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Ce collectif dirigé par Charles Zerner, professeur d’études environnementales au Collège Sarah Lawrence de New York, s’inscrit clairement au coeur des préoccupations actuelles de l’écologie politique. Le thème central de l’ouvrage concerne les revendications territoriales et les droits d’accès aux ressources naturelles des peuples autochtones de Malaisie et d’Indonésie, revendications qui se situent à l’intersection de la prestation culturelle, de la poésie et de la politique.
Les riches exemples ethnographiques formant le corps de ce volume permettent d’explorer des contextes sociaux où différentes formes de prestations (chants, musique, poésie, rituels) illustrant comment ces sociétés sont reliées à la nature et au territoire. Souvent relégués au statut de divertissements par les gouvernements, agences internationales et instances juridiques, ces spectacles revêtent un caractère politique très fort pour ceux qui possèdent les clés nécessaires pour en comprendre le sens. Cet ouvrage amène donc le lecteur à réfléchir sur la façon dont se répercute la confrontation de postures épistémologiques et ontologiques différentes dans le cadre des revendications territoriales, lorsque se construisent ces revendications et quand différents acteurs les interprètent.
Zerner et ses collègues (Anna Lowenhaupt Tsing, Marina Roseman, Stephanie Gorson Fried, Nancy Lee Peluso, Donald Brenneis et Jane Monnig Atkinson) traitent de la question selon trois axes : la construction culturelle de la nature en tant qu’artefact ; la construction culturelle de la nature sous une forme idéelle ; et l’aspect politique sous-jacent aux modes de représentation des relations à la nature, aux ressources et au territoire. Ainsi, dans la foulée des écrits d’écologie politique, les différents auteurs prennent soin de déconstruire les idées reçues concernant la « forêt », la « jungle », la « mer », les « ressources naturelles ». Ils nous font voir dans quelle mesure des concepts tels que le « sauvage », l’« originel », l’« intact » contribuent à rendre invisibles les relations qu’entretiennent les populations locales avec leur milieu naturel, rendant également invisibles l’occupation, l’utilisation et la gestion qu’elles font de ces territoires (Zerner, Peluso). Ces qualificatifs risquent d’entraîner une perte de légitimité de certaines revendications, ce qui incite des groupes d’intérêts, nationaux ou internationaux, à revendiquer le droit d’exploiter et de développer ces zones dites inoccupées.
Les délibérations concernant les requêtes relatives aux territoires et à l’accès aux ressources sont donc présentées dans ce livre comme des négociations interculturelles. S’y expriment différentes symboliques et conceptions matérielles associées à la nature à travers de formes multiples d’expressions culturelles (rituelles, artistiques, scientifiques, juridiques, etc.) et où les rapports de forces sont inégaux. La traduction unidirectionnelle des revendications faites par les populations locales, revendications dites « charismatiques » (Tsing), dans les termes juridiques, scientifiques et économiques issus de la logique occidentale, est une illustration des rapports de forces en présence. La réflexion suscitée, entre autres par Roseman, Brenneis et Atkinson, sur « l’art » de la cartographie est une illustration éloquente de la manière selon laquelle les institutions occidentales imposent la traduction des réalités locales à travers une grille d’analyse présentée comme neutre. Incorporant en elle-même les conventions culturelles de la société dont elle est issue, la cartographie a souvent pour effet d’effacer des relations aux lieux ne pouvant s’exprimer de façon visuelle.
Actuellement, la traduction des revendications charismatiques sous une forme bureaucratique, sorte de « résistance par la convergence » (p. 15), est une stratégie employée par certains groupes pour faire reconnaître leurs droits (chapitre de Fried, p. 142). Néanmoins, celle-ci entraîne nécessairement une perte de sens et des distorsions qui s’effectuent souvent au détriment des groupes locaux. Par conséquent, l’enjeu souligné par les auteurs se situe au-delà de la reconnaissance de l’équivalence des revendications en elles-mêmes lorsque ces dernières sont traduites sous une forme bureaucratique. Cet enjeu réside plutôt dans la nécessité de reconnaître la légitimité politique de leurs formes ainsi que la pluralité des manières par lesquelles différents groupes affirment ou réaffirment leur appartenance, leurs relations et leurs droits relativement à un lieu donné.
Pris dans son ensemble, cet ouvrage nourrit la réflexion sur les notions de propriété, le rapport au territoire et à la ressource et le concept de droit y étant associé, tout en prenant un soin particulier à ne pas tendre vers l’homogénéisation des populations locales, de leurs relations à la nature et de leurs revendications. En somme, les thèmes abordés par les auteurs de ce collectif, bien qu’inspirés par le contexte malais et indonésien, touchent à des questions qui dépassent largement ces frontières géographiques.