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L’histoire de l’Afrique, en Occident, n’est que, soit mal connue, soit inconnue. Achille Mbembe, dans l’ouvrage De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporain, démantèle les présomptions simplistes d’une Afrique « incompréhensible, pathologique et anormale » (p. 54). Les thèmes de la rationalité, de la primitivité, de la temporalité, de la mobilité, de la violence, du chaos et de la mort y sont centraux. L’auteur cherche à approfondir les questionnements qui mèneraient à répondre aux questions suivantes : qui sont les Africains dans le monde ? Avec ce lourd passé colonial, comment s’organise la postcolonie socialement, politiquement et économiquement ? Comment vit-elle dans ce monde concret ?

Dès l’introduction, les enjeux sont mis sur table. L’universalité présumée et l’évolutionnisme imaginé par l’Occident positionnent l’ensemble du continent africain comme une civilisation primitive, du temps de la colonie à la fin du XXe siècle. Ces présuppositions proviennent en partie de l’idée de la raison, c’est-à-dire du concept de rationalité développé au siècle des Lumières. Cette raison, qui serait universelle au sein des populations civilisées, s’oppose à l’Afrique puisque ses habitants sont si différents qu’ils relèveraient plutôt du monde animal que de l’espèce humaine. Ces populations sont jugées comme étant des sociétés de traditions, croyant à des mythes primitifs. Ainsi, une attitude paternaliste envers le continent est toujours bien présente dans le monde académique. On parle des Africains sans pour autant les inviter à prendre la parole et sans réelle volonté d’entamer de discussion avec eux. Notamment, les productions académiques sur l’Afrique tendent à décrire ce qu’elle n’est pas, plutôt que ce qu’elle est. L’Afrique s’en retrouve donc délégitimée, puisque ses propres critères sont perçus comme étant sans importance. Pourtant, bien qu’il y ait présence d’une grande instabilité à plusieurs niveaux au sein du continent africain, cela ne signifie pas pour autant que le chaos y règne et que le désordre est standard. Ce sont les visions euro-centriques qui y imposent ce point de vue, alors que l’Afrique émerge selon ses propres termes.

Durant la période coloniale, la violence est utilisée comme outil de contrôle et se révèle comme une fin en soi. Elle est mise en oeuvre par un système de structures et est appliquée par des personnes. Elle s’introduit à tous les niveaux, soit dans l’économie, dans le social, dans le langage, pour finalement devenir une forme d’idéologie. L’auteur fait la comparaison entre la pratique coloniale et le geste phallique, où le but ultime est l’assouvissement et la domination totale. Dans cette relation, le colonisateur s’impose en s’emparant d’un territoire et de tout ce qui s’y trouve, dans le but d’accroître ses richesses. Cette suprématie ne s’obtient que par le fait accompli, et ne relève d’aucune autorisation. Il en résulte que le colonisé n’existe plus et n’est réduit qu’à un être, dans la mesure où il a un corps matériel, mais sans plus. Son être en tant que chose n’a de valeur que si le colonisateur lui en donne. Au moment où le colonisateur ne le reconnaît plus ou n’admet plus son être, l’autre meurt, car il n’est plus. Il n’existe donc que dans l’imaginaire du colonisateur, ce qui démontre sa phallocratie envers les colonisés. Afin de revenir à la vie, l’Afrique se doit de transgresser cette mort et de toutes les autres formes de mort.

Ces oppressions et cet autoritarisme vont permettre à toutes formes de violence de persister dans la postcolonie, où le potentat postcolonial se développe selon sa « cohérence interne […] tant du point de vue politique, économique qu’imaginaire. » (p. 111) Toutefois, avec les obligations de remboursement de dettes envers la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International, le poids de cette ingérence dans la planification économique interne et la menace de la violence répandue ajoutent des barrières à une forme de reprise de contrôle. La dégénérescence de l’État permet à de nouveaux organes générateurs de violence de s’emparer d’un pouvoir informel, servant leurs propres intérêts. Ces nouveaux organes prennent la forme d’une autorité en l’absence d’un État légitime et régulateur. Ils sont si répandus qu’ils constituent en soi une instabilité anticipée. Ainsi, cette composition d’organisations autoritaires se constitue finalement en une élaboration historique authentique, qui ne peut être automatiquement définie comme le chaos. Il s’agit donc ici de sortir des préconceptions occidentales afin de reconnaître et de comprendre cette formation unique.

Le commandement postcolonial est une entité préoccupée par son apparence de virilité, prenant même la forme d’un fétiche, convoitant la divinisation et/ou la relation avec le sujet s’exerce par le simulacre. La violence contribue à maintenir cette posture, à travers ses propres institutions et méthodes, ce que l’auteur dénomme comme étant une « économie de la mort » (p. 205). Ces institutions sont des lieux historiques. Ces derniers prennent la forme de certaines parties du corps, de temporalité, d’invisible, où le pouvoir se démarque par sa vulgarité dans sa recherche de prospérité. Dû aux conditions de vie qui se dégrade, aux maladies, aux épidémies, à la pauvreté croissante et à l’exclusion de certains groupes, la violence de la part des organes créés est un des seuls moyens générés pour maîtriser les personnes vivant ces imposantes crises. Le commandement se développe en perpétuant la pratique culturelle de la violence enracinée dans la période coloniale, dans lequel réside « le pouvoir du fantasme et le fantasme du pouvoir » (p. 236). La recherche de toute-puissance n’a point de limites, où la finalité est de l’acquérir, de la perpétuée et d’être idolâtrée.

Dans cet ouvrage, l’auteur tente ainsi de saisir comment sont compris la vie et la mort en Afrique. Il s’agit aussi de comprendre comment la mort émerge de la vie, sur une temporalité non pas linéaire, mais plutôt composée d’une multitude de passés, de présents et de futurs. En bref, selon Mbembe, les préconceptions occidentales qui habitent les nombreux écrits réalisés au Nord ne permettent pas de comprendre l’Afrique telle qu’elle est, dans son ensemble et dans ses différences. Ainsi, la politique dans l’Afrique contemporaine n’est pas le simple produit d’une imagination, mais se situe dans un imaginaire bien différent de celui de l’Occident.