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Depuis quelques années, Édouard Bouyé, archiviste et responsable des Archives départementales de la Côte-d’Or en France, se questionne sur le métier d’archiviste. À l’heure du numérique, est-il encore utile à la société ? Quelle est son utilité en 2017-2018 ? Comment est-il perçu dans la société ? Tel un ver luisant, l’archiviste est-il toujours celui qui travaille dans l’obscurité afin d’éclairer une partie du présent et du passé ? Dans ce petit livre d’une centaine de pages, l’auteur présente ses réflexions sur le métier d’archiviste, mais aussi sur l’apport du numérique à la profession ainsi que sur les relations entre l’archiviste et le public.
La première partie du livre traite du métier d’archiviste dans un centre d’archives publiques. Quelle est son utilité alors que les usagers peuvent pratiquement tout trouver sur Internet ? Édouard Bouyé juge cette utilité toujours aussi pertinente qu’avant puisque l’archiviste reste d’une aide précieuse pour les chercheurs désireux d’en savoir plus sur un sujet historique en particulier. Il guide les chercheurs et traite les fonds d’archives qui seront éventuellement consultés. Il est également d’une grande aide pour tous les citoyens qui désirent faire valoir leurs droits (ex. : trouver un jugement de divorce ou une vieille servitude) ou encore se rassurer sur le passé d’un ancêtre (ex. : sur le rôle d’un lointain parent durant la Seconde Guerre mondiale). Pour plusieurs, les archives sont souvent ce qui reste lorsque tout a sombré. L’archiviste a la capacité de lire, d’analyser et de trier l’information qu’il a devant lui sous forme d’une grosse pile de papiers qu’il devra éventuellement transformer en fonds d’archives structuré et bien classé. Comme l’écrit Édouard Bouyé, l’archiviste devra « transformer le capharnaüm de Gaston Lagaffe en palais des archives ». Toutefois, au-delà du classement et de la conservation de la mémoire de la société, l’archiviste doit anticiper son travail. Il doit sans cesse travailler à préparer la mémoire de cette société. L’archiviste doit prendre les devants avec les producteurs d’archives ; il doit identifier, convaincre les propriétaires et collecter les documents nécessaires qui serviront à constituer les futurs fonds d’archives.
La seconde partie de l’ouvrage est une réflexion sur le lien entre le numérique et l’archiviste. Ici, Édouard Bouyé explique, chiffres à l’appui, que la diffusion de documents sur les sites Internet des centres d’archives attire un nombre grandissant de visiteurs. Il donne en exemple le cas des généalogistes qui effectuent de plus en plus leurs travaux de recherche à la maison, devant leur écran d’ordinateur plutôt qu’en salle d’archives. L’utilisation d’Internet est donc un outil important à utiliser mais qui n’enlève rien aux fonctions de l’archiviste et à son utilité. Concernant l’acquisition et l’utilisation d’un système de gestion intégrée des documents (GID) performant (un SAE en France), Bouyé reste très prudent. Selon lui, le système magique n’existe toujours pas, et il craint que les archivistes ne tombent dans le piège de l’illusion d’un système parfait. À cet effet, il cite l’exemple d’un conte du danois Hans-Christian Andersen, Les habits de l’empereur, pour expliquer à quel point les gestionnaires et les archivistes se laissent parfois berner par les différents fournisseurs qui leur promettent la lune avec leur système de GID dernier cri. Et les archivistes, ne comprenant pas toujours le produit qu’on leur propose, acceptent néanmoins ce qu’on leur présente afin de ne pas passer pour des ignorants dans leur propre domaine.
La troisième partie du livre est une réflexion sur la relation entre l’archiviste et le public. Dans le cadre de son travail, Édouard Bouyé est amené fréquemment à rencontrer des gens. Il écoute leurs demandes et parfois leurs doléances. L’archiviste est ici comparé à un psychologue, c’est-à-dire à une personne qui prend le temps d’écouter son public. Toujours dans le cadre de son travail, Bouyé est souvent amené à traiter, voire à négocier avec les gens afin de les convaincre de verser leurs archives personnelles ou familiales aux archives publiques. L’archiviste doit trouver les bons mots pour convaincre. Dans un certain sens il doit se faire vendeur et réussir à vendre l’idée que leurs archives seront ainsi mieux conservées et diffusées que si elles restaient dans la famille ou l’entreprise familiale. L’archiviste ne doit pas rester dans sa tour d’ivoire. Il doit sortir et aller à la rencontre de son public, que ce soit en donnant des conférences, en participant à des expositions ou encore en donnant des cours sur des sujets spécifiques (ex. : la paléographie). Pour l’auteur, l’archiviste doit former sa clientèle, il doit la convaincre de l’intérêt des archives. Il doit faire de son public de véritables historiens locaux. Il donne en exemple la Grande collecte, un événement en France durant lequel il est demandé au public de donner ou de prêter des documents historiques se rapportant à une thématique bien définie. Par exemple, pour la Première Guerre mondiale, les gens verseraient d’anciennes lettres ou cartes postales de soldats au front. Selon Bouyé, cet événement, qui est un succès, permet aux archivistes d’établir de véritables contacts avec le public.
Finalement, le livre s’achève avec une réflexion sur les Archives à voix hautes, un événement de plus en plus connu au Québec que l’auteur présente comme un bel exemple d’une façon de faire connaître les archives au grand public. La mise en bouche d’extraits d’archives prend un relief particulier qui pourrait attirer un nouveau public, et donc une nouvelle clientèle. Présenter des documents, les exposer, en faire la lecture, peu importe le moyen, ce sont toutes d’excellentes façons d’organiser des rencontres entre le public et son patrimoine. Pour Édouard Bouyé, l’action culturelle qui amène ces rencontres crédibilise la démarche archivistique. Elle démontre au public que l’archiviste ne fait pas que conserver des archives, mais qu’il les met aussi en valeur.
Les réflexions d’Édouard Bouyé sont intéressantes et elles font partie d’une réflexion collective que font les archivistes sur leur métier depuis quelques années. Preuve que la profession sait se renouveler et penser à son avenir. Les réflexions de l’auteur se sont faites dans le contexte français, mais elles auraient très bien pu s’adapter à la réalité québécoise. Peu importe le côté de l’Atlantique, les expériences sont souvent bien similaires. La perception du métier d’archiviste par le grand public est encore bien souvent mauvaise. L’archiviste n’est pas un être solitaire, voire antisocial, qui souhaite passer la majeure partie de son temps dans un sous-sol poussiéreux. Il n’est pas non plus quelqu’un qui ne jure que par les vieux papiers au détriment des nouvelles technologies ; bien au contraire. Alors pourquoi les préjugés persistent-ils ? Que doivent faire les archivistes afin de faire changer ces perceptions ? À l’instar d’Édouard Bouyé et des archivistes français, la réflexion est déjà entamée au Québec : nous n’avons qu’à penser au livrel Archiviste d’aujourd’hui, guide pratique publié il y a quelques temps par l’AAQ. Mais d’autres réflexions devront se faire.
Écrit dans un style simple et fort agréable, le petit livre d’Édouard Bouyé se lit rapidement. Bien entendu, l’auteur réfléchit surtout sur la gestion des archives historiques, qui est son travail quotidien, mais une réflexion sur la gestion des documents actifs ou administratifs aurait pu ajouter des éléments tout aussi importants (ex. : la perception du travail de l’archiviste par ses collègues non-archivistes). De même, le lien entre l’archiviste et la GID aurait pu être davantage abordé, celui-ci allant au-delà de la simple acquisition d’un bon système. Toutefois, ces critiques n’enlèvent rien à la valeur du livre, que nous pourrions qualifier de petit bijou.