embodiement of all Leighton was and all that he aspired to be, or did it perhaps conceal much as it revealed about a very private personality?[6]
Musée Leighton (Londres), texte de présentation, 2004
Les auteurs de textes critiques et historiques adhèrent à cette idée de l’importance et de l’impact du lieu de création sur l’oeuvre. Ils développent une curiosité pour l’atelier et ne traitent plus seulement de l’oeuvre dans son espace de réception publique, mais cherchent à pénétrer dans le milieu plus réservé de la création et discutent de l’impact et de la qualité de l’oeuvre dans son cadre de réalisation. C’est ainsi que, par exemple, la critique montréalaise Joséphine Dandurand présente en février 1895 aux lecteurs de la revue qu’elle dirige, Le Coin du feu, le travail du jeune peintre Suzor-Côté. Sa découverte et sa lecture de l’oeuvre sont guidées par les dispositifs que Suzor-Côté a mis en place dans le studio et qu’elle désigne comme un « laboratoire artistique ». La journaliste est particulièrement sensible au volume de l’espace, aux textures et aux matières des objets dont s’entoure le peintre et dont elle retrouve l’interprétation dans ses tableaux. Une toile à demi dissimulée par une draperie devient la métaphore de l’inspiration et de l’acte de création dans cet espace animé du souffle de l’invention : « Derrière ce voile, on dirait que le rêve de l’artiste se recueille et que la pudeur de sa pensée naissante, à peine dégagée des ombres du néant, y cherche un abri » (Dandurand 1895 : 38).
La présentation de l’oeuvre dans son contexte de création deviendra une conduite fréquemment utilisée au 20e siècle par les critiques qui démontrent ainsi leur familiarité avec l’artiste. Ces observations faites de l’intérieur du studio confirment leur autorité comme intermédiaire capable de produire une lecture du travail qui baigne dans l’ambiance de la nouveauté et de l’inédit[7]. Les perceptions de la forme et du rôle de l’atelier contemporain se démultiplient et John Berger en résume sans doute les qualités essentielles lorsqu’il le compare à un vaste système digestif avec ses étapes d’ingestion et d’assimilation-déjection, l’opposant au fantasme du lieu de lumière auquel il est souvent associé.
The first thing painters ask about a studio-space usually concerns light. And so one might think of a studio as a kind of conservatory or observatory or even a lighthouse. But it seems to me that a studio is much more like a stomach. A place of digestion, transformation and excretion. Where images change form.
Berger 2003 : 71
La préséance de ce lieu de travail a entraîné certains penseurs à affirmer que l’atelier est le lieu de l’oeuvre. Ainsi, pour l’artiste et théoricien français Daniel Buren l’oeuvre est pervertie, dénaturée et aliénée en dehors de son cadre de production lorsqu’elle est présentée dans l’environnement neutre et indifférent de la galerie et du « cube blanc » du musée.
Cette sensation que l’essentiel de l’oeuvre se perdait quelque part de son lieu de production (l’atelier) à son lieu de consommation (l’exposition), me poussa extrêmement tôt à me poser le problème et la signification de la place de l’oeuvre. Je compris un peu plus tard que ce qui se perdait, ce qui disparaissait le plus sûrement, c’était la réalité de l’oeuvre, sa « vérité », c’est-à-dire son rapport avec son lieu de création, l’atelier.
Buren 1991 : 202-203[8]
Pour contrer ce sentiment de perte et pour relever le défi causé par l’idée de la séparation, les artistes ont multiplié, au cours des trente dernières années, les efforts pour réduire l’espace et la distance entre la création et l’exposition de leur travail. Le « post-studio art », comme on l’a nommé et qui réunit des pratiques aussi diversifiées que les performances, les installations, les oeuvres in situ (Poinsot 1989), l’art éphémère et les pratiques relationnelles, sont autant de manières de porter l’atelier dans l’aire publique et d’associer l’espace de production à celui de la diffusion, d’entraîner le spectateur vers le partage de la démarche et des étapes du cheminement créatif perçues comme partie intégrante de l’oeuvre.
Depuis la fin des années 1970, on observe le phénomène que Véronique Rodriguez (2000 : 160 et seq.) définit comme « l’exacerbation de la valeur d’exposition », alors que les centres d’artistes, les galeries, les musées mêmes invitent les artistes à aménager temporairement leur atelier dans des lieux de diffusion déjà constitués[9]. Se multiplient alors les résidences d’artistes, les symposiums et les expositions où les artistes peuvent travailler en interaction avec le public[10]. Parallèlement, on déplace le contenu complet de l’atelier dans l’espace d’exposition comme on l’a vu, par exemple, à Kassel (Allemagne), à la Documenta 11 en 2002, alors qu’on y présentait dans une immense pièce le lieu de travail de l’artiste polonais, Ivan Kozaric. De plus, plusieurs artistes reprennent et miment les stratégies du musée et de l’exposition dans leurs oeuvres, réduisant l’écart qui sépare le produit artistique de sa présentation publique et de sa réception[11]. Ces adaptations de l’atelier et ces formes contemporaines, qui facilitent le contact entre le public et l’oeuvre en émergence, signalent que l’atelier occupe une nouvelle fonction dans la médiation de l’oeuvre. L’idée même de l’atelier est en quelque sorte le cadre conceptuel de ces oeuvres laboratoires, oeuvres en chantier qui se transforment en relation avec leur auditoire. Le public étant invité à entrer de plain-pied dans l’espace de création. Ces oeuvres ne doivent cependant pas faire oublier que l’atelier, un atelier modifié, intime et mobile, est toujours un espace recherché par l’artiste et qu’il remplit encore plusieurs des fonctions dont il a hérité à travers les siècles, même s’il est un lieu transitoire, parfois partagé avec d’autres créateurs. La valorisation de ces oeuvres de transformation et de leur cadre d’élaboration et de réception explique sans doute l’intérêt pour l’atelier, y compris celui, plus traditionnel, lié à des figures de la modernité[12].
Au cours de mes nombreuses rencontres avec des artistes dans leur atelier, j’ai pu vérifier l’écart qui sépare la perception et la lecture de l’oeuvre dans cet espace de celui, extra muros, de la salle d’exposition. La différence est palpable et mérite que l’on signale cette transformation, de l’atelier-incubateur-réserve alors que les oeuvres sont en gestation, en production ou en attente d’un client, et la présentation des oeuvres sélectionnées et regroupées en fonction d’un autre environnement et d’un événement. Malgré les efforts développés pour rendre les ateliers accessibles[13], peu de gens pénètrent dans l’atelier privé et ont accès à l’oeuvre dans son cadre de réflexion et de constitution et aux indices qui peuvent mieux faire connaître sa genèse et ses constituantes.
Comme l’a montré l’historien d’art britannique Francis Haskell (1988), dès l’invention du musée, les artistes ont été sensibles à son rôle comme lieu de réunion, de protection et de mise en valeur de leurs oeuvres et ont imaginé un nouveau type de musée ou cédé des ensembles importants de leur production à des musées déjà constitués. La création, en 1832, par le sculpteur Antonio Canova de son musée à Possagno en vue de recueillir tous ses plâtres et sa collection personnelle, ou la mise sur pied par Bertel Thorvaldsen, en 1844, de son musée à Copenhague, ou encore le cas de la succession de William Turner remise aux musées nationaux britanniques en 1856 (5 ans après son décès) sont, parmi les premiers exemples, les plus importants et les plus réputés. Cette pratique radicale se consolide dans la deuxième moitié du 19e siècle et consiste dans la transformation de l’atelier en musée. Le Musée Antoine Wiertz inauguré à Bruxelles en 1868, trois ans après le décès de l’artiste, ou encore le Musée Gustave Moreau à Paris, ouvert au public dès 1903, constituent de beaux exemples de ces ateliers devenus musées selon la volonté exprimée par les artistes qui y ont habité.
Qu’entend-on par atelier-musée? Il s’agit de la transformation de l’espace de travail de l’artiste en un lieu de conservation accessible au public. Il faut donc le distinguer des autres formes de musées monographiques ou des musées mémoriaux qui conservent les traces de la vie d’un artiste célèbre. Des institutions existent qui recueillent une donation importante, ce qui les amène à consacrer une ou plusieurs salles à un artiste, comme le fait par exemple la Tate Gallery de Londres qui conserve le don des oeuvres de J. W. Turner. Il arrive que, à la demande expresse d’un artiste, l’on fonde un nouveau musée. Le Andy Warhol Museum mis sur pied en 1994, à Pittsburgh, et qui a la charge de conserver et de mettre en valeur les 12 000 oeuvres et les immenses archives que l’artiste actif à New York avait accumulées en fournit un modèle récent[14]. Il ne s’agit pas non plus d’un musée créé dans un espace qui consacre une étape de la vie de l’artiste qui y aurait grandi ou séjourné. On évoque souvent la carrière d’un artiste majeur dont l’atelier a disparu en reconstituant, dans un de ses lieux de vie, un espace commémoratif. La maison natale ou le lieu d’un séjour marquant sont des espaces propices à recevoir l’implantation de tels musées. La maison familiale de Gustave Courbet à Ornans a été transformée en musée en 1971 et permet d’évoquer les liens avec sa région de même que sa longue carrière[15].
L’atelier-musée est le résultat de la volonté expresse de l’artiste ou de ses parents proches, conjoint, descendants ou amis qui souhaitent conserver la mémoire du lieu qui a vu la création d’un oeuvre et qui permet de le considérer dans cet environnement.
La création des ateliers-musées accompagne la montée et l’affirmation du paradigme de la conservation in situ, qui s’est manifesté en opposition à la multiplication des musées, en particulier à la suite des guerres napoléoniennes qui déplaçaient des milliers d’oeuvres d’art de leur lieu de conservation original[16]. Cette façon de penser la conservation s’est généralisée vers la fin du 19e siècle, alors que se développent les musées de site, la protection in situ des vestiges archéologiques et le classement des grands parcs naturels en Europe, aux États-Unis et au Canada (Moolman 1996).
L’on assiste aujourd’hui au développement d’une pensée muséologique et patrimoniale qui est de plus en plus soucieuse du patrimoine immatériel, l’UNESCO adoptant même en 2003 une convention pour la sauvegarde de ce patrimoine[17]. La notion de patrimoine immatériel insiste sur les savoir-faire, les usages et les pratiques sociales, les connaissances et les traditions esthétiques qui se concrétisent dans l’objet et qui lui donnent tout son sens. C’est un patrimoine vivant qui se perpétue dans son milieu. L’atelier-musée offre la possibilité de rejoindre cette problématique actuelle en conservant les traces de pratiques artistiques dans leur contexte. Le fait que plusieurs des musées de ce type organisent des expositions d’art actuel, accueillent des artistes en résidence et fournissent une interprétation originale[18] constitue autant de moyens de garder vivants l’esprit et l’atmosphère du lieu.
La question que présente ce type d’institution serait de savoir si la transformation d’un atelier en musée ne fait qu’ajouter un autre élément à la longue série des institutions muséales avec les problèmes inhérents à la sélection, à la protection et à la conservation des biens culturels[19]. Est-il souhaitable que les oeuvres soient présentées dans la comparaison et la confrontation avec celles d’autres artistes comme on le fait dans un musée? Qu’ajoute vraiment à notre rapport à l’oeuvre d’un créateur décédé le fait de l’apprécier dans son cadre de production?
À moins de conditions exceptionnelles, la totalité de l’oeuvre d’un artiste ne se retrouve plus dans son atelier. Une partie importante de la production s’en est détachée et est conservée dans le domaine privé ou public, chez des collectionneurs ou dans des institutions. Là, l’oeuvre trouve d’autres contextes d’interprétation, différents de celui que procure le studio. Cet espace a cependant l’avantage de conserver et de mettre en valeur une quantité importante d’oeuvres d’un même artiste qui gagne ainsi dans l’appréciation, l’analyse et l’interprétation que l’on peut en faire, alors que des études préparatoires jouxtent les oeuvres terminées, que les outils et le matériel, que la bibliothèque et les objets choisis baignent dans la lumière et l’environnement qui a permis l’éclosion d’une production spécifique. La capacité de juger un oeuvre dans ce cadre offre certes un atout particulier et unique.
Les contraintes inhérentes à l’espace public du musée (sacralisation, fétichisation, isolement) peuvent-elles être levées dans le cas de l’atelier, et quelle est la nature du contact que permet l’atelier-musée avec l’oeuvre d’un artiste[20]? L’atelier, en plus de sacraliser l’oeuvre, ne consacre-t-il pas l’artiste comme un héros, surtout si ce travail est confié à des proches qui vénèrent le maître disparu? Les conditions de transformation de l’atelier privé en musée public n’entraînent-elles pas des modifications du lieu qui dénaturent sa vocation initiale en voulant le rendre accessible à tous[21]?
Lors de ma visite du musée Leighton, en décembre 2004, le son paisible du jet d’eau dans la salle aux céramiques est troublé par le tiroir-caisse de la boutique et le babillage des gardiens qui échangent sur leurs achats de cadeaux de Noël. Les signes « Please do not sit », l’éclairage tamisé en vue de conserver les oeuvres plus fragiles, les traces laissées sur le mur par des accrochages précédents, des chiffres sur les cadres qui font référence à des anciens inventaires, tous ces éléments me rappellent que je ne suis pas l’invité de Lord Leighton qui m’aurait autorisé à circuler à ma guise dans sa maison-atelier pendant son absence. Ces interventions indiquent bien que je suis dans un musée, alors que les matériaux des riches collections de carreaux de céramique et de tapis, les bois rares et ouvragés, la fontaine, les différentes sources d’éclairage naturel, les volumes et l’atmosphère de chaque pièce renseignent et permettent d’apprécier un cadre particulier de vie et de création. Les conditions physiques du lieu enrichissent l’expérience et la connaissance de l’artiste et de son oeuvre présentés dans un environnement qui en préserve les conditions historiques de production.
La visite de quelques ateliers-musées permet de constater les différentes approches adoptées par les concepteurs de ces musées, de plus en plus populaires il faut le dire, et qui doivent concilier l’intimité et la domesticité de l’espace avec son nouveau rôle public. Ainsi, l’on découvre des mises en valeur qui insistent sur l’une ou l’autre de ces quatre fonctions, représentant autant de types d’ateliers-musées, alors que certains offrent un caractère mixte[22].
Je qualifierais d’atelier-musée DÉCOR, une mise en valeur qui réduit la place du visiteur à celui de figurant circulant dans une scénographie parfaitement orchestrée. À la manière des period rooms qui reconstituent un environnement physique en réunissant dans un même espace des objets contemporains, ce musée propose une manifestation compressée du temps dans un espace limité. C’est le cas d’Olana, par exemple, la résidence-atelier-musée du peintre américain luministe F. Edwin Church[23]. La vision et la déambulation y sont entraînées et maintenues dans un parcours guidé et linéaire qui se déploie comme une suite de cartes postales rigoureusement mises en place. La muséographie semble d’ailleurs s’inspirer de photographies d’époque, alors que pour répondre à un besoin de clarté et de lisibilité de l’image et pour satisfaire un goût de l’ostentation, les objets étaient organisés en fonction des exigences de la lentille d’une caméra fixe. Ici, c’est la reconstitution d’un stéréotype de l’atelier qui semble prévaloir, alors que les mises en espace et les points de vue sont délimités au moyen de tapis protecteurs, de cordons et de signes interdisant l’entrée[24]. Le nombre d’oeuvres exposées est limité et elles semblent jouer le même rôle qu’un autre accessoire dans la mise en valeur de cette demeure dont le propriétaire a connu la gloire. Le point de vue dominant sur la très belle région du fleuve Hudson, le jardin et les dépendances constituent un ensemble qui amplifie la vision grandiose de l’univers que transmet l’art de Church.
Pour sa part, l’atelier-musée GALERIE met également en scène quelques oeuvres. Il hésite entre une conception photogénique de l’atelier et une expérience de visite dans une galerie d’art minutieusement aménagée. Les traces de l’atelier sont visibles, mais elles ne s’imposent pas en regard d’une présentation soignée d’oeuvres choisies, comme c’est le cas par exemple à St. Ives (Cornouailles) au Barbara Hepworth Museum and Sculpture Garden. L’administration du musée a été confiée au Tate Museum en 1980, et celui-ci présente une sélection d’oeuvres comme s’il s’agissait d’une de ses salles. L’aura de l’atelier, son volume et sa lumière ajoutent à la lecture des oeuvres qui y semblent magnifiquement adaptées. Leur proximité avec un jardin, dont les formes et les volumes des plantes peuvent alors être lus comme une extension des sculptures de l’artiste, ajoute au plaisir de saisir la qualité organique du travail de création en interaction avec son milieu physique.
L’atelier-musée INVENTAIRE accumule la plus grande partie de la production et permet à celui qui s’y intéresse de plonger dans les labyrinthes de la création, en reprenant les stratégies du désordre, de diversité, de durée et de complexité auxquelles elle est associée. Ce type de musée insiste sur la multiplicité des formes créées par l’artiste. Il prend l’allure d’une réserve ouverte où le corps est davantage sollicité par une déambulation désarticulée faite d’allers-retours et de contorsions dans cet amoncellement où se côtoient les pièces finies et les projets inachevés. La découverte de l’oeuvre, dans l’épaisseur et le temps de sa production, est alors mise en évidence dans la saisie d’une production qui évolue et hésite, reprend et réaffirme un geste et une idée. L’atelier-musée du sculpteur suédois Carl Eldh à Stockholm offre une démonstration intéressante de ce type de présentation dans un atelier qui réunit principalement deux salles dont l’une fait figure d’entrepôt et réunit les ébauches et les oeuvres terminées.
Enfin, l’atelier-musée PROCESSUS insiste pour présenter les différentes étapes de la réalisation matérielle d’une oeuvre et soulève au passage des aspects reliés à la conception en présentant des dessins préparatoires, des esquisses et des maquettes, différents états d’une production en chantier. Le nombre de pièces réunies est limité, le propos est organisé autour de la démonstration de la création de l’oeuvre, dans une approche qui permet de rendre perceptible le cheminement poïétique qui conduit à quelques réalisations. Un peu comme si l’artiste préparait une démonstration de son travail en cours. La sensualité des matériaux, la variété des résultats obtenus par différents outils et au moyen de techniques différentes, l’échelle des oeuvres présentées et leur présence physique dans cet environnement qui autorise une certaine proximité, tous ces éléments rejoignent d’autres parties de l’expérience d’appréciation et de lecture de l’oeuvre et mettent à profit la personnalité du visiteur dans sa capacité de s’approcher de l’artiste au travail. C’est le parti qu’ont pris les conservateurs du musée consacré au sculpteur américain Daniel Chester French qui, en réunissant dans le grand atelier les pièces qui se rapportent aux commandes monumentales, présentent l’équipement nécessaire à la réalisation de ces pièces. Ici, l’architecture de l’atelier est soulignée, dans le sens où des aménagements spécifiques facilitent le travail en cours.
Ce qui caractérise l’atelier-musée, c’est justement sa capacité de rendre compte du moment de la création de l’oeuvre en jetant un pont entre le potentiel de ce lieu comme espace de recherche et d’invention et celui de la conservation et de la réception du travail. En ce sens, l’atelier réalise le projet de Paul Valéry (1939) pour qui seules comptent les conditions où l’oeuvre passe « du pensable au sensible ». Le poète et philosophe français a caractérisé et nommé poïétique[25] ce moment :
De l’action humaine complète, depuis ses racines psychiques et physiologiques, jusqu’à ses entreprises sur la matière ou sur les individus. D’une part, l’étude de l’invention et de la composition, le rôle du hasard, celui de la réflexion, celui de l’imitation ; celui de la culture et du milieu et d’autre part, l’examen et l’analyse des techniques, procédés, instruments, matériaux, moyens et suppôts d’action.
Valéry 1939 : 254
Ce sont ces étapes, méthodes, moyens et secrets que l’atelier permet, condense et retient.
L’atelier est le lieu d’échange par excellence, un espace de porosité où les oeuvres se nourrissent l’une l’autre, où le temps et l’espace — la durée du lieu — sont compressés dans un objet par le travail de recherche et de création qui implique la totalité du corps et de l’esprit du créateur (Latour 2001). À son tour, le visiteur est invité à partager l’émotion de ce moment et de cet espace, à le réinventer avec les outils mêmes que lui livre l’artiste.
L’atelier-musée offre la capacité d’être dans les oeuvres et non seulement devant elles. La taille réduite de ces musées, la proximité et la distance des oeuvres par leur disposition irrégulière, leur matérialité dans l’espace intime, la potentialité du toucher, tous ces facteurs accentuent le sentiment d’être là, encore plus présent dans l’expérience. Les modalités de perception (tactile, kinesthésique, sonore, posturale, olfactive) sont stimulées d’une manière surdéterminée dans cet espace. Circuler, par exemple, dans l’atelier qu’a imaginé et construit en 1927, à Nicolet, le peintre-graveur Rodolphe Duguay, c’est pénétrer dans son rêve et son projet, dans leurs limites et leurs ambitions (Lacroix 2004 : 293). Le corps appréhende d’instinct la nature des déplacements physiques, le rythme des activités, il capte l’intensité de l’environnement auditif et les odeurs qui imprègnent encore les murs et les objets.
Toutes ces sensations invitent à lire les oeuvres d’art à l’atelier comme des matériaux propices à nourrir les capacités proprioperceptives du visiteur-spectateur. Comme le suggère Jocelyne Lupien, l’art offrirait une forme de « déverrouillage » sensoriel du corps qui nous fait « mieux comprendre » la densité du monde intérieur, psychique et affectif, qui nous habite (2003). Il serait ainsi un intervalle qui permettrait de déconstruire les habitudes culturelles et les codes dans lesquels nous confinons trop souvent nos sens (Classen 1999 : 65 et seq.). L’oeuvre perçu(e) dans l’espace de l’atelier décuplerait nos capacités de l’investir de façon plurielle et polysensorielle. Les multiples informations qu’ajouterait la possibilité de recréer l’oeuvre, de la faire revivre en conjonction avec toutes les ressources physiques et sensibles qu’offre son environnement « naturel », contribueraient ainsi de façon unique à l’interprétation et à la construction de sens.
C’est parce qu’il offre la possibilité de la réalisation d’une expérience intime et personnelle que l’atelier-musée rejoint le visiteur d’aujourd’hui toujours à l’affût de consommer un produit original[26]. La métaphore, souvent citée, de l’atelier comme laboratoire induit la notion d’un travail d’expérimentation où les manipulations conduisent aux découvertes et aux démonstrations que le visiteur est appelé à reconstituer à son tour (Alpers 1998). L’atelier se présente au sens propre, comme au sens figuré, comme un lieu de cumul, l’espace de confluence de l’extérieur et de l’intérieur, de l’environnement et du processus de création[27]. Parce qu’il demeure le témoin des marqueurs de l’activité créatrice, l’atelier-musée peut se révéler le théâtre d’une expérience polysensorielle unique et permettre d’approfondir notre rapport à l’oeuvre et à ses étapes, de la recomposer en quelque sorte, alors qu’elle est au stade de l’élaboration et de la conceptualisation.
Appendices
Notes
-
[1]
La recherche pour cet article a bénéficié d’une subvention du CRSH dans le cadre du projet The Sense Lives of Things : A Cross-Disciplinary Investigation into the Sensory Dimensions of Objects in Practices of Collecting and Display, dirigé par David Howes (Université Concordia).
-
[2]
Comme le souligne Peppiat en présentant les ateliers de Francis Bacon : « Une certaine stabilité est bien sûr indispensable à toute création prolongée. Pour les peintres, c’est particulièrement important dans la mesure où leur travail dépend beaucoup de la lumière, de l’espace et de matériaux immédiatement disponibles » (1999 : 18-19).
-
[3]
Mes recherches sur les artistes montréalais des 19e et 20e siècles montrent que l’atelier joue un rôle important de diffusion (Lacroix 1996 : 64 et note 48 et Lacroix 2002 : 74-76). On lira avec intérêt l’article de W. Abell (1946) qui décrit longuement l’importance de l’architecture dans la lecture des oeuvres de Brandtner à son atelier du 1154 Beaver Hall Square, à Montréal.
-
[4]
Ces ateliers constituent l’héritage des grands ateliers qui ont vu le jour à la Renaissance et qui permettaient d’accueillir des apprentis et des assistants qui secondaient le maître. Peu d’exemples survivent ; parmi ceux-ci, notons la maison grandement restaurée de Rubens (Rubenshuis) à Anvers. Une riche iconographie est cependant réunie par Baticle et Georgel (1976). Les artistes qui connaissent un grand succès commercial maintiennent cette tradition toujours vivante, transformant des lieux industriels ou commerciaux en espaces de travail. À la suite d’Andy Warhol, Jeff Koons, Louise Bourgeois ou Anselm Kieffer, par exemple, ont aménagé des vastes ateliers de travail dont l’organisation est adaptée à la production et la mise en marché de leurs oeuvres très en demande (Auris 1994).
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[5]
Sur la question de l’architecture des ateliers au 19e siècle voir Dackers (1999) et Lemaire (2004).
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[6]
Pour sa part, Philippe Junod (1998) défend l’idée de « L’atelier comme autoportrait ». La notion d’une fusion entre le lieu, l’artiste et l’oeuvre est reprise par Peppiatt : « Si Reece Mews [Bacon y eut son atelier au no 7] avait quelque chose de magique, c’est parce que Bacon l’avait marqué de son individualisme excentrique et que le pouvoir des images qu’il y avait créées subsistait à l’évidence dans les éclaboussures de peinture montant comme autant de gerbes le long des murs de l’atelier et dans la fascinante marée d’images couvrant le sol, où l’on s’enfonçait jusqu’aux chevilles » (Peppiatt 1999 : 28). « L’étonnante couche de déchets qui recouvrait le sol de l’atelier de Bacon était faite de vieilles chaussures, de coûteux livres d’art, de pinceaux desséchés, de journaux, de pulls de cachemire coagulés de peinture sèche, passeport périmé, lunettes de lecture, bombes d’acrylique, assiettes ou poêles ayant servi de palettes d’urgence. […] de quantité de photographies, maculées de peinture et froissées […]. En un sens la vie imaginative de Bacon dépendait totalement pour reprendre l’expression de T. S. Eliot, de cet « amoncellement d’images brisées » (il parlait lui-même, avec un accent plus sardonique, de son “tas de compost”) […] » (ibid. : 43-44). L’atelier de Francis Bacon a été démonté et recréé à la Hugh Lane Gallery de Dublin en 1998.
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[7]
En 1991, par exemple, l’historien et critique d’art Jean-Marc Poinsot consacrait un recueil d’études sur des artistes contemporains sous le titre L’atelier sans mur reprenant l’idée du musée imaginaire, le « museum without walls ». Le catalogue préparé par Wood (2001), offre un riche panorama des vues d’ateliers de sculpteurs modernes.
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[8]
Le texte est d’abord paru en 1979. Cette évaluation a conduit Buren à ne produire que des oeuvres in situ, des installations, qui refusent en quelque sorte l’espace de l’atelier ou qui en déplacent la conception dans l’espace d’exposition, et parfois de conservation, comme dans les deux plateaux et les colonnes qu’il a réalisés en 1986 au Palais-Royal à Paris.
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[9]
Victoria Newhouse (2005) suggère que dans le cas de l’exposition de l’oeuvre de certains artistes — elle discute le cas du peintre Jackson Pollock —, la solution qui consiste à recréer au musée les conditions de l’atelier entraîne encore un plus grand impact dans la lecture et l’appréciation de l’oeuvre.
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[10]
À titre d’exemple, citons : Convergent Territories. The Gallery as Artist’s Studio, exposition tenue à la Walter Phillips Gallery, Banff, 17 octobre - 7 novembre 1982. Trois artistes : Jun Kaneko, Tony Hepburn et Faye Munroe agissent et interagissent dans l’espace et réalisent une oeuvre-exposition collective avec la complicité du public. Charles Simonds était intervenu seul au même endroit en février 1982. France Gascon présentait pour sa part, en 1986, Cycle récent et autres indices, au Musée d’art contemporain de Montréal. L’exposition regroupait des oeuvres de Michel Goulet, Michel Martineau, Louise Robert et Serge Tousignant, ainsi que des fragments de leur table de travail. Pour des exemples plus récents voir, par exemple, la programmation du Musée d’art moderne et contemporain (MAMCO) de Genève.
Pour leur part, les pratiques relationnelles impliquent que l’artiste invite le public à une rencontre où l’oeuvre se produit dans un lieu qui devient alors une autre manifestation de l’atelier. Ainsi, le Musée national des beaux-arts du Québec a permis à l’artiste Massimo Guerrera de recréer dans une de ses salles, Darboral, un espace comparable au « corps » dans lequel l’artiste convie des invités qui, par leur apport (nourriture, interventions, échanges), modifient le lieu et l’oeuvre en cours. Le Musée s’est porté acquéreur de cette « oeuvre » et il sera intéressant de voir dans le futur comment elle sera amenée à évoluer en l’absence de l’artiste.
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[11]
Mark Francis écrivait à ce sujet : « Les artistes créent des oeuvres non plus seulement pour les musées, mais dans les musées, et avec les outils et les conditions d’espace du musée lui-même » (1989 : 73-75). Voir également Mcshine (1999).
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[12]
La conservation intacte par la Judd Foundation, après le décès de l’artiste Donald Judd en 1994, de ses deux espaces de travail, à Soho (New York) et à Marfa (Texas), en font de véritables sanctuaires de l’art minimal américain.
Le 1er juin 2006, le Musée national des beaux-arts du Québec annonçait qu’il venait de faire l’acquisition de la maison-atelier d’Alfred Pellan à Laval. Cette initiative de conserver le lieu de création d’un des maîtres de l’art moderne au Québec rejoint les efforts de la Fondation de la Maison Paul-Émile Borduas qui protège la maison conçue par l’artiste à Saint-Hilaire. De même, la mise sur pied récente de la Fondation Guido Molinari permettra la conservation, puis l’accessibilité, de l’atelier-résidence du peintre qui s’était installé dans une banque désaffectée de l’est de Montréal.
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[13]
Pensons, par exemple, à la formule Les Ateliers s’exposent qui, depuis les années 1990, organise à Montréal et à Québec des circuits de visites au cours desquelles le public est invité à rencontrer l’artiste dans son lieu de travail.
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[14]
Le Musée national Picasso à Paris (1985) a été mis sur pied par le gouvernement français à partir des oeuvres acquises par dation en paiement des droits de succession de l’artiste décédé en 1973. La collection est conservée dans un hôtel particulier du 17e siècle, l’Hôtel Salé, transformé et rénové pour les besoins de sa nouvelle destination. L’artiste barcelonais Juan Miró a participé à la création de la Fondation du même nom et à l’érection du musée qui interprète son oeuvre depuis 1975.
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[15]
Le Musée national Eugène Delacroix à Paris (1971) occupe l’espace de sa dernière résidence et de son atelier, même s’ils n’ont pas été conservés de manière intacte. Le musée, qui conserve peu d’oeuvres de l’artiste, organise, par le biais d’emprunts, des expositions temporaires consacrées à l’un ou l’autre aspect de sa production.
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[16]
Cette pensée est développée dès 1815 par Quatremère de Quincy (1989).
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[17]
Le Conseil international des musées, ICOM, consacrait sa conférence générale, tenue à Séoul en 2004, à ce sujet. On peut consulter la Convention pour la sauvegarde du patrimoine immatériel sur le site internet de l’UNESCO.
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[18]
Ainsi, par exemple, dans la partie de l’atelier-musée du Musée Norman Rockwell, ce sont des modèles de l’artiste qui témoignent de leur expérience et de leur rapport avec l’illustrateur.
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[19]
L’atelier de Constantin Brancusi fut cédé au Musée national d’art moderne et transformé en musée par l’architecte Renzo Piano sur l’esplanade du Centre Pompidou. Le catalogue, intitulé L’Atelier Brancusi, rend compte des libertés prises par l’architecte dans l’aménagement de l’atelier. Les deux textes que signe Marielle Tabart, « Histoire et fonction de l’atelier » et « L’atelier comme lieu de mémoire » sont remarquables par leur capacité d’évoquer la relation qui s’établit entre les oeuvres et leur espace de création.
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[20]
En général, le visiteur est soumis aux mêmes règles que dans les autres institutions muséales en ce qui a trait à la manière de se comporter. Cela prend la forme d’une série d’interdictions visant à assurer la conservation du patrimoine. La sécurité est assurée par le guide qui accompagne presque toujours le visiteur dans les pièces qui ne sont pas prévues pour accueillir plusieurs groupes de visiteurs à la fois.
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[21]
Que l’on pense au parcours balisé, mais également à la création de réserves ou de locaux administratifs qui dénaturent l’espace.
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[22]
Le cas de Milesgarden, à proximité de Stockholm, offre un exemple intéressant de cette mixité des approches dans la présentation d’un oeuvre. Le sculpteur Carl Miles a construit sa résidence-atelier-jardin dans l’espoir que cet ensemble devienne un musée consacré à sa production. Ainsi, les différentes salles ont été pensées pour créer des environnements variés en vue d’apprécier les étapes de réalisation de sa production, son résultat, ainsi que sa collection personnelle.
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[23]
Dans le cas d’Olana, par exemple, un pavillon secondaire offre une présentation audiovisuelle et une exposition didactique qui complètent l’information sur la vie et la carrière de Church.
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[24]
L’atelier de Paul Cézanne à Aix-en-Provence a ainsi été réaménagé en une suite de « tableaux » fin de recevoir les nombreux touristes qui convergent vers ce lieu perçu comme le véritable témoin de l’origine de l’art moderne.
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[25]
Valéry explique : « La poïétique étudie le processus d’invention, le rôle du hasard, celui de la réflexion, qui nourrit, et de l’imitation germinative. Elle considère la culture et le milieu, examine et analyse les techniques et les moyens du support d’action » (1939 : 254). Voir également Lussier (1986) et Passeron (1989).
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[26]
Sur le rôle, l’importance et la valeur de l’expérience comme moteur de la visite de musée, voir Montpetit (2005).
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[27]
L’artiste multidisciplinaire Françoise Sullivan déclare : « Le monde est notre atelier. Le monde est le lieu de notre expérience. Le monde se concentre dans l’atelier et puis l’atelier se concentre dans le tableau » (1986 : 11).
Lise Gauvin, qui a rencontré Jean-Paul Riopelle dans ses différents ateliers, écrit au sujet de celui de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson : « Cet atelier, construit sur le modèle d’une grange traditionnelle dont les murs auraient été remplacés par des fenêtres, laisse largement entrer la lumière, à tel point qu’on a l’impression d’être au centre du paysage, à l’intérieur et à l’extérieur de ce lieu parfaitement intégré à une nature encore à demi sauvage » (Gauvin 2002 : 15). Voir également Lawless (1990).
Références
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