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Dans le numéro de Sociologie et Sociétés consacré à la citoyenneté et à l’identité sociale, l’essentiel des textes traite de la place toujours en mouvement que chaque individu, par sa participation ou par son exclusion sociale, occupe au sein de la démocratie moderne. Thériault présente d’abord le concept de citoyenneté, en tant qu’objet sociologique, comme un processus de vie collective qui est caractérisé par deux états : celui du citoyen politique (normativité), mais aussi celui du citoyen social (factualité). Cette présentation introduit le texte de Dominique Schnapper qui tente d’explorer comment il serait possible de concilier les différences au sein de l’unité des sociétés modernes. Pour ce faire, elle étudie les différentes formes de la sociologie des relations interethniques afin de démontrer le caractère national des terminologies. Schnapper conclut en proposant le terme « collectivité historique » pour décrire les populations ethniquement différentes du groupe dominant.
L’article qui suit, de Christopher McAll, tente d’expliquer la construction et l’évolution de la citoyenneté à travers le mercantilisme, le libéralisme et le néolibéralisme. La citoyenneté, pour l’auteur, n’existe que dans la mesure où les acteurs sociaux ont la capacité de s’approprier les lois du marché, faussement comprises comme naturelles. Dans une perspective plus « politisante », le texte de Bourque, Duchastel et Pineault explore les modifications qu’a subies la citoyenneté, de l’État libéral à l’État néo-libéral, en passant par l’État-providence. Les auteurs expliquent comment la citoyenneté est devenue corporative et délégitimise ainsi le pouvoir législatif au profit des instances techno-juridiques. Cette mutation du rapport entre le citoyen et la nation menacerait l’espace public en donnant au droit une place qui empiète sur la démocratie. Nicole Laurin aborde la problématique des modifications de la citoyenneté à travers les institutions comme étant la trame de l’existence sociale qui met de l’ordre dans les relations entre les individus. Or, à notre époque, les institutions intermédiaires sont démantelées et remplacées par des systèmes (le système scolaire par rapport à l’école, par exemple). L’invisibilisation de la classe dominant ces institutions crée un idéal qui mène les agents sociaux à se rassembler selon leur identité en communautés et non autour d’une cause commune. Ces bouleversements ont fait naître des citoyens et des citoyennes à la poursuite d’eux-mêmes (identité), dominés par des forces invisibles (systèmes).
Tahon, quant à elle, estime que le contrôle de la fécondité par les femmes a permis une révolution au coeur de l’espace politique dominé par les hommes. Il permet de dissocier la femme de la mère, ce qui favorise l’avènement d’une citoyenneté au féminin plus représentative. La parité entre les sexes doit s’actualiser sur des différences entre les hommes et les femmes conçues comme des constructions sociales. Les femmes doivent donc faire un effort pour que leur potentiel représentatif au sein du processus démocratique ne soit pas restreint. Préoccupés par une autre catégorie d’individus souvent considérée comme des citoyens différents ou n’ayant pas les mêmes droits, Ellefsen, Hamel et Wilkins proposent un texte sur la citoyenneté moderne des jeunes. Ces auteurs essaient de montrer l’évolution de la relation entre le travail et la citoyenneté chez les jeunes pour mettre en évidence la précarité actuelle des emplois qu’ils occupent comme un facteur important qui détériore leur droit de cité. Les jeunes d’aujourd’hui doivent compter sur leur propre initiative pour s’intégrer à la communauté de citoyens.
Dans un bloc sur l’immigration au Canada, Françoise Houle aborde la citoyenneté à partir de l’évolution de la politique du multiculturalisme au Canada adoptée par le gouvernement de Trudeau en 1971. Elle démontre que les orientations actuelles du multiculturalisme canadien favorisent l’intégration des éléments culturels, propres aux groupes minoritaires, à l’ensemble des valeurs communes canadiennes (espace public). L’article de Micheline Labelle et de Daniel Salée reprend le thème de l’unité et de la cohésion sociale canadienne en soulignant, eux aussi, l’évolution de la politique du multiculturalisme au Canada. Contrairement à Houle, ces auteurs croient que la valorisation identitaire actuelle et les nouvelles normes implantées par le gouvernement fédéral raffermissent les conditions de citoyenneté et n’offrent pas nécessairement plus de place aux groupes minoritaires au sein de l’espace public. Enfin, pour conclure la partie sur l’immigration au Canada, Enakshi Dua montre comment, à partir de l’exemple des immigrants indiens, les pratiques racistes d’exclusion du XIXe siècle et la réglementation moderne de l’immigration sont liées. Sa démonstration permet de comprendre que la possibilité d’attribuer la citoyenneté à certains individus constitue un des pouvoirs fondamentaux de l’État sur les populations. Selon l’auteur, ce pouvoir est orienté au Canada par des pratiques racistes d’exclusion.
De son côté, Alain Dieckhoff démontre comment l’exclusion des Arabes a contribué à l’émergence d’une citoyenneté ethno-nationale en Israël. Favorisant les inégalités entre les Juifs et les Arabes, plusieurs mesures administratives et politiques ont contribué au partage inégal du pouvoir en faveur du peuple juif. Dieckhoff montre qu’en créant ces inégalités entre les citoyens, Israël est devenu une démocratie ethnique.
Pour conclure ce numéro de Sociologie et Sociétés, Francis Moreault fait le tour des différentes figures de citoyenneté explorées par Arendt. Le citoyen arendtien n’est pas uniquement celui qui participe activement aux affaires humaines, affirme l’auteur, c’est également celui qui délègue ses revendications tout en entretenant un lien serré entre lui-même et son gouvernement. La liberté politique du citoyen d’Arendt n’est pas fondée sur l’abolition de l’État, mais plutôt sur l’émergence d’un contexte qui favorise l’action politique.