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Saisir la dynamique des cultures francophones du continent nord-américain dans le temps et l’espace, voilà qui n’est pas une mince tâche! Des cultures en contact constitue un effort notable pour mieux « rendre compte du phénomène interculturel dans les différentes communautés francophones de l’Amérique du Nord » (p. 6-7). Et comme les directeurs de cet imposant recueil le mentionnent en introduction, il serait erroné de croire que ces collectivités se sont développées isolées les unes des autres et de manière autarcique par rapport aux cultures avoisinantes. Regroupant 31 textes, ce livre est divisé en six parties.
D’abord, trois textes se succèdent sur la notion d’identité. On y démontre notamment que diversité culturelle et identité ne sont pas nécessairement incompatibles, qu’elles peuvent même être intimement liées. Ainsi, par exemple, Paul Dubé explique que les jeunes Franco-Manitobains, tout en étant conscients de leur appartenance à une communauté minoritaire, n’en sont pas moins ouverts sur le reste du monde pour forger leur propre identité : « […] la non-mémoire et la déterritorialisation de l’identité supposent que l’imaginaire des jeunes a effacé les frontières et se nourrit culturellement, faute de verticalité, d’une horizontalité large et vaste […] » (p. 38). La seconde partie contient quant à elle cinq textes, dont chacun se concentre sur un aspect de l’interculturalité canadienne-française dans l’histoire, des premières rencontres avec les Amérindiens durant le XVIIe siècle jusqu’à la Révolution tranquille. Par la suite, cinq auteurs analysent différentes particularités de la langue française en Amérique du Nord. Le métissage linguistique – en l’occurrence le recours toujours plus fréquent au vocabulaire anglais – complexifie les données, car l’on peut constater la « non-coïncidence des frontières linguistiques et des frontières culturelles », même si un « changement de langue n’entraîne pas toujours et partout un changement de culture » (p. 201-202). Dans la quatrième partie, intitulée « Amériques », différentes oeuvres littéraires, artistiques et cinématographiques sont analysées. Ces études permettent de prendre conscience qu’au-delà du cléricalisme conservateur (et pourvu de tendances narcissiques) de la période post-rébellion de 1837-1838, plusieurs « intellectuels ont été amenés à s’inscrire en faux devant un discours dominant qui a longtemps fait de l’anti-américanisme l’une de ses pierres d’assise » (p. 300). Dans les années 1930, un artiste comme Jean-Paul Lemieux refusait de « considérer la culture française comme la matrice idéale et ses avant-gardes, comme les seuls modèles à suivre » (p. 315). Bref, le Canada français des XIXe et XXe siècles n’était peut-être pas cette terre tournée uniquement vers le passé, vers la préservation des traits culturels d’outre-mer. Les cinquième et sixième parties portent respectivement sur le théâtre et la littérature. De toute évidence, l’hybridité culturelle caractérise la plupart des oeuvres étudiées, qu’elle fût souhaitée ou non par leurs auteurs.
La principale force de ce livre réside probablement dans l’ensemble des analyses linguistiques et littéraires minutieuses – incluant des moyens d’expression comme le cinéma et le théâtre – qu’il regroupe. Ces analyses permettent de saisir les différences grammaticales que l’on trouve d’une communauté francophone minoritaire à l’autre ; le français écrit et parlé en Acadie n’est pas exactement le même que celui des Franco-Ontariens. Par surcroît, elles illustrent toutes le fait que la peur de la disparition culturelle agit comme source d’énergie (renouvelable). Par exemple, « […] le théâtre est pour les francophones un lieu privilégié d’affirmation et de résistance culturelles. Cette fonction identitaire de la parole théâtrale n’a pas d’équivalent au Canada anglais, où on ressent moins le besoin d’exercer sa langue haut et fort pour en proclamer l’existence » (p. 411). Mais rien n’est jamais gagné pour ces collectivités minoritaires et chaque génération doit faire sa contribution.
Des cultures en contact oblige par ailleurs à revoir notre cadre d’analyse lorsqu’il est question de mieux comprendre la société québécoise ; celle-ci ne s’est pas formée uniquement de l’intérieur, dans ses limites géographiques actuelles, en vase clos. Cette citation de Michael Cronin, qui évoque la transmission des savoirs en Irlande, s’applique très bien au cas du Québec : « Cette approche transnationale et microcosmopolite de la traduction [du gaélique médiéval au gaélique contemporain] n’est pas sans rappeler que, souvent, des dimensions fondamentales de l’histoire d’un pays sont oubliées par les historiens qui travaillent dans un cadre trop étroitement nationaliste » (p. 27). Si depuis la fin des années 1960, le terme « Canadiens français » a disparu au profit de « Québécois » sur le territoire du Québec, forçant d’ailleurs les francophones du reste du Canada et du continent à se redéfinir une identité (ex. : Franco-Ontariens, Franco-Manitobains, etc.) (p. 394), cela ne doit pas occulter le rapport étroit qu’ont entretenu les francophones du Québec avec ceux du reste du continent avant la Révolution tranquille. Un très bon exemple est l’écrivain franco-américain Robert Choquette (Né au New Hampshire en 1905) qui, de par son expérience littéraire acquise en grande partie au sud de la frontière, contribua « au renouvellement des sources d’inspiration de la littérature québécoise […] » dans les années 1920 (p. 304). Cela est sans compter les emprunts aux cultures voisines au fil du temps, mais également de nos jours. Alors qu’en Grande-Bretagne on n’hésite pas à parler de la politique comme d’un sport (terrain de jeu = parlement ; règles pré-établies ; membres actifs [joueurs = élus] et membres passifs [spectateurs = citoyens]), il se trouve que les institutions politiques du Québec découlent directement des britanniques (p. 149-170).
Les différentes communautés francophones en Amérique du Nord – le Québec francophone n’y échappant guère – ne peuvent être dissociées les unes des autres, pas plus que l’on ne saurait prétendre les expliquer sans les replacer dans un tout beaucoup plus large, qui peut être tantôt le continent nord-américain dans son ensemble (de par ses relations de toutes sortes avec les États-Unis), tantôt le reste du monde (relations avec les immigrants). Pour Hélène Destrempes, cette approche transnationale et transculturelle s’appliquerait également aux relations entre Canadiens français et Amérindiens durant le XIXe siècle : « Du début à la fin du XIXe siècle, il est évident que la constitution d’une littérature nationale, de part et d’autre du 45e parallèle, a contribué à doter les discours littéraires canadien-français et américain d’un mouvement comparable de récupération de la figure de l’Indien » (p. 124), de sorte que dans la population en général, l’on assista à un renforcement du racisme envers les premiers peuples (p. 120-121). Dans ce cas toutefois, l’auteure néglige certaines réalités du Canada français de l’époque que l’on ne retrouve pas aux États-Unis, le contexte de la survivance culturelle en étant probablement le meilleur exemple. Il a déjà été démontré que ses répercussions sur la figure négative de l’Amérindien dans la littérature francophone de cette période ne doivent pas être sous-estimées (voir Gélinas 2002, 2004).
Malgré son volume imposant, Des cultures en contact laisse dans l’ombre certaines facettes de la réalité francophone en Amérique du Nord. Dans une perspective historique, il aurait été intéressant de trouver des informations sur la vie des Canadiens français ayant quitté leur mère-patrie pour le Michigan durant les dernières décennies du XIXe siècle. On dénombrait pas moins de 32 000 Canadiens français au Michigan en 1900, donc un peu moins qu’au New Hampshire, mais plus que dans le Maine (DuLong 2001 : 23). Ont-ils, à l’instar de leurs homologues de la Nouvelle-Angleterre, eu un impact quelconque sur la littérature québécoise? Plus largement, quels étaient les liens entretenus par ces émigrants avec le Québec? Dans une perspective contemporaine, il faudra bientôt se pencher sur la présence québécoise en Floride. Que ces gens demeurent au soleil de façon permanente ou qu’ils reviennent au Québec périodiquement, cela a forcément des conséquences sur leur français parlé et écrit, voire sur leur identité. Enfin, l’avènement des nouvelles technologies, avec Internet en première ligne, permet peut-être aux minorités francophones de l’Amérique du Nord de demeurer plus que jamais en contact entre elles ou avec le Québec.
L’objectif général du livre, dresser un tableau de l’interculturalisme des collectivités francophones du continent nord-américain, est somme toute grandement atteint. De par la variété des problématiques abordées, le lecteur pourra y puiser des données sur ce qui l’intéresse plus particulièrement. Des cultures en contact s’adresse certes aux historiens et aux anthropologues, mais peut-être davantage aux linguistes et aux spécialistes de la littérature.
Appendices
Références
- DuLong J. P., 2001, French Canadians in Michigan. East Lansing, Michigan State University Press.
- Gélinas C., 2002, « Amérindiens, Inuits et Euroquébécois, de la Confédération à la Révolution tranquille (1867-1960) », Recherches amérindiennes au Québec, 32, 2 : 3-16.
- —, 2004, « L’Amérindien dans la littérature descriptive canadienne-française, 1850-1900 », Recherches amérindiennes au Québec, 34, 1 : 93-102.