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Introduction

Je voudrais partager quelques aspects d'un sujet qui nous préoccupe et qui constitue un véritable défi pour l'avenir : la durabilité du mécanisme de financement des prestations du Système unique de soins intégrés des personnes handicapées[1], sans oublier les personnes neurodivergentes. Je formule ces considérations à partir d'un point de vue multiple, en tant que père d'une personne neurodivergente, en tant que chercheur universitaire et enseignant dans le domaine de la réglementation juridique du handicap, mais aussi à partir de mon expérience de travail au sein des organisations de la société civile comme consultant et bénévole.

Il est essentiel que toutes les personnes handicapées puissent avoir accès à un diagnostic et à des traitements optimaux, ainsi qu’à des professionnels spécialisés. Cette situation idéale exige la résolution des difficultés en lien avec le système de financement qui englobe l'ensemble des personnes handicapées. Mes inquiétudes portent sur la durabilité du mécanisme de financement des prestations du Système unique de soins intégrés des personnes handicapées, qui dessert toutes les personnes handicapées. Naturellement, en tant que parent, la situation des personnes neurodivergentes m’inquiète particulièrement.

La gravité du problème touche également les trois composantes du système de santé argentin : le secteur public, la sécurité sociale et le sous-secteur privé. Un premier regard sur les lois concernant le handicap montre que l’Argentine s’est dotée d'un cadre légal et réglementaire qui reconnaît les droits des personnes handicapées et qui les protège. Plus précisément, ces lois et règlements obligent l’État à mettre en oeuvre des politiques publiques relatives au droit aux soins en matière de santé et à tous les traitements visant l'adaptation et la réadaptation complètes de la personne. Il en va de même pour le droit à l'inclusion scolaire, qui devrait se traduire dans la réalité vécue, mais qui, malheureusement, se limite à être une déclaration.

En effet, on constate que la grande majorité des normes, aussi bien celles qui proviennent du droit international que les normes constitutionnelles et infra-constitutionnelles (dans les juridictions nationale et provinciales), ne sont pas respectées. Deux raisons sont à la base de cette transgression : d’une part, il y a l’inaction de l'État et, du côté de la société, on observe un manque de solidarité, d'empathie et de compréhension des droits de la personne. En effet, les droits de la personne devraient être de nature universelle, car toute personne devrait pouvoir en bénéficier, qu'elle ait ou non un handicap, mais ce n’est pas le cas.

En plus de l'absence ou de l'insuffisance de politiques publiques en matière de handicap, on constate également que l’apport des fonds essentiels pour soutenir de manière appropriée la prestation des allocations nécessaires afin de permettre aux personnes handicapées d'atteindre un niveau de vie adéquat (en matière de santé, d'éducation et de travail[2]) est amplement insuffisant.

Il se trouve que, comme le soulignent Holmes et Sunstein[3], il existe un « coût des droits ». Cela signifie que la jouissance effective et l'accès à un droit (par exemple, l'accès à la santé et à l'éducation pour les personnes handicapées) impliquent la planification de politiques publiques et l'allocation de fonds de la part de l'État pour subvenir aux infrastructures nécessaires, ainsi qu’aux ressources humaines professionnelles. D’ailleurs, il est de sa responsabilité de procurer les équipements et les technologies nécessaires, de former des professionnels de la santé, des médecins, des professionnels thérapeutiques, des gestionnaires et des enseignants pour les écoles publiques et privées, de mettre en place des programmes visant à encourager l'installation de professionnels de la santé correctement formés partout sur le territoire national afin d'augmenter le niveau des soins de santé, de construire des écoles, de former et d’embaucher des enseignants et des administrateurs à l'inclusion[4] des élèves ayant un handicap afin d’assurer leur développement scolaire, de mettre en oeuvre les soutiens et les aménagements nécessaires pour assurer le succès des personnes handicapées (structuration des programmes d'accessibilité architecturale, conception universelle pour l'apprentissage, etc.). Finalement, l’État doit mettre en oeuvre des mécanismes gouvernementaux visant à contrôler et à sanctionner les organismes de sécurité sociale et d'assurance maladie prépayée en cas de non-respect de versement des prestations. Il devrait aussi mettre en place des organes de médiation administrative, afin d'éviter d'accroitre le recours aux tribunaux pour gérer les situations de conflit, etc.

Pour cela, le gouvernement doit avoir une compréhension de ses priorités et décider des politiques publiques à mettre en oeuvre en fonction des ressources disponibles. Or, le handicap n'étant pas une politique d'État en Argentine, il ne bénéficie pas de ressources budgétaires suffisantes pour être pris en compte dans le système de santé publique. Il faut préciser la différence entre les politiques publiques et la politique d’État. Les politiques publiques sont des interventions de l'État dans les différents domaines du développement social et économique qui comprennent des aspects tels que les ressources allouées, les objectifs poursuivis et la période visée, et la population à laquelle elles s'adressent.

Le gouvernement décide de les mettre en oeuvre en déterminant des priorités qui ne sont pas nécessairement partagées par tous les acteurs sociaux. En revanche, la politique d’un État représente l'ensemble des politiques publiques ayant la plus haute importance pour le développement d'un pays et concerne généralement la santé, l'éducation, le développement des infrastructures, la création de services publics de meilleure qualité, etc. Une politique d'État est donc plus importante, car elle ne dépend pas des changements qui peuvent se produire au fil des gouvernements selon les résultats électoraux. Elle sera toujours considérée comme une politique prioritaire à mener, avec des objectifs et des ressources assignés. Historiquement, le handicap n'a pas été une politique d'État en Argentine car, bien que des réglementations générales et spéciales aient été émises sur le sujet, il existe un certain consensus sur le fait que les ressources allouées à la prise en charge des personnes handicapées sont une « dépense » et non un investissement, car la diversité et ses contributions ne sont pas valorisées en tant qu'élément enrichissant du capital humain de la société. Par conséquent, l’Argentine ne dispose pas de ressources suffisantes pour mener une politique publique appropriée dans ce domaine.

À cela s'ajoute un manque de volonté de la part de la sécurité sociale et des assurances médicales prépayées de répondre à ces besoins, ce qui conduit à une augmentation de la judiciarisation de la santé.

Pourquoi parle-t-on d'une crise des mécanismes de financement?

Dans le secteur public du système de santé, les ressources limitées empêchent la consolidation des soins de santé primaires et secondaires qui permettrait d'offrir des services de dépistage, de diagnostic et de traitement d'adaptation ou de réadaptation à la population qui, en raison de la pandémie et du déclin du marché du travail, n'a accès à aucun système, ce qui compromet l'équité en matière de soins de santé.

Le projet de budget national de l'Argentine[5] prévoit des coupes sombres dans les allocations budgétaires qui vont jusqu’à 8,1 % et qui auront un impact négatif sur cette situation[6]. De plus, ces restrictions risquent de limiter toute initiative de l'État pour faire progresser l’éducation inclusive.

En raison de la perte d'emplois, les caisses de sécurité sociale ont subi une diminution du nombre d'affiliés et donc des ressources (cotisations des employés et des employeurs[7]), ce qui a réduit le pourcentage des fonds alloués au Fonds solidaire de redistribution[8] qui finance les prestations d'invalidité. Le manque de ressources des caisses de sécurité sociale a mis en péril leur santé financière et elles n'ont pas été en mesure de fournir des prestations d'invalidité adéquates (et dans de nombreux cas, de fournir des soins médicaux appropriés). Parmi les conséquences de ces coupures, on peut mentionner, par exemple, la discontinuité de certains traitements ou le manque de paiements aux prestataires, ce qui affaiblit l’obtention des services[9]. Les retards dans le paiement des prestataires médicaux et des thérapeutes du système de sécurité sociale[10] sont dus à la fois à des retards dans la vérification de la documentation fournie par les usagers aux caisses de sécurité sociale ou à la Surintendance des services de santé[11], mais aussi à des retards de l'Administration fédérale des recettes publiques (AFIP pour son sigle en espagnol) dans le transfert des fonds sur les comptes des bureaux de sécurité sociale, qui doivent à leur tour imputer les frais correspondants aux comptes bancaires des prestataires.

En outre, en raison de l'inflation galopante de l'économie argentine[12], lorsque les caisses sont en mesure de verser au prestataire le paiement des services rendus plusieurs mois auparavant aux personnes handicapées, la dépréciation de la valeur de la monnaie a un impact négatif sur le montant perçu en contrepartie du travail professionnel effectué.

De même, la réduction des revenus des familles a entraîné le transfert progressif des affiliations de celles-ci aux compagnies d'assurance médicale prépayée vers des plans de couverture médicale moins coûteux. De nombreuses familles ont dû cesser de contracter le service, perdant ainsi l'accès aux prestations. Lorsque l’affilié est exclu de ce système, il cherche à intégrer le système de protection sociale ou, si cela n'est pas possible, à obtenir les soins que l'hôpital public peut fournir à la famille d'une personne en situation de handicap.[13]

Malgré les dispositions de la Loi 24.901[14] sur les services obligatoires à fournir par l'État et la sécurité sociale (article 4) et prépayés (article 7 de la loi 26.682), pour soigner les personnes handicapées, le manque de fonds mentionné plus haut se traduit par des réductions et des refus des prestations demandées par les personnes handicapées et leurs familles.[15] Malheureusement, il n'existe pas de statistiques unifiées sur la quantité de personnes handicapées affectées par la réduction ou le refus des prestations demandées dans l'ensemble du pays. Toutefois, ce phénomène est mis en évidence par l’augmentation d’actions judiciaires engagées pour cette raison. Ces statistiques sont enregistrées séparément dans les tribunaux nationaux et dans chaque province du pays, raison pour laquelle elles ne sont pas facilement accessibles et sont généralement très obsolètes. D’ailleurs, vu que de nombreuses familles décident de ne pas faire appel de l'octroi partiel ou du refus de la prestation demandée (pour diverses raisons, comme parce que, financièrement, elles n’ont pas la possibilité économique de recourir à la justice, ou parce qu’elles ignorent leur droit à réclamer), les données relatives aux actions en justice ne sont pas représentatives des expériences des personnes privées de services. Par conséquent, il est très difficile de déterminer le nombre total de personnes lésées par le manque de services. Or, dans de nombreux cas, ces refus ne sont pas fondés.

Malheureusement, les personnes qui font les frais de la crise de financement du système sont les professionnels et les centres médicaux et/ou thérapeutiques prestataires de services qui, étranglés financièrement, ne peuvent se consacrer dignement à leurs clients et finissent par prodiguer des soins à titre privé ou en sollicitant d'autres domaines de la médecine pour fournir certaines prestations. Un autre groupe qui subit les conséquences de cette crise sont les personnes handicapées (et leurs familles) qui ne peuvent donc pas accéder à un traitement de qualité, avec les professionnels appropriés dont elles ont besoin, conformément au plan de traitement indiqué par le médecin généraliste de l'équipe de soutien. Dans le cas du soutien scolaire (professeurs d'inclusion ou centres d'inclusion), l'offre est rare et ne peut satisfaire la forte demande des familles qui ont besoin de ce soutien vital pour l'inclusion scolaire[16]. Tous ces éléments, en particulier dans les domaines de la santé et de l'éducation, ont un impact substantiel sur la viabilité financière de l'ensemble du système de prestations.

Face à cette situation, l'épiscopat argentin[17] a déploré que le domaine de l'éducation « n'occupe pas une place prioritaire dans l'agenda politique ou social » et s’est alarmé du montant des fonds alloués aux programmes d'aide aux personnes handicapées. Le cardinal Mario Poli a averti que « personne ne nie que la situation actuelle de l'économie nationale nécessite une réorganisation des comptes publics, mais les variables d'ajustement ne peuvent pas tomber sur les zones les plus sensibles et vulnérables de la population, dont les effets seraient néfastes[18] ». Les réductions budgétaires exposent « les enfants, les personnes handicapées et le niveau d'éducation obligatoire à de graves conséquences ».

Nous espérons, pour le bien-être général, que cette situation sera surmontée rapidement. Le respect de notre dignité en tant que personnes exige que tous les êtres humains soient traités sur un pied d'égalité et que nous puissions jouir des droits fondamentaux qui découlent du respect de cette dignité.