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Introduction

Le CREAI Hauts-de-France anime, depuis de nombreuses années, un groupement composé de cadres de direction de maisons d’accueil spécialisées (MAS) et établissements d’accueil médicalisés (EAM). L’objectif est d’offrir à ces professionnels un espace de rencontre et de partage d’expériences. Lorsqu’une thématique retient particulièrement l’attention, le groupement peut décider de l’approfondir par la réalisation d’une étude, la mise en place d’un groupe de travail ou l’organisation d’un colloque. En 2019, le sujet du développement durable et de la protection de l’environnement a été abordé en réunion et a fait l’objet d’une discussion. Il est apparu que tous les établissements n’étaient pas impliqués de la même manière : certains avaient développé plusieurs actions, ils souhaitaient les partager mais aussi découvrir de nouvelles pistes à investiguer ; d’autres en étaient plutôt au stade de la réflexion mais manifestaient leur intérêt à découvrir ce que d’autres avaient entrepris et la manière dont ils avaient procédé pour s’en inspirer. Par ailleurs, les actions mises en oeuvre révélaient différents niveaux : elles pouvaient toucher le fonctionnement propre de l’établissement (isolation, consommation d’énergie, gestion des déchets, etc.), la participation des personnes accueillies et des professionnels par le biais d’activités mises en oeuvre au sein de l’établissement (fabrication d’éponges, entretien de jardins potagers, etc.) ou encore la participation des établissements, et donc des personnes y habitant, à des actions en lien avec leur environnement social plus large (participation à des actions citoyennes de ramassage des déchets, création d’un jardin partagé, etc.). Le groupement a alors souhaité réaliser une étude visant à observer les actions mises en oeuvre dans les établissements et à communiquer sur ces actions afin qu’elles puissent potentiellement inspirer d’autres structures. Le projet d’étude a dû être reporté en raison de la crise sanitaire liée à la pandémie de COVID mais il a été repris en 2022. Le CREAI n’ayant pas d’expertise sur les questions environnementales, le choix a été fait de recruter, dans le cadre d’un stage, une étudiante en master Expertise et Traitement en Environnement. Cette dernière a investigué treize structures : cinq Maisons d’accueil spécialisées (MAS) et huit Établissements d’accueil médicalisés (EAM), accueillant, à la journée ou en hébergement, des personnes adultes pouvant présenter des incapacités sur le plan moteur et/ou intellectuel et/ou psychique, des personnes cérébrolésées ou polyhandicapées. Le recueil de données s’est fait par le biais d’entretiens menés auprès des équipes de direction, et d’échanges plus informels avec des professionnels et des personnes vivant dans ces établissements lors de la visite des structures et la découverte de certaines activités (visite de jardins, etc.).

Nous donnerons à voir, dans cet article, la richesse et la diversité des actions entreprises mais aussi les limites auxquelles elles se heurtent et les enseignements que l’on peut en tirer en termes de prise en compte du handicap dans le champ du développement durable et de la protection de l’environnement. Une première partie portera sur les actions concernant le fonctionnement des établissements. Nous verrons que ces initiatives touchent des domaines très variés mais peuvent aussi être limitées en raison de différentes contraintes, notamment budgétaires et sanitaires. Une deuxième partie concernera plus particulièrement les activités mises en oeuvre et leur impact auprès des personnes avec incapacités habitant dans ces établissements. Nous montrerons que la mobilisation autour des enjeux climatiques contribue à une meilleure prise en compte des aspirations individuelles, tant des professionnels que des personnes vivant dans ces établissements. Il concourt également à une ouverture des établissements sur leur environnement social (ville, quartier), participant ainsi à une diversification des relations sociales des personnes qui y vivent. Enfin, dans une troisième et dernière partie, nous soulèverons un enjeu qui nous semble représenter un défi sociétal majeur : celui d’une véritable prise en compte du handicap dans les actions de lutte contre le changement climatique.

Au sein des établissements, des initiatives diversifiées mais contraintes

Les initiatives prises au niveau du fonctionnement même des établissements touchent des domaines variés. En termes de réduction des déchets, il peut s’agir de l’instauration de clauses dans les marchés de fournitures pour éviter le suremballage ou la recherche systématique de réemploi de ces emballages par la mise à disposition de cartons pour les déménagements ou leur utilisation dans le cadre d’activités manuelles. La réduction des dépenses d’énergie passe par des travaux de rénovation énergétique tels que l’isolation des combles, qui peuvent être financés par les CEE (Certificat d’économie d’énergie) ou le relampage des établissements en faveur d’éclairages LED basse consommation. Certains établissements, lorsqu’ils doivent remplacer un véhicule, font le choix d’un véhicule hybride ou électrique plutôt que thermique; ceux qui disposent d’un jardin peuvent avoir procédé à l’installation de récupérateurs d’eau de pluie pour l’arrosage des plantations. Citons également le recours, de plus en plus répandu, aux achats en ressourcerie pour certaines fournitures telles que chaises, tables ou matériel de bureau.

Ces initiatives se heurtent toutefois à différentes contraintes. Tout d’abord, sur le plan budgétaire : si le décret tertiaire pose l’obligation aux établissements d’une réduction progressive de 50 % de leur consommation d’énergie, leurs moyens restent encore limités et le frein économique est largement évoqué. Même s’il est admis que les dépenses d’aujourd’hui sont les économies de demain, les ressources nécessaires à l’investissement ne sont pas forcément disponibles. Ainsi, seuls deux établissements ont procédé à l’installation de panneaux photovoltaïques, cette installation représentant un coût élevé et nécessitant la réalisation préalable d’une étude de faisabilité pour l’estimation du calibrage des équipements. Les achats alimentaires en circuit court sont aussi recherchés mais freinés par des prix non concurrentiels et impossibles à impacter dans les budgets. Ensuite, le développement d’actions est limité par des contraintes de temps : les équipes de direction déplorent ne pas avoir suffisamment de disponibilité pour s’informer. Ce besoin d’information porte sur la palette d’actions possibles, leur coût, les aides disponibles pour en faire l’acquisition, les interlocuteurs pertinents. A titre d’exemple, l’achat d’un composteur, même s’il va devenir obligatoire à partir du 31 décembre 2023, peut être freiné par crainte que l’engouement suscité par son utilisation se tasse dans le temps et qu’il soit finalement laissé à l’abandon, mais aussi en raison de multiples interrogations relatives tant à son utilité qu’à son coût et à son fonctionnement. De la même façon, 50% des personnes interrogées expliquent ne pas avoir engagé de démarche d’achats responsables car elles ne disposent pas du temps nécessaire pour comparer les offres, lesquelles semblent par ailleurs encore limitées. Enfin, se posent les contraintes résultant de normes sanitaires. En ce qui concerne le nettoyage, la majeure partie des établissements plébiscite l’utilisation de produits ayant un fort impact environnemental (détergents et désinfectants). Cette pratique se fonde sur l’idée que les produits naturels ne sont pas efficaces mais aussi sur l’obligation, dans ce type d’établissements et au nom d’une fragilité spécifique des personnes accueillies, d’avoir recours à des produits bactéricides. Les méthodes alternatives telles que l’utilisation de microfibres ou de matériel à vapeur restent ainsi cantonnées aux zones administratives et autres parties de l’établissement identifiées comme sans risque. Les normes sanitaires concernent aussi l’alimentation et conduisent à des mesures qui remettent en cause le sens des actions. Les établissements disposent souvent de grands jardins voire de parcs qui représentent de véritables petites réserves de biodiversité. Ces espaces sont investis pour la détente mais aussi pour le développement de différentes activités telles que le jardinage, l’entretien d’un jardin potager, l’installation d’animaux, de poulaillers. Mais les normes sanitaires interdisent aux personnes vivant dans ces établissements de consommer les oeufs qu’elles auront ramassés ou les fruits et légumes qu’elles auront cultivés.

Des actions au service de la participation sociale et de la citoyenneté

Outre le fonctionnement interne des établissements, les actions mises en oeuvre en faveur de la lutte contre le changement climatique ont un impact direct sur les personnes qui y vivent, et de différentes façons : elles contribuent à une personnalisation des accompagnements, à une plus grande participation à la vie de l’établissement, au déploiement de nouvelles activités qui sont un support de diversification des relations sociales et de participation active à des actions citoyennes. Elles permettent également d’exploiter voire de révéler des compétences ou d’en acquérir de nouvelles, parfois par le biais de la formation.

La recherche d’économies d’énergie et de diminution du gaspillage contribue à une meilleure prise en compte des goûts et aspirations individuelles. La lutte contre le gaspillage alimentaire a conduit certaines équipes à proposer des « fiches de goûts et dégoûts » pour un meilleur respect des préférences alimentaires des personnes, qui sont également invitées à participer à l’élaboration des menus. De la même façon, la recherche d’une meilleure gestion de la consommation d’eau amène à sortir des logiques institutionnelles de type « une douche ou un bain par jour et par personne » : l’adaptation se fait au jour le jour, de façon individuelle, certaines personnes pouvant préférer une toilette au lavabo et d’autres avoir besoin de prendre deux douches par jour. Cette démarche peut toutefois se heurter à une réticence des professionnels qui ont du mal à s’écarter de la norme « une douche par jour » qui leur a été inculquée dans le cadre de leur formation.

La participation à la vie de l’établissement peut se traduire de différentes manières. Tout d’abord, par l’élaboration collective d’outils de sensibilisation ; citons, à titre d’exemple, un établissement dans lequel professionnels et habitants ont créé ensemble des signalétiques pour faciliter le tri des déchets. Elle peut aussi se faire par un système de redistribution : dans un autre établissement, habitants et professionnels sont informés régulièrement des économies réalisées grâce une meilleure gestion de l’eau et de l’électricité et sont invités à choisir les projets que ces économies pourront financer. Un établissement a également porté le projet de création d’une association. Cette dernière a vocation à porter tout type d’action dans le respect du vivant et de l’environnement : elle a ainsi proposé des produits « zéro déchet » conçus dans l’établissement à la vente lors de marchés de Noël en ville et a participé à un ramassage de déchets dans le cadre de la World Clean Up Day[1]. Elle est gérée par des professionnels et des personnes vivant dans l’établissement, chacun a le même statut et tous les choix sont soumis au vote. Ces actions participent ainsi à une moindre asymétrie des relations entre professionnels et habitants : les actions sont pensées, choisies et réalisées ensemble.

La protection de l’environnement est aussi une source considérable de développement de nouvelles activités. Ces dernières peuvent se déployer au sein de l’établissement, comme des ateliers de recyclage de papier ou de confection de produits « zéro déchet ». D’autres se déploient à l’extérieur, comme la visite de ressourceries ou la participation à des actions citoyennes telles qu’un rallye propreté local ou, comme nous l’avons mentionné plus haut, à la Word Clean Up Day. D’autres enfin contribuent à rendre l’établissement plus ouvert sur son environnement social. Plusieurs structures ont ainsi fait le choix de développer l’éco-pâturage : elles mettent à disposition leur terrain à des éleveurs qui peuvent faire paître leurs animaux (chèvres, moutons, etc.). Cette initiative permet d’entretenir les espaces verts à moindre coût, de façon écologique, mais permet aussi aux habitants des établissements de développer des relations avec les éleveurs et d’avoir des contacts avec les animaux. Un foyer reçoit aussi la visite régulière d’une mini-ferme itinérante qui lui permet d’accueillir ponctuellement un lama, une ponette, des chèvres, un mouton et des poules. Citons également cet autre foyer qui a développé, sur son terrain, un jardin partagé avec une association locale et porte le projet de l’agrémenter d’une agora afin de proposer des activités culturelles (concerts, etc.) ouvertes au public. Ces actions permettent ainsi de développer des relations avec des acteurs et associations qui ne s’inscrivent pas dans le champ médicosocial et de porter des projets communs.

Enfin, ces actions permettent d’exploiter ou d’acquérir des compétences. Le développement d’un jardin potager dans un établissement a permis à une personne y vivant de dire qu’elle avait occupé par le passé une activité professionnelle de jardinage et aimerait s’y investir de nouveau : elle peut ainsi mettre à profit ses compétences et les partager avec d’autres. Une dame vivant dans un foyer a bénéficié d’une formation gratuite de guide composteur délivrée par une communauté de communes. Elle est désormais personne-ressource de l’établissement pour le composteur qui y a été installé et mène notamment une action de sensibilisation des autres habitants et des professionnels. Précisons que cet axe concerne aussi les professionnels : certains ont choisi, à titre privé, de s’investir plus particulièrement en faveur de l’environnement et organisent, dans les établissements dans lesquels ils travaillent, des débats autour de l’environnement et des actions de sensibilisation aux enjeux climatiques ; plusieurs verbalisent le fait que ce type d’actions contribue à redonner du sens à leur activité et à apporter une certaine qualité de vie au travail. Certaines compétences jusqu’alors ignorées vont aussi se révéler : c’est le cas de cette éducatrice qui, profitant d’une réflexion autour de l’exploitation des espaces verts de l’établissement, a expliqué qu’elle était aussi apicultrice et a proposé d’amener des ruches. Des équipements de protection ont été achetés, les ruches ont été installées et elle a pu former ses collègues ainsi que des habitants de l’établissement volontaires à l’apiculture. Cette activité a ensuite été ouverte notamment à des enfants grâce à un partenariat avec des écoles locales.

Précisons enfin que le développement de ces différentes actions amène professionnels et personnes vivant au sein des établissements à réfléchir ensemble à la création d’outils permettant le développement d’activités qui répondent à des enjeux écologiques mais aussi d’accessibilité. En visitant notamment les jardins potagers, il est visible que les idées ne manquent pas. On peut ainsi découvrir des bacs de plantation surélevés, permettant la participation de personnes circulant en fauteuil, construits avec des matériaux de récupération. Cagettes et bidons sont réutilisés pour créer des bacs ou des pots pour les plantes. Le constat se fait pourtant, de façon générale, de difficultés à expliquer les enjeux climatiques à des personnes présentant des incapacités sur le plan intellectuel, par manque de supports adaptés. Cette carence renvoie à un enjeu majeur de sensibilisation, que nous allons maintenant développer.

Un enjeu de participation et d’accessibilité de l’information au service de tous

Le droit de l’environnement pose quatre grands principes fondamentaux, dont celui d’information et de participation du public : tout citoyen doit avoir accès aux informations relatives à l’environnement et doit se voir offrir la possibilité de participer à la prise de décisions en matière d’environnement. Pourtant, comme nous l’avons précisé plus haut, le constat s’opère d’un manque d’outils d’information adaptés à des personnes présentant des incapacités sur le plan intellectuel. Il convient de souligner que ce type d’incapacité a été plus particulièrement ciblé par les personnes que nous avons rencontrées dans le cadre de cette étude car il est surreprésenté dans les établissements investigués, mais le constat pourrait probablement s’opérer de la même façon pour d’autres incapacités, notamment sensorielles. Le difficile accès à ces informations renvoie aux analyses déjà effectuées de la difficulté de traduire en pratique le droit à destination de personnes présentant des incapacités, en l’absence d’indicateurs de qualité d’accès (Fougeyrollas et al., 2015). La mise en accessibilité du droit et des politiques publiques reste un enjeu majeur de justice sociale (Dubet, 2014).

Les informations relatives à la protection de l’environnement peuvent être particulièrement complexes et la diversité des formulations ajoute à la complexité : comment faire la différence entre environnement et écologie ou entre crise écologique, changement climatique et réchauffement climatique ? Comment expliciter, en des termes facilement compréhensibles, les enjeux liés à la fonte du permafrost ou les sources d’émissions de gaz à effet de serre ? Plusieurs professionnels nous ont fait part de leur souhait de disposer de fiches explicatives rédigées en Facile à Lire et à Comprendre[2]. La réalisation de ces fiches pose toutefois une difficulté particulière : leur élaboration nécessite de maitriser les informations que l’on souhaite expliciter. Elles doivent donc être coconstruites avec des personnes ayant une incapacité intellectuelle, maitrisant les règles du Facile à Lire et à Comprendre, et des acteurs bénéficiant d’une expertise sur les enjeux climatiques. Or, cette étude nous a permis de mieux prendre conscience de la quasi-absence de connaissances et de prise en considération du handicap par les acteurs du développement durable. Notre association, le CREAI, consciente de ses lacunes sur le sujet, a fait le choix de recruter, pour la réalisation de cette étude, une étudiante en Master environnementaliste. Cette étude lui a permis d’acquérir des connaissances relatives au handicap et nous a permis d’apprendre que cette question n’était pas abordée dans le cadre de sa formation. Des démarches entreprises auprès d’associations oeuvrant dans le champ du développement durable en vue de développer des partenariats nous ont amenées au même constat : le handicap reste un impensé. De la même manière que dans les travaux sur le genre, les normes produites ignorent ou invisibilisent toute une partie de la population présentant des incapacités (Revillard, 2022).

Si l’on accepte la définition du handicap selon laquelle il est le produit de l’interaction de facteurs individuels et de facteurs environnementaux (Fougeyrollas, 2010), alors sa prise en compte semble un enjeu majeur dans le cadre de la protection de l’environnement, et pour différentes raisons. Tout d’abord, il s’agit de ne pas créer de situations de handicap par le déploiement d’actions inaccessibles à certains et la construction, ce faisant, d’environnements inadaptés à une partie de la population. Un exemple est la valorisation des « mobilités douces » et la quasi-injonction de recours à la marche ou au vélo par l’interdiction des centres-villes aux automobiles en l’absence de développement réel d’alternatives telles que le déploiement des transports en commun ou leur accessibilité physique et financière. Ces dispositions, dont on ne niera pas l’efficacité en termes de réduction souhaitable de la pollution, s’inscrivent dans des normes validistes et excluent, de fait, les personnes ayant des incapacités ou des difficultés motrices. Convoquer la participation de personnes avec incapacité(s) à la réflexion sur les actions à développer permettrait une meilleure prise en compte de la diversité des contraintes qui peuvent se poser à une large part de la population et favoriserait ainsi une meilleure acceptation sociale. Ensuite, force est de constater que les informations relatives aux enjeux climatiques sont complexes et qu’il n’est nul besoin d’incapacité intellectuelle pour peiner à les comprendre. Les fresques du climat[3], par exemple, sont des outils développés en direction du grand public. Elles visent à favoriser la compréhension des enjeux climatiques en retraçant les liens de cause à effets. Elles sont organisées sous forme ludique afin de faciliter l’appropriation des connaissances. Mais elles font néanmoins appel à des connaissances et à un vocabulaire complexe. Créer une fresque du climat adaptée à des personnes ayant des incapacités intellectuelles permettrait de simplifier cet outil et de le rendre accessible à un plus grand nombre de personnes. Développer des modes d’action adaptés aux personnes ayant des incapacités, quelles qu’elles soient, peut ainsi contribuer à diversifier la palette d’actions que chaque membre de la société pourra mobiliser.

Conclusion

L’étude menée par le CREAI Hauts-de-France donne à voir la diversité et la richesse des actions développées au sein des établissements médicosociaux en faveur de la protection de l’environnement. Elle permet aussi de montrer que ces actions, outre leur impact face aux enjeux climatiques, participent à une meilleure prise en compte des aspirations individuelles tant des professionnels qui y exercent que des personnes qui y vivent, à une ouverture des établissements sur leur environnement et ainsi à une diversification des relations sociales de leurs habitants. Elles leur offrent une opportunité d’investissement dans des actions citoyennes, par le biais parfois de la valorisation ou de l’acquisition de compétences.

Mais ces initiatives, si riches et diversifiées soient-elles, se heurtent à différentes contraintes qui nous semblent révélatrices d’un certain regard social sur le handicap : un regard teinté de misérabilisme qui nourrit une approche essentiellement protectionniste. Les normes sanitaires qui interdisent aux personnes vivant en établissement médicosocial la consommation de produits issus de leur potager ou d’oeufs ramassés directement dans leur poulailler, à l’heure où la consommation de produits « bio » et le recours au circuit court sont fortement valorisés dans le reste de la population, en est particulièrement révélatrice. Le manque de connaissances relatives au handicap par les acteurs du développement durable en témoigne également : les personnes avec incapacités semblent davantage envisagées comme devant faire l’objet d’une protection particulière, par leur vulnérabilité spécifique qui les expose davantage aux risques climatiques, que comme des citoyens pouvant s’impliquer et participer activement à la lutte contre le changement climatique. Pourtant, la participation des personnes avec incapacités à l’élaboration des actions visant la protection de l’environnement permettrait de développer l’éventail des possibilités que chacun pourrait mobiliser ; elle permettrait aussi une meilleure prise en compte des contraintes individuelles, participant ainsi à une meilleure acceptation sociale des mesures mises en oeuvre. Alors que les enjeux climatiques se développent dans un contexte de creusement des inégalités sur le plan mondial (Chancel, 2022), la prise en compte du handicap, dans une perspective de citoyenneté et non exclusivement de protection, nous semble un enjeu majeur pour les acteurs du développement durable comme pour l’ensemble des citoyens : la crise climatique sera d’autant mieux combattue qu’elle mobilisera l’ensemble des membres de la société, dans le respect de leur diversité et la reconnaissance de la richesse qu’elle constitue. Par ailleurs, le déploiement de politiques environnementales déconnectées des questions de handicap risque de renforcer un modèle biomédical et individuel du handicap, invisibilisant sa dimension politique (Baudot et Fillion, 2021).