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La collection « Les grandes voies de la recherche » des éditions du Centre nationale de recherche scientifique (CNRS) offre une nouvelle fois à ses lecteurs, l’intimité scientifique d’un médaillé d’or français du CNRS. Dans ce nouveau texte, court mais passionnant, le lectorat partage le quotidien d’un des plus grands anthropologues français : Philippe Descola. Descola, ancien élève de Lévi-Strauss et de Maurice Godelier, est avant tout un philosophe qui a passé sa vie à comprendre l’ontologie au sein de l’éthologie, mais pas seulement. Il est, par son expérience de professorat au Collège de France, un anthropologue de terrain impliquant la théorie sociologique contemporaine à l’anthropologie moderne. Descola, dans cette oeuvre bibliographique partage une toute nouvelle vision d’une thématique récurrente dans les sciences humaines, celle de l’opposition entre la nature et la culture. Il y découpe sa vie en cinq grands chapitres chronologiques retraçant sa transition d’ethnographe à anthropologue, son parcours académique, son expérience de terrain en Amazonie, sa nouvelle approche d’intériorité et de physicalité, telle que décrite dans son oeuvre la plus lue, Par-delà nature et culture (2005), et enfin, la portée de ses recherches sur l’anthropologie moderne.

Il est possible d’appréhender ces chapitres en deux blocs. Le premier bloc (trois chapitres) résume les débuts de sa carrière à travers son expérience de terrain. Ces années sont déterminantes pour l’auteur car elles lui permettent de passer d’une pensée orientée vers le matérialisme écologique à une vision nouvelle de l’anthropologie, soit l’anthropologie de la nature. L’exemple du parcours de Descola rappelle ici aux lecteurs que tout protocole de recherche, même construit le plus rigoureusement possible, peut s’averer être faussé une fois sur le terrain. Par conséquent, il mets en évidence qu’une seule étude de terrain peut invalider des décennies de bases anthropologiques ancrées dans la discipline. Le deuxième bloc constitué de deux chapitres s’adresse directement aux chercheurs futurs. Descola démontre aux nouveaux scientifiques comment penser les relations entre les humains et l’environnement. Selon lui, il faut cesser d’opposer nature et culture dans l’étude des cultures humaines mais plutôt les associer symbiotiquement. En effet, il explique de la même manière que Rousseau, dans son Discours sur l’origine de l’inégalité (1772), qu’il existe bien un homme naturel créant la société non pas à l’extérieur de la nature mais au sein de cette dernière. Dès lors, la nature n’est pas exemptée de la culture. Pour Descola, elle est justement culture tout entière et il faut l’intégrer aux études anthropologiques. Ainsi donc est née son « écologie des relations ».

Chez l’auteur, ce cheminement de pensée s’inscrit dans un exercise de réflexivité, ce qui est l’objet de son premier chapitre. Selon lui, un anthropologue est l’ensemble de trois professions : l’ethnographe, l’ethnologue et l’anthropologue. Il explique que l’immersion de l’ethnographe apporte une premiére compréhension de la société étudiée. Ensuite, vient le travail de l’ethnologue qui ajoute à cela une expertise poussée de la société par le travail de terrain. Enfin, l’anthropologue vient terminer une étude en créant des théories universelles qui permettent de comparer les sociétés entre elles dans le temps. La combinaison des trois professions offre ainsi le meilleure alliage pour l’étude des sociétés humaines. Considérant l’anthropologie nord-américaine et sa subdivision en quatre sous disciplines, la définition semble assez pauvre. Elle permet cependant de pouvoir comprendre le commencement de sa pensée. L’anthropologie pour Descola n’est pas le propre de l’homme et elle n’étudie donc pas les sociétés humaines visibles, mais va plus loin : elle doit se vivre au contact de l’homme et de son environnement.

Descola, dans le chapitre suivant, explique comment il en est arrivé à « vivre l’anthropologie ». Le point de départ de sa passion d’anthropologue s’inscrit dans un désintéressement progressif de la philosophie lors de ses études. Plus il avance dans ce cursus, plus il se sent enfermé dans une vision eurocentrée des concepts abordés lors de ses cours. Ainsi émerge, chez lui, un besoin d’ouverture vers le monde. Il commence donc à lire davantage d’écrits ethnographiques. Il s’est alors adressé à Claude Levi-Strauss, connu à l’époque comme étant le spécialiste des sociétés amazoniennes. Le jeune Descola explique son intérêt pour les ethnies amazoniennes par les écrits et les chroniques concernant ces peuples qui font l’objet de double mystification : le mythe des « Indiens sanguinaires » qui vivent isolés dans des maisons parsemées en forêt et dont les guerres sont le quotidien, et le mythe « des génies de la nature » qui savent parfaitement utiliser les ressources naturelles de leur environnement en total autarcie. Ce double mythe, tel que présenté par la littérature scientifique, intrigue Descola. Plus qu’une forme d’adaption à un environemment social et naturel, ce double mythe serait le reflet du fait que les peuples d’Amazonie ont inventé une toute nouvelle forme de société en y incluant leur écosystème notamment par leur pratique de l’horticulture sur brulis. Seul moyen pour lui de vérifier cette hypothèse est un immersion totale auprès de ces ethnies.

Cette immersion est l’objet du plus long et plus personnel des chapitres du livre. Dans ce troisième chapitre, Descola retrace son expérience de terrain chez les Jivaros Achuar, peuple amazonien vivant dans le bassin du fleuve Rio Pastaza. La sélection de cette ethnie a été de l’ordre du pratique. En effet, ce peuple vivait dans une zone vierge de conflit géopolitique et avait déjà eu été en contact avec des Européens via des missionnaires. De plus, ce groupe n’avait jamais été étudié par des ethnologues. L’auteur a été surpris de la facilité avec laquelle son épouse et lui-même ont réussi à s’intégrer et de la curiosité des Jivaros Achuar à leur égard. Descola souligne donc ici un principe clé en éthologie : lorsque que l’objet d’étude est un être vivant, l’observé peut étudier l’observateur autant que l’observateur peut examiner l’observé. Il s’agit là d’un constat nécessaire et ce, en vue de ne pas provoquer des comportements non-naturels chez les sujets d’étude et de comprendre les comportements naturels des peuples. C’est le langage qui a permis à Descola de mettre en évidence la véritable relation que les Jivaros Achuar avaient avec leur environnement. Il comprend que chaque maisonnée avait pour rituel de raconter les rêves afin de prédire la journée. Dans la narration, Descola s’apercoit que les Jivaros pour désigner l’environnement, utilisent le terme personne (aent dans la langage Achuar) et à partir de ce constat, il invalide le matérialisme écologique. Par conséquent, il met en évidence l’absence de notion dans le vocabulaire anthropologique fin de représenter la nature dans nos culture. Il avance ainsi une nouvelle notion, l’écologie des relations : « ce n’était donc pas, selon l’image que j’avais au départ, une société parachutée dans un environnement qui lui était étranger. Cet environnement était conçu par les Amérindiens comme un espace social peuplé de partenaires avec lesquels ils entretenaient des liens de différente nature. ».

La fameuse « nature domestique », sujet de sa thèse intitulée La nature domestique : symbolisme et praxis dans l’écologie, est donc l’objet du cinquième chapitre. Néanmoins, le chapitre est dans la continuité de Par-delà nature et culture. L’auteur nous explique comment, à travers son expérience de professeur, il a voulu vérifier si ses découvertes se généralisent à d’autres peuples. Il nous fait donc le résumé de ses recherches et donnent les quatre critères d’intériorité et de physicalité : totémisme, animisme, naturalisme et analogisme.

Le dernier chapitre de son ouvrage est un appel aux futurs scientifiques sur des pistes de recherches que Descola lui-même tente de terminer. Il se concentre d’abord sur la notion de discontinuité entre humain et non-humain qui ne doit pas seulement être étudiée dans le langage mais aussi dans les oeuvres iconographiques. Ensuite, il met en garde les lecteurs contre la notion de société qui semble désuète au XXIe siécle car elle est trop humano-centrée. Il souhaite intégrer un terme qui englobe l’écologie des relations précedemment décrite : « la tribu-espèce ». A la différence de la société, ce nouveau terme permet de reconnaître le propre de l’humain de former des groupes complexes cultivés tout en considérant que cette culture est naturellement préprogrammé par l’environnement comme chaque espèce animal sur terre. L’anthropologie comtemporaine doit donc prendre un virage vers l’anthropologie de la nature ou l’opposition entre nature et culture n’existe plus.

En résumé, le livre propose une nouvelle approche anthropologique de la relation nature/culture qui reflète le fait que les sociétés humaine comtemporaines vivient dans un environnement en constante évolution. Alors que la remise en question scientifique constitue le thème rassembleur de l’ouvrage, le livre est néanmoins présenté de sorte que les chapitres peuvent être lus séparement. Seul bémol, l’ouvrage fait appel à un vocabulaire anthropologique qui, en l’absence d’explications et de définitions, peut constituer un problème au lecteur non-averti. Un glossaire rédigé par l’auteur aurait été nécessaire. Une version audio du livre est facilement accessible et peut révéler parfois les subtilités du phrasé très philosophique de Descola.