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Cet ouvrage examine, à travers le 20e siècle, le processus de restructuration agraire et cherche à démontrer comment les luttes politiques de groupes paysans sont au centre de ce processus de production et de ses transformations, insistant ainsi sur les rapports existant entre le global et le local. Pour ce faire, l’auteur nous présente le cas de la production bananière en Équateur, plus particulièrement dans la ville de Tenguel, et les changements qui s’y sont produits. On observe le passage d’un type de production et de mise en marché fondé sur un système d’enclave étrangère, que les paysans locaux se réapproprient ensuite à travers des réformes agraires, avant de passer à un système d’agriculture à contrat. L’auteur présente une analyse historique et ethnographique de ces formes agraires dans le contexte récent des transformations politiques et économiques mondiales. Dans une approche d’économie politique, Striffler offre une analyse dynamique de l’agency des acteurs, où les individus sont au centre de processus plus larges, révélant le contenu social et politique du capitalisme et de l’État nation.
Étudiant avec minutie le cas de Tenguel, Striffler se base sur des sources documentaires historiques riches et nombreuses. De plus, l’auteur bonifie son analyse à l’aide d’extraits d’entrevues, puisés dans la centaine qu’il a réalisées lors de son travail de terrain en 1994-1995 avec des travailleurs de la plantation, des administrateurs et organisateurs, des avocats et des représentants de l’État. Striffler se penche dans un premier temps sur l’émergence et le déclin du système d’enclave économique, gérée par la multinationale United Fruit Company, ayant fait de l’Équateur dans les années 1950 le plus gros producteur bananier au monde. L’auteur examine comment, dans les années 1930, la United Fruit a construit de toutes pièces le village de Tenguel et a organisé le travail et la vie des paysans à travers un système de contrôle très efficace, engageant la collaboration de l’État. Striffler présente ensuite comment, en 1962, les travailleurs de la compagnie se rebellent, contribuant ainsi au processus ayant mené à l’expulsion de la United Fruit puis à deux réformes agraires.
Dans la deuxième partie du livre, l’auteur décrit le fonctionnement du système d’agriculture à contrat et explique comment les paysans ont perdu la possession de la terre gagnée lors des réformes agraires au profit des entrepreneurs locaux et de la logique dominatrice du capitalisme mondial. La contractualisation de la production a entraîné la dissolution des coopératives de travail agraire, et est aussi liée à une utilisation poussée de la technologie dans la production, impliquant des manipulations beaucoup plus délicates et coûteuses. Dans ce contexte, les paysans se voient liés aux compagnies contractantes (Dole Fruit, Del Monte, Chiquita, Bonita Banana) dans un système de prêts sur les récoltes futures, permettant à celles-ci de contrôler tous les aspects de la production ; les petits producteurs se voient alors étranglés par les dettes et contraints de vendre leurs terres aux petits capitalistes locaux. L’émergence de l’agriculture à contrat est présentée comme un symptôme du déclin du mouvement paysan, et l’auteur insiste sur l’importance d’analyser ces « échecs ». L’étude présente clairement comment des organisations locales ont pu transformer un système de production, et comment un nouveau système de production à contrat, appuyé par l’État, transforme à son tour des organisations sociales, les désorganisant à travers un système d’emploi instable et temporaire, où les employeurs sont « invisibles », intouchables et inaccessibles, et où le travail de la plantation est profondément transformé, brisant le lien identitaire que les paysans entretenaient avec ce mode de vie.
L’ouvrage de Striffler est une contribution originale et intéressante aux récentes études sur la paysannerie et les sociétés rurales. En effet, il s’inscrit dans la foulée des ouvrages traitant du monde paysan comme un ensemble multidimensionnel, où les paysans ont plusieurs voix et ne représentent pas un bloc monolithique. De la même manière, le Capital et l’État sont présentés comme étant des groupes hétérogènes ; l’agency des acteurs y est explicitée, et non pas décrite comme une caractéristique propre uniquement à la paysannerie. L’État et le Capital sont présentés comme fragmentés, à travers entre autres des représentants des compagnies contractantes et de l’État, des petits entrepreneurs locaux, des fraudeurs, ministres, membres de la force de police locale, inspecteurs et officiers de réforme agraire. Cet ouvrage, qui intéressera tous ceux qui s’intéressent à la paysannerie et à l’économie politique, est nécessaire et actuel. Il resitue et affine la notion de pénétration du capital dans les secteurs agraires et démontre la pertinence de ce genre d’études dans le contexte actuel.