Abstracts
Résumé
La force des événements tragiques ayant mené à la mort de George Floyd lors d’une intervention policière filmée en direct, où ses dernières paroles « I can’t breathe » sont devenues un symbole puissant de la violence policière et du racisme systémique, a permis aux mouvements antiracistes de mobiliser une nouvelle génération d’acteurs et d’actrices ainsi que d’outils. Plusieurs pans de la société se sont ainsi retrouvés devant la nécessité de faire de véritables remises en question par rapport au racisme, à la discrimination systémique et à d’autres expressions d’injustice sociale. De mon côté et au sein de mon équipe du LABRRI ont ainsi émergé des questions de fond sur la pertinence et le bon fondement de notre approche interculturelle pour répondre aux enjeux de la discrimination. S’est alors enclenché, au niveau personnel, mais aussi de l’équipe, un « changement d’état d’esprit » qui a fait ressortir différents malaises partagés par certains membres du laboratoire concernant l’antiracisme. Ainsi s’entamait une deuxième phase de réflexions, au sein du laboratoire, sur les courants pluralistes. Cette fois, la réflexion se penchait plus spécifiquement sur les liens entre l’interculturel et l’antiracisme, ce qui a été le point d’émergence du projet de recherche « Dialogue sur la Discrimination » (2D). Cet essai a pour but de retracer ce changement d’état d’esprit et de faire l’analyse réflexive de l’émergence d’un projet mené au sein d’une équipe partenariale de recherche, le projet 2D, mais surtout de poser une réflexion sur sa signification pour l’interculturel au Québec et ailleurs dans le monde.
Mots-clés :
- approche interculturelle,
- antiracisme,
- dialogue,
- discrimination,
- interculturel critique,
- pluralisme
Article body
Introduction
Les événements tragiques ayant mené à la mort de George Floyd lors d’une intervention policière, où ses dernières paroles « I can’t breathe » sont devenues un symbole puissant de la violence policière et du racisme systémique, survenaient après plusieurs mois du premier confinement dû à la pandémie de COVID-19, qui avaient déjà laissé des traces physiques, mais surtout psychologiques, sur l’ensemble de la population. Ce n’est que quelques mois plus tard que survenaient l'événement aussi terrible, mais plus local, de la mort de Joyche Echaquan, lors duquel ont été filmées les paroles discriminatoires des infirmières chargées de lui apporter des soins, ce qui porte à s'interroger sur la part du racisme dans la mort de cette mère atikamekw. Le choc insufflé par ces images a ainsi permis aux différents mouvements antiracistes de mobiliser une nouvelle génération d’acteurs et d'actrices ainsi que de mettre plusieurs pans de la société devant la nécessité de faire de véritables remises en question par rapport au racisme, à la discrimination systémique et à d’autres expressions d’injustice sociale. Pour beaucoup, moi inclusivement, ainsi que pour l’équipe du Laboratoire de Recherches en Relations Interculturelles (LABRRI), la force des images filmées en direct a eu l’effet de nous sortir de notre torpeur et de nous appeler à l’action.
Au Québec, mais aussi plus largement en Amérique du Nord, cet appel à l’action a amené une partie de la population à poser des actes concrets pour contrer les inégalités structurelles de notre société, comme envoyer des dons à des organismes de lutte contre le racisme, encourager les entrepreneuses et entrepreneurs racisés ou encore commencer à suivre des personnalités BICOPS (Noirs, Autochtones et personnes de couleur) sur les réseaux sociaux. Pour certains, l’objectif sous-jacent de justice sociale n’était pourtant pas nouveau. En effet, je considère qu’en tant que membre du LABRRI, je travaille activement pour la justice sociale : en m’inspirant des approches interculturelles critiques (Montgomery et Bourassa-Dansereau, 2019; Rachédi et Taïbi, 2019; White, 2020) pour étudier des phénomènes sociaux qui découlent de la rencontre dans un contexte de diversité grandissante (Vertovec, 2014), je participe activement à la réflexion et au développement d’outils pour favoriser l’inclusion et un meilleur vivre-ensemble. La quête de justice sociale est ainsi, selon moi, à la base de mon travail.
Néanmoins, l’approfondissement de ma rencontre avec les mouvements antiracistes, notamment au travers des réseaux sociaux, a fait émerger des questions de fond sur la pertinence et le bon fondement de mon approche interculturelle (Arsenault, Grégoire et Comtois, 2024) pour répondre aux enjeux de la discrimination systémique : est-elle suffisante? C’est à partir de là que, pour moi qui m’identifie comme interculturaliste, s’est véritablement enclenché un processus de « changement d’état d’esprit » (Genest, 2022). Cette réflexion personnelle a aussi trouvé des échos au sein du LABRRI où s’entamaient déjà, depuis quelques années, des réflexions sur les différents courants pluralistes au Québec et leurs dynamiques (Azdouz, 2021; White, 2017). Mes réflexions personnelles ont permis de faire ressortir différents malaises partagés par certains membres du laboratoire concernant les approches antiracistes. Ainsi s’entamait une deuxième phase de réflexions, au sein du laboratoire, sur les courants pluralistes. Cette fois, la réflexion portait plus spécifiquement sur les liens entre l’interculturel et l’antiracisme, ce qui a été le point d’émergence du projet de recherche « Dialogue sur la Discrimination » (2D). Cet article a pour but de retracer ce changement d’état d’esprit, de faire l’analyse réflexive de l’émergence de ce projet mené au sein d'une équipe partenariale de recherche (Projet 2D) et, surtout, d'apporter une réflexion sur sa signification pour l’interculturel au Québec et ailleurs dans le monde.
Changement d’état d’esprit
Dans sa thèse de doctorat, Genest (2022) nous présente le projet de l’anthropologue et penseur systémique Gregory Bateson d’établir une théorie générale du changement se rapportant à l’esprit. Bateson voulait ainsi faire du « changement d’état d’esprit » une classe de phénomènes anthropologiques pouvant être étudiés. Au sens usuel, un état d’esprit est une disposition ou une « manière d’être, à un certain moment, qui détermine une façon de voir les choses et de se comporter » (« Esprit », s. d.) dans un certain contexte ou environnement. En lien avec cette définition, le changement d’état d’esprit se conçoit ici comme un processus irréversible induit par la rencontre entre deux « visions incommensurables » (Genest, 2022, p. 23) de la réalité qui demande deux manières différentes, voire contradictoires, de se comporter : la vision habituelle et confortable et l’autre, inédite puisqu’imposée par l’extérieur (Genest, 2022). C’est ainsi que fut vécue ma rencontre avec l’antiracisme : ma posture pluraliste interculturelle (Arsenault, Grégoire et Comtois, 2024; White, 2017) partagée par plusieurs membres du LABRRI et qui nous offre une façon de voir et de se comporter face aux enjeux liés à la diversification de nos sociétés rencontrait une posture fortement affirmée visant à dénoncer les structures et pratiques qui reproduisent la discrimination. S’entamait ainsi, pour moi, un changement d’état d’esprit, alors que plusieurs de mes certitudes commençaient à être ébranlées : si l’approche interculturelle mise sur l’humilité de ses acteurs (Arsenault, Grégoire et Comtois, 2024) pour faire le travail d’exploration de soi dans le but d’identifier ses possibles biais, ne manquions-nous cependant pas d’humilité lorsqu’il était question de dynamiques de pouvoir? Les analyses systémiques qui sont à la base de notre approche interculturelle sont-elles vraiment suffisantes pour reconnaître l’ampleur des dynamiques de pouvoir en jeu dans notre société? Notre approche, qui mise sur le changement graduel et volontaire des acteurs, répond-elle réellement aux besoins des populations minorisées, ou est-il possible qu’elle contribue à leur exclusion?
Il s’agit ici de questionnements sur le lien entre différentes approches face à la pluralité de nos sociétés. En effet, dans une société pluraliste coexistent différentes manières de penser le vivre-ensemble : certains mettent l’accent sur les discriminations vécues par certaines populations, alors que d’autres regardent les problèmes de communication entre personnes d’origines socioculturelles différentes. « De ce point de vue, le pluralisme n’est pas une configuration naturelle ou prédéterminée, mais plutôt le résultat d’un processus de négociation qui effectue un certain travail de médiation entre les communautés politiques » (Winter, 2011, p. 199‑200).
Pensée pluraliste
Pour bien comprendre cette rencontre entre différentes postures face à la diversité, il faut remonter aux travaux de White (2017) sur la pensée pluraliste et le modèle subséquemment développé, le modèle « 3D ». Il faut d’abord comprendre que le pluralisme fait référence à un projet normatif, et non pas à une réalité sociale en particulier, qui, elle, peut être qualifiée de « pluralité » (White, 2017; voir aussi à ce sujet Bouchard, 2012). Il existe donc différentes façons de se positionner face à la pluralité, façons qui prennent source dans diverses postures idéologiques, paradigmes d’action et orientations épistémologiques (White, 2017). C’est dans le cadre d’un projet de recherche en partenariat avec un grand nombre d’acteurs communautaires, municipaux et universitaires dans le champ de l’action interculturelle à Montréal (Montréal ville interculturelle, http://villeinterculturelle.net/), mais aussi dans ses travaux avec le programme de Cités interculturelles (https://www.coe.int/fr/web/interculturalcities/) du Conseil de l’Europe et lors de discussions avec ses collègues du LABRRI, que White (2017) a vu émerger des tendances dans ces façons de se positionner par rapport à la pluralité. Ses travaux permettent ainsi de comprendre que les idées exprimées dépassent l’expérience individuelle et qu’elles sont transmises par différents niveaux de cadres interprétatifs (disciplinaire, politique, institutionnel, etc.).
C’est à partir de ces tendances que White (2017) offre une catégorisation de ces différents positionnements, qu’il identifie comme étant des « courants de pensée ». Malgré l’évidente complexité de cet exercice, il offre un modèle assez simple qui, selon lui, a eu un impact positif en contexte de concertation. Il identifie trois courants principaux : Diversité, Discrimination et Dialogue. Bien sûr, il stipule l’importance de ne pas considérer ces catégories comme mutuellement exclusives ni leurs frontières comme étanches ou fixes. Il s’agit plutôt de tendances relativement cohérentes qui permettent de mettre des mots sur des perceptions et des prises de position, qui relèvent souvent du non-dit et de l’inconscient, et de dénouer certains noeuds dans la collaboration entre différents acteurs du pluralisme.
Le courant Diversité réunit les personnes ayant comme objectif la « documentation, reconnaissance et protection des différentes expressions de la diversité au sein de la société afin de garantir l’inclusion et la cohésion sociale » (White, 2017, p. 38). Ces personnes mettent ainsi de l’avant des initiatives pour documenter les différentes communautés et pratiques, valoriser des traditions culturelles et artistiques ainsi que célébrer les différences et leur mise en public. Le courant Discrimination réunit les personnes qui ont comme objectif de « dénoncer les structures et pratiques qui reproduisent la discrimination afin de changer le fonctionnement du système et protéger les minorités et les groupes vulnérables » (White, 2017, p. 39). Les personnes qui s’y identifient portent donc une grande importance à la représentativité des minorités dans la vie sociale et politique du Québec, à leurs représentations sociales et médiatiques, ainsi qu’aux mécanismes d’exclusion tels que les stéréotypes, les préjugés, la discrimination et le racisme. Pour sa part, le courant Dialogue réunit ceux qui ont comme objectif la « compréhension des écarts de la communication en contexte pluriethnique afin de réduire les effets de la discrimination et de contribuer à la cohésion sociale » (White, 2017, p. 39). Ces derniers s’intéressent particulièrement à la communication en contexte pluriethnique, aux situations problématiques récurrentes et aux barrières à l’inclusion.
Alors que chaque courant met en lumière certaines dynamiques de la pluralité, il est aussi la cible de critiques de la part des adhérents des autres courants. Par exemple, on reproche au courant Discrimination de réduire tous les problèmes à la discrimination et de prendre une position antagoniste et moralisatrice face à la majorité. Certains reprochent également au courant Dialogue sa tendance à donner la priorité aux facteurs culturels, son angélisme et son manque de prise en compte des rapports de pouvoir. Ces différentes critiques sont souvent source de cloisonnement des acteurs du pluralisme et peuvent mener à des tensions et des débats qui rendent difficile la mise en place de certaines initiatives.
Les approches interculturelles et antiracistes
Le modèle de White (2017) nous propose de voir que les courants de pensée Diversité, Discrimination et Dialogue, sans en être constitutifs, s’inscrivent dans la pensée pluraliste. Le modèle « 3D » nous permet ainsi de comprendre que les différents courants forment ensemble le pluralisme et jouent un rôle pour la justice sociale, mais il nous offre peu de matière concrète sur ce rôle ni sur les relations que les courants entretiennent entre eux. Ce manque d'information peut mener à des glissements, voire à considérer les courants comme mutuellement exclusifs, même s'ils sont complémentaires. On peut même en arriver à les opposer, comme le sont les courants de pensée Discrimination et Dialogue dans l’espace public et dans la littérature scientifique par le biais des approches antiraciste et interculturelle (Azdouz, 2021; McAndrew et al., 2015). C’est l’intersection de ces deux courants qui nous intéresse.
Alors qu’il existerait quatre grandes idéologies pour approcher les situations en contexte interculturel (Rachidi et Tahibi, 2019), soit l'assimilationnisme, le multiculturalisme, l'interculturalisme et l'antiracisme, ce projet se concentre particulièrement sur l'intersection entre l'interculturalisme et l'antiracisme. On associe ici les approches interculturelles au courant Dialogue parce que les deux mobilisent une éthique relationnelle, partent de la prémisse que le savoir est coconstruit et utilisent des approches interactionnistes. De leur côté, les approches antiracistes sont associées au courant Discrimination parce que toutes deux critiquent les systèmes et méthodes perpétuant la discrimination, visant à modifier le fonctionnement global du système et à garantir la protection des minorités ainsi que des groupes vulnérables.
Approches antiracistes
Il est courant de penser que l'antiracisme est une idée importée des États-Unis et sans racines profondes au Québec (Gay, 2004). Cette croyance est étroitement liée à l'idée que le racisme est un problème récent dans la province, influencé par les voisins du Sud et l'arrivée de personnes immigrantes en difficulté d'intégration. Pourtant, les luttes antiracistes ont un ancrage profond dans l'histoire de la province (Zoghlami, 2023). Nous pensons notamment à la révolte d'étudiants noirs de l'Université Sir George William (aujourd’hui l’Université Concordia) ou à la crise d’Oka. Dans l'histoire plus récente, nous pouvons penser aux mouvements Idle no more, Black Lives Matter (propulsé par l'assassinat de Freddy Villuaneva), l'attentat de la mosquée de Québec, les controverses liées aux pièces de Robert Lepage (SLĀV et Kanata) ainsi que la mort de Joyce Echaquan.
L'antiracisme reste souvent peu défini, même par les organismes qui se battent pour cette cause, puisque les différentes conceptions du racisme sont liées à différentes visions de l’antiracisme (Essed, 1991). Zoghlami identifie quatre conceptions du racisme (2023). Pour certains, le racisme se limite à des manifestations extrêmes et violentes, des actes isolés et irrationnels commis par des individus. Pour d'autres, il s'agit plus de manifestations plus ou moins subtiles de discrimination (comme la discrimination à l'embauche, le profilage racial). D'autre part, le racisme est aussi conceptualisé au niveau institutionnel, et imprégnerait les structures étatiques, les lois et les cultures organisationnelles. Finalement, certains considèrent qu'en plus d'être institutionnalisé, le racisme serait mis en place et consolidé par des individus.
L'antiracisme peut quand même être globalement défini comme une idéologie voulant lutter contre les structures économiques, politiques et sociales qui reproduisent la discrimination « afin de changer le fonctionnement du système et protéger les minorités et les groupes vulnérables » (White, 2017). Les différentes luttes antiracistes ne composent pas un groupe homogène aux frontières fermement délimitées. Elles peuvent entre autres diverger sur leur désir (ou non) de particularisme, leur statut institutionnalisé (ou non), leurs aspirations, leurs valeurs de référence et leurs symboles (Capitaine, 2023).
Les gouvernements québécois successifs, peu importe le parti au pouvoir, ont systématiquement évité la discussion sur l'antiracisme, préférant plutôt mettre l'accent sur l'intégration, le rapprochement interculturel et la gestion de la diversité (Eid et Labelle, 2013). Cette attitude s'explique en partie par la propension des divers gouvernements à adopter une vision psychologique, morale et individualiste du racisme (Zoghlami, 2023).
Certains groupes ont ainsi compris que pour faire avancer la lutte contre le racisme et se faire entendre par les institutions politiques, il fallait ajuster leurs demandes en adoptant le langage utilisé par le gouvernement (de manière consciente ou non), et ce, en mettant de l’avant les notions de diversité et d'interculturalisme (Zoghlami, 2023).
Approches interculturelles
Les premières initiatives interculturelles émergent après la Seconde Guerre mondiale, visant la promotion du dialogue entre les peuples. Aujourd'hui, il est difficile de définir les approches interculturelles, puisqu'il en existe de nombreuses variantes et appellations. Par exemple, selon Roy, Legault, Rachédi et Taïbi (2019), la pratique interculturelle est « une façon d'analyser des situations et des problèmes qui surviennent dans des sociétés dites pluralistes » (p. 113), alors que l'approche interculturelle serait une méthode de communication et d'appréhension des problèmes pour en arriver à une intervention adaptée à la diversité. Néanmoins, nous pouvons dire que les approches interculturelles se concentrent sur le processus dynamique de rencontre entre Soi et l’Autre en prenant le statut des acteurs et actrices en présence et le contexte en considération (Cohen-Emerique, 2015; Emongo et White, 2014). Plus spécifiquement, au LABRRI, on considère qu’elles visent la destruction de l'ordre établi des systèmes du monde par un travail d’explicitation et de liaison (White, communication citée dans Grégoire, Arsenault et Comtois, 2022), grâce à une analyse systémique de la rencontre.
Si les approches interculturelles tentent de favoriser des « échanges culturels, continuels, sur une base égalitaire, en vue d'une meilleure connaissance mutuelle et de l'établissement de communications harmonieuses » (Roy et al., 2019, p. 116), elles ne s'entendent pas sur les modalités. Pour certains, le relativisme absolu est de mise et toute culture est si singulière qu'aucune intégration n'est possible. Pour d'autres, le relativisme faible est à mettre de l'avant afin que, malgré les différences culturelles, tous puissent se rejoindre autour de valeurs universelles.
Selon Montgomery et Bourassa-Dansereau (2019), il existe trois grandes approches à l'intervention interculturelle : 1) l'approche culturaliste, qui favorise la création de catégorisations préétablies et aisément applicables à des interactions, telles des formules toutes faites, 2) les approches subjectivistes, qui mettent l'accent sur le sens subjectif attribué par les acteurs dans l'interaction, pouvant agir comme des filtres de communication et 3) les approches critiques, qui englobent divers courants alimentés par la sociologie de la mobilité, le postcolonialisme, l’intersectionnalité, l’anti-oppression, l’antiracisme, la dialectique et la justice sociale. Ces dernières pourraient être considérées comme étant à l'intersection des courants de pensée Discrimination et Dialogue.
L'intersection
D'une part, on blâme les approches antiracistes d'utiliser la violence et la rectitude pour restreindre le dialogue en leur attribuant le fait d'imposer leurs propres limites à la liberté d'expression et de contraindre l'intelligentsia à s'autocensurer pour éviter d'être accusée de racisme, suscitant ainsi des divisions interculturelles (Capitaine, 2023). D’autre part, on reproche à l'approche interculturelle de ne pas remettre en question suffisamment les structures de pouvoir et les inégalités existantes (White, 2017) ou de n'utiliser le pouvoir que comme un simple outil de gestion de la diversité, sans vraiment remettre en question les normes dominantes (Azdouz, 2021). Certaines approches tentent de concilier les deux.
Vatz Laaroussi (2021) identifie quatre approches utilisant des angles différents pour aborder les questions complexes de diversité, de pouvoir, d'oppression et de discrimination, en proposant des méthodes et des cadres d'action distincts. Deux d’entre elles sont positionnées plus clairement dans le courant de pensée Discrimination, soit l’analyse intersectionnelle et l’approche antiraciste et anti-oppressive. Les deux autres se retrouvent plus à l’intersection, soit l’approche interculturelle et la médiation interculturelle.
L'approche interculturelle critique se concentre sur l'étude et la compréhension des interactions entre différentes cultures tout en mettant l'accent sur les inégalités de pouvoir, les préjugés et les dynamiques de domination qui peuvent exister entre ces cultures (Vatz Laaroussi, 2021). Cette approche adopte généralement une orientation micro qui s'intéresse aux ajustements et aux négociations culturelles au niveau individuel et une orientation macro concernant l’analyse critique des pratiques, politiques ou structures organisationnelles et institutionnelles qui peuvent favoriser des inégalités ou des tensions entre les cultures (Montgomery et Bourassa-Dansereau, 2019). L'approche interculturelle critique souligne souvent l'importance de reconnaître les différences culturelles tout en remettant en question les hiérarchies de pouvoir qui peuvent exister entre les cultures. Elle vise ainsi à favoriser un dialogue constructif et une compréhension approfondie des dynamiques interculturelles, tout en cherchant à transformer les structures et les attitudes qui perpétuent les inégalités et les discriminations.
Pour sa part, la médiation interculturelle a pour objectifs de faire face à des inégalités et des injustices et de créer des liens entre des individus ou des groupes qui peuvent entretenir des préjugés mutuels et même être en conflit, qui jouissent de privilèges ou subissent des discriminations et des stigmatisations (Vatz Laaroussi, Doré et Kremer, 2019). La médiation facilite l'amorce d'un processus de transformation à la fois personnel et interrelationnel chez soi-même ainsi que chez les autres : les aspects liés à l'apprentissage des préjugés et des pratiques discriminatoires/oppressives comprennent la possibilité que ces comportements et attitudes puissent être désappris pour être remplacés par des attitudes empathiques et non oppressives. Pour Vatz Laaroussi et al. (2019), les médiations interculturelles pourraient offrir une nouvelle opportunité pour forger des alliances innovantes et reconfigurer les groupes, et ce, en reconnaissant les différences et en s'appuyant sur des valeurs et des intérêts partagés. En mettant en place des forums et dialogues, plusieurs tensions entre groupes se sont dissipées, des préjugés se sont déconstruits et des liens se sont renouvelés autour de revendications partagées.
L’émergence du projet « Dialogue sur la Discrimination »
Prise de conscience
Le modèle « 3D » a l’avantage de nous faire comprendre que la pensée pluraliste est composée de différents courants, qui sont en interrelations, et bien qu’ils diffèrent quant aux objets, concepts et questions mobilisés, ils demeurent néanmoins tous ancrés dans un humanisme universaliste occidental à la recherche de justice sociale : leurs adhérents dénoncent les barrières à l’inclusion et réclament les mêmes droits [pour tous] à la dignité, à l’égalité, à l’intégrité, à la sécurité, à la citoyenneté pleine et entière, au logement, au travail (Azdouz, 2021). Ainsi, le travail pour la justice sociale se fait de multiples fronts, et chaque courant a son rôle à jouer à l’intérieur de la grande famille du pluralisme.
C’est une idée réconfortante de penser que nous jouons notre rôle, en tant qu’interculturaliste, dans le travail vers la justice sociale. Ainsi, cela me permettait d’écouter les discours antiracistes sans m’y impliquer : ils ont, eux aussi, leur rôle à jouer, qui n’est pas le mien. Leurs discours me faisaient tout de même cogiter : et si je me servais de mon travail d'interculturaliste comme excuse pour ne pas faire le travail sur soi nécessaire à l’élimination des biais raciaux présents dans notre société et si, par le fait même, je contribuais au statu quo? Ne devais-je pas faire preuve d’humilité pour me remettre en question et considérer que, peut-être, mon approche interculturelle ne répondait pas vraiment aux besoins de ceux pour qui je disais travailler? L’humilité ici se dissocie de sa tradition judéo-chrétienne, l’associant à la vertu. Elle est plutôt utilisée à la manière des études sur l’humilité culturelle (Soulé, 2021), soit dans une approche relationnelle entre le Soi et l’Autre. Ainsi, l’humilité est associée à la sagesse (Templeton, 1997), la capacité d’introspection et une « juste connaissance de soi », soit de ses propres capacités tout en reconnaissant la possibilité de faire des erreurs (Tangney, 2012). L’humilité est aussi une volonté de reconnaissance des limites de ses savoirs et de la valeur intrinsèque des savoirs de l’Autre et s’inscrit alors dans une visée d’égalité entre Soi et l’Autre (Arsenault, Grégoire et Comtois, 2024). Ainsi, est-ce que mon approche interculturelle suffisait à reconnaître l’ampleur de mon rôle dans le maintien de structures inégalitaires? Après tout, l’« ouverture à la diversité des courants de pensée s’applique aussi aux spécialistes [du pluralisme] qui ont la responsabilité de balayer leurs angles morts, de remettre en question leurs certitudes, de reconnaître et de neutraliser leurs propres biais, avant de répandre la bonne parole chez les « profanes » » (Azdouz, 2021). Ainsi s’est entamée une réflexion personnelle sur mon rôle dans la lutte pour la justice sociale en tant qu’interculturaliste.
Ces réflexions ont résonné au sein des membres du LABRRI qui, il semble important de le mentionner, travaillent à des degrés variables avec les approches interculturelles et sont impliqués de manières tout aussi variables dans les mouvements militants. De plus, les dynamiques entre les acteurs et actrices fervents des approches interculturelles et ceux et celles qui mobilisent des approches antiracistes sont déjà au coeur de réflexions de certains membres du laboratoire (Azdouz, 2021; Carpentier, 2022; White, 2017). C’est en partageant mes réflexions personnelles avec quelques membres, chercheurs et chercheuses ainsi qu’étudiantes et étudiants, que nous est apparue la volonté de faire un travail de fond sur nos propres pratiques en tant qu’organisation en lien avec la lutte contre les discriminations. Alors que mes propres réflexions se manifestaient en un désir d'un travail sur nous-mêmes comme sur notre approche interculturelle, je fus surprise lorsque j'ai partagé mes ambitions aux autres membres de l’équipe, qui ne partageaient pas tous mon enthousiasme. Je crois que d’importantes différences générationnelles étaient en jeu. Après avoir rationalisé les critiques reçus à l’égard de mes idées, j’ai pu regrouper les principales divergences d’opinion en deux. La première avait trait à la nature du projet, et l’autre, au rôle de la recherche. Dans un premier temps, certains membres voulaient faire « des ponts » entre les approches interculturelles et antiracistes (ainsi certains proposaient de regarder les approches antiracistes avec une lunette interculturelle), alors que d’autres (dont moi) voulaient vraiment faire un travail critique des approches interculturelles. Dans le premier cas, on notait une certaine crainte qu’un tel projet affaiblisse la spécificité de l’approche interculturelle alors que, dans le second, le fait de « faire des ponts » voulait dire qu’on reconnaît les forces de chacun, ce qui représentait, encore une fois, un refus de reconnaître ses propres biais. Dans un deuxième temps, la question du rôle de la recherche s'est posée : pour certains, la recherche est séparée de l’activisme et nous devons faire preuve de neutralité alors que, pour d’autres, l’activisme fait partie intégrante de notre rôle. Pour moi, il me semblait évident que nous avions une certaine responsabilité, en tant que chercheurs et chercheuses en sciences sociales, puisque les connaissances produites ont des conséquences transformatrices sur le monde social existant (Giddens, 1984).
Recherche de solution
Nous avons donc tenté de mettre en place un projet qui faisait consensus au sein de l’équipe : sans être trop activiste, il était tout de même important pour moi de faire preuve d’humilité, d’ouverture d’esprit et de sens critique pour approfondir nos connaissances sur les discriminations systémiques et, plus spécifiquement, sur le racisme systémique, ainsi que pour explorer le rôle joué par notre approche interculturelle dans le maintien de ces structures inégalitaires. Effectivement, je voulais que nous gardions en tête que notre manière de mettre en lumière les rapports interculturels peut influencer ces dits rapports (Giddens, 1984), mais aussi la possibilité que les résultats perçus de nos activités soient différents de ce qu’ils sont dans les faits (Giddens, 1984) et que, par le fait même, notre principe d’égalité puisse ne pas être mis de l’avant comme nous le souhaitions.
Ainsi a émergé l’idée de poser un regard critique sur l’approche interculturelle du LABRRI à l’aune des mouvements antiracistes. Mais comment poser ce regard critique sur nous-mêmes, alors que nous sommes ancrés dans nos traditions (Gadamer, 1976)? La connaissance de soi est notamment difficile puisqu’elle repose sur la séparation du sujet et de l’objet (Gadamer, 1996), mais aussi sur le fait que « le sujet connaissant et l’objet de la connaissance sont confondus » (Quintin, 2008, p. 72). Alors que nous ne pouvons pas compter uniquement sur nous-mêmes pour poser ce regard, la pensée de Panikkar (1999) nous est apparue fort pertinente : la rencontre de l’Autre permet la découverte du Soi. C’est « ce besoin d'entrer en relation avec autrui dans une optique de partage de conceptions pour arriver à voir […] qui nous sommes à travers le regard de ce dernier » (Lemieux, 2007, p. 15) qui nous aura amenés vers l’idée de la rencontre entre les approches interculturelles et antiracistes. Nous voulions ainsi mettre en exergue les différences qui font la différence, pour reprendre l'expression de Bateson (2000) : quels concepts mobilisés ou angles d’approche à la pluralité font réagir les antiracistes alors qu’ils relèvent d’une évidence pour nous et, par le fait même, passent inaperçus?
Naissance du projet
C’est ainsi que le projet « Dialogue sur la Discrimination » est né. Le dialogue nous semblait plus qu’approprié comme méthode pour poser un regard critique sur notre approche interculturelle, puisqu’il s’agit d’un moyen qui permet de renouveler et de relancer le processus de réflexion et de remise en cause des certitudes (Vernant, 1997). Il permet de dépasser la reconnaissance de la diversité des approches de telle sorte qu'elles apprennent l’une de l'autre, qu'elles se reconnaissent et s'enrichissent mutuellement (Panikkar, 1999). Le dialogue exige à la fois de parler de ses idées, de ses intérêts, de ses passions ou de ses préoccupations et d’écouter ceux des autres. Il présuppose non seulement l’ouverture à l’Autre, mais aussi, et surtout, l’humilité par rapport au Soi (Panikkar, 1999). Cela nous semblait d'autant plus pertinent que le mot d’ordre du moment, hautement présent dans les réseaux sociaux des acteurs et actrices du présent mouvement, était « l’écoute », considérée comme un acte d’humilité, de reconnaissance du savoir et de l’expérience de l’Autre, mais surtout le seul vrai moyen d’apprendre (Baires, Catrone et May, 2021; Drew, 2012; Swan, 2017). D’un autre côté, nous voulions remettre en question nos idées, nos préconceptions, nos traditions. Nous devions donc avoir la possibilité de nous exprimer. En somme, le dialogue nous semblait une bonne façon de faire un travail d’humilité quant à l’approche et préconceptions de notre équipe au LABRRI, puisqu’il implique une ouverture à la possibilité de transformation de son point de vue, entraînée par la découverte de l’Autre et par un processus de centration sur les horizons du Soi (Gadamer, 1976).
Puisque nous étions encore en pandémie, la question de la méthodologie en temps de confinement se posait. Nous avons décidé de mettre en dialogue virtuel (sur Zoom) des adhérents aux approches interculturelles, membres du LABRRI, avec des tenants d’approches antiracistes, à l'exception d'un duo où ce fut le membre du LABRRI qui finit par représenter les approches antiracistes du fait de sa perspective fine et nuancée sur le sujet. Ce projet avait comme objectif d’identifier les angles morts de notre approche interculturelle et peut-être même d’ébranler certaines de nos certitudes. Dans cet esprit, 6 dialogues, avec 12 participantes et participants, ont été enregistrés, autour de 4 ou 5 questions sélectionnées par les participant·e·s eux-mêmes, et pour une durée comprise entre 50 et 90 minutes. Tous sauf deux sont issus de communautés racisées. De plus, sans être exhaustif des longues et riches expériences de ces participant·e·s, 8 étaient issus du milieu académique, 2 avaient de longues expériences dans le domaine communautaire, 1 avait de l’expérience dans le milieu organisationnel et notamment avec les comités Équité Diversité Inclusion (ÉDI), 2 avaient de l’expérience ou travaillaient à ce moment-là dans le milieu municipal et 1 dans le milieu de l’éducation. Finalement, 3 acteurs ou actrices étaient issus directement du terrain (institutionnel, de l’éducation ou communautaire).
Il faut dire que j’imaginais des échanges où les membres de mon équipe écouteraient attentivement et ouvertement des invité·e·s critiquer notre approche et que nous pourrions, par la suite, utiliser ces critiques pour retravailler cette dernière, mais ce ne fut pas le cas. Une des limites importantes de notre projet a été la sélection de participantes et participants au projet. Nous voulions inviter des personnes qui seraient ouvertes au dialogue. Par le fait même, nous avons fort probablement eu des dialogues entre tenants d’approches se retrouvant à l’intersection de l’interculturel et de l’antiracisme. Le travail de fond que j’avais espéré n’a donc pas eu lieu, mais j’ai quand même pu faire une analyse systémique très intéressante des interrelations des deux approches, et ma compréhension de ces dernières s’est beaucoup affinée.
Parallèlement, j’ai entamé une analyse de la littérature pour identifier les liens entre les approches interculturelles et antiracistes telles qu’elles sont exprimés en recherche. J’ai effectué une revue de la portée dans différentes bases de données anglophones et francophones, incluant ainsi différents champs de recherche, pour étudier des textes qui mentionnaient à la fois l’interculturel et l’antiracisme pour en faire une analyse thématique : objectifs des approches, définitions et critiques des approches, ponts et barrières entre celles-ci. Dans la prochaine section, je vous présente un résumé de mes analyses préliminaires et de quelques pistes de réflexion.
L’interculturel à l’aune des mouvements antiracistes
La dualité discursive entre les approches antiracistes et interculturelles dépeignait les deux approches comme dichotomiques. Néanmoins, le projet « Dialogue sur la Discrimination » m’aura fait réaliser qu’il existe plutôt un univers complexe de relations entre celles-ci, à l’instar des approches interculturelles critiques. Ce fut l'une des premières surprises de ce projet : alors que je pensais avoir des dialogues qui aborderaient quelques traits de l’affrontement entre les deux approches, nous avons plutôt eu droit à des discussions sur l’utilisation simultanée et contextuelle des deux approches. En effet, la dichotomie des deux approches n’a pas été mise de l’avant par les participant·e·s aux dialogues, mais plutôt l’utilisation de celles-ci comme deux outils utiles au pluralisme selon l’objectif, les contraintes et le contexte. Par exemple, dans le milieu institutionnel, l’antiracisme peut parfois être tabou. C’est alors que les acteurs et actrices se servent de l’interculturel, qui fait plus consensus, pour aborder certaines questions de racisme. Cependant, l’approche interculturelle ne semble pas appropriée face à l’urgence de certaines conséquences du racisme (l’accès au logement, par exemple). Dans certains contextes, l’action radicale associée à l’antiracisme peut être « un détonateur très efficace pour faire sauter des verrous qui résistent [et] pousser dans le dos des autorités quand celles-ci minimisent un problème » (Azdouz, 2021, p. 87‑88). Néanmoins, l’approche interculturelle serait plus judicieuse dans certains milieux, lorsqu’il s’agit de sensibiliser et de coconstruire, par exemple dans le milieu municipal, où la confrontation est à proscrire puisqu’il est préférable d’éviter le repli des personnes avec des pouvoirs décisionnels.
Bien sûr, les participant·e·s ont mentionné des aspects qui différencient les approches interculturelles et antiracistes qui semblent plus difficiles à concilier. Entre autres, l’approche interculturelle, vue comme plus consensuelle, peut être vécue comme une double peine pour les personnes racisées : « en plus de devoir subir de l’exclusion, [elles] devrait ménager la majorité historique pour éviter de la pousser au repli » (Azdouz, p. 71). Au Québec, certains peuvent également vivre beaucoup de frustration face à l’interculturel, qui est souvent utilisé comme un outil politique pour (ne pas) répondre au racisme. De plus, la visée plus longue et lente du changement qu’on tente d’instaurer grâce aux approches interculturelles peut ne pas répondre à l’urgence de certains de vivre en toute dignité et sécurité. D’un autre côté, l’ampleur des changements attendus par les antiracistes peut avoir l’effet de paralyser les acteurs et actrices devant l’immensité de la tâche, qui prend parfois l’allure d’une montagne impossible à gravir.
Bien sûr, ces analyses ne sont que préliminaires. L’objectif de cet article est plutôt de présenter l’émergence du projet et, par le fait même, de partager mes réflexions sur sa pertinence pour le pluralisme et, plus spécifiquement, pour l’interculturel. Malgré le fait qu’il existe des préjugés de part et d’autre des tenants des approches interculturelles et antiracistes, des approches interculturelles critiques, s’inspirant entre autres de l’antiracisme, sont bel et bien présentes sur le terrain. Ces approches devraient néanmoins être étudiées plus en profondeur pour qu’on en comprenne les frontières et les nuances et, surtout, être mises de l’avant pour permettre une meilleure collaboration entre acteurs et actrices du pluralisme. Le projet « Dialogue sur la Discrimination » est une introduction à cette réflexion. Résultat d’une prise de conscience au départ personnelle, puis reprise par l’équipe au sein du LABRRI, ce projet permet de mettre en perspective le rôle de l’approche interculturelle dans le pluralisme et la justice sociale. Les participant·e·s au projet nous auront permis de mettre en lumière la manière dont chaque courant répond à certains impératifs contextuels et sont à utiliser de manières complémentaires.
Conclusion
Azdouz, dans son dernier essai (2021), exprime bien l’utilité spécifique de l’antiracisme et celle de l’approche interculturelle. Pour elle, la force de frappe des tenants de l'antiracisme aura permis des avancements incroyables, et ce, très rapidement. Cependant, ils et elles ne sont pas équipés pour gérer les conflits qui opposent deux légitimités qui, selon Azdouz, n’impliquent pas d’enjeu de pouvoir, tels les conflits de valeurs, les conceptions de la vie bonne, etc. Les approches interculturelles sont plus adaptées à ce genre de travail : grâce à un processus d’écoute et d’échange de points de vue respectueux, le dialogue contribue à engager les participantes et participants dans une compréhension plus profonde des différentes visions et pratiques du monde tout en permettant à la cohabitation des différences, aux croyances et aux contradictions de coexister (Mansouri, 2019).
L’approche interculturelle du LABRRI sert un projet pour lequel nous voulons mettre en lumière, comprendre, expliciter les interactions de la vie quotidienne et trouver des pistes de solutions à ces interactions « qui viennent avec leur lot de malentendu, de conflit de valeur [et] d’intérêts divergents » (Azdouz, 2021, p. 234). Néanmoins, ces interactions peuvent être traversées par des enjeux de pouvoir que les approches antiracistes savent mettre en lumière, contribuant à rendre plus fines les analyses des situations interculturelles (White, Grégoire et Gouin-Bonenfant, 2022). Les approches interculturelles critiques, décrites par exemple par Montgomery et Bourassa-Dansereau (2019), doivent ainsi être développées et mises en valeur.
Nous avons ainsi la responsabilité, comme chercheuses et chercheurs mais aussi comme acteurs et actrices du pluralisme, de nous assurer que les approches que nous utilisons et les outils que nous développons répondent réellement aux besoins des minorités et ne sont pas seulement source de réconfort pour ceux et celles qui les utilisent. Le projet « Dialogue sur la Discrimination » est un premier pas vers cette réflexion et cette prise de responsabilité des acteurs et actrices du pluralisme dans l’objectif d’offrir au monde social des outils adaptés aux enjeux contemporains, mais surtout utiles à l’avancement de la justice sociale. Ils doivent ainsi permettre d’entamer, chez leurs utilisatrices et utilisateurs, un « changement d’état d’esprit ».
Appendices
Bibliographie
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