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Un numéro Varia est toujours une aventure. Rencontres de différents horizons, de différentes disciplines, de différents savoirs. Ces rencontres sont également la raison d’être de notre revue qui s’engage dans la valorisation des savoirs scientifiques, professionnels et expérientiels. Une aventure éditoriale collective qui prend une nouvelle dimension avec la publication des archives en libre accès sur Erudit.
Nous sommes fiers de présenter ce numéro Varia, entièrement composé d’articles représentatifs de nos valeurs éditoriales. En effet, ce numéro propose des textes dont l’approche est interdisciplinaire et transgénérationnelle, où plusieurs disciplines sont représentées, ainsi que différents types de déficiences, incapacités et groupes d’âge. On peut en dire autant à propos des auteures et auteurs, qui viennent des quatre coins du monde et qui sont des chercheures et chercheurs expérimenté.e.s, des étudiantes et des membres du monde associatif désireux de partager leurs savoirs. Cette diversité sera désormais mise en lumière dans nos colonnes grâce à une nouvelle structuration de la revue et un travail d’évaluation remodelé. La revue Aequitas se dote de trois catégories : savoirs scientifiques, savoirs professionnels et savoirs expérientiels. Il n’existe pas de hiérarchie entre ces catégories, mais une réelle complémentarité. Tous les articles bénéficient d’une évaluation par des pairs, adaptée en fonction des catégories, afin de répondre à nos exigences de lisibilité, d’accessibilité et de qualité.
Un premier article vient donc inaugurer cette catégorie des savoirs professionnels. Comme son titre l’indique : « Tu es canon » Le manifeste de la mode inclusive, par et pour les personnes en situation de handicap, l’article de Teresa Maranzano, de ASA-Handicap mental, en Suisse, présente le premier manifeste de la mode inclusive de l’association ASA-Handicap mental. L’auteure décrit les réflexions à l’origine du programme et explique la méthodologie mise en oeuvre dans la rédaction participative de ce document. Ce manifeste entend porter les revendications exprimées par les signataires.
Les autres articles de ce numéro entrent dans la catégorie des savoirs scientifiques. Deux articles sont consacrés à un travail conceptuel, trois articles rendent compte de recherches appliquées et un dernier article présente les résultats d’une recherche-action.
Au menu des articles conceptuels, Habitudes et participation sociale. Le Processus de Production du Handicap (PPH) à la lumière de la philosophie pragmatiste de John Dewey, Loïc Andrien s’appuie sur la philosophie pragmatiste et plus particulièrement deweyenne pour discuter le concept d’ « habitude de vie » tel qu’il est défini par le Processus de Production du Handicap (PPH). Il montre que les habitudes se révèlent des modalités de compréhension des dynamiques politiques et institutionnelles par le biais de leur mise en récit, à travers une méthode d’enquête.
L’article de Marjorie Silverman et Alexandre Baril, Transer la démence : Repenser la contrainte à la continuité biographique en théorisant le cisisme et la cisnormativité, intéressera les lectrices et les lecteurs non seulement par la réflexion originelle de la démence, mais aussi par son utilisation des outils théoriques interdisciplinaires (études trans, études sur le handicap et crip). En effet, les auteurs reconceptualisent l’identité de soi dans le contexte de la démence. Ils avancent que les personnes ayant la démence sont contraintes à une sorte de continuité biographique basée sur leur « soi pré-démence » ancrée dans un mélange d’âgisme, capacitisme et cogniticisme qui interagit avec « le cisisme » (terme conçu par les auteurs pour nommer le système d’oppression qui discrimine les personnes sur la base du changement). Les auteurs se penchent sur l’évolution du terme « cisnormativité » pour le revisiter et le critiquer dans le contexte de la démence. Finalement, ils proposent un néologisme, « transer » (transing) pour ouvrir vers une nouvelle conceptualisation de la démence en tant qu’un soi fluide et changeant.
Du côté des recherches appliquées, Karine Gagnon, dans son article Accompagnement-citoyen personnalisé d’intégration communautaire (APIC) d’aînés ayant des incapacités : Exploration de l’expérience et de son influence douze mois plus tard, documente certains aspects de la vie des aînés ayant des incapacités, comme la qualité de vie, les déplacements, l’indépendance fonctionnelle, la participation sociale et les loisirs. Elle mesure l’influence de l’Accompagnement-citoyen personnalisé d’intégration communautaire (APIC), un an après la fin de l’accompagnement. Elle explore aussi leur expérience lors de l’accompagnement. Elle conclut que les aînés ayant participé à l’APIC présentaient une amélioration de leur qualité de vie globale.
Dans un registre bien différent, Yana Zdravkova publie une partie des résultats de sa recherche en milieu pénitencier dans son article La prison à l’épreuve du handicap : concilier les impératifs de dignité et d’égalité dans le quotidien carcéral. Elle montre que le handicap constitue une épreuve supplémentaire en prison et que des valeurs telles que « égalité » et « dignité », s’érigent en épreuve pour les personnes incarcérées. L’auteure observe que ces notions entrent en tension dans les pratiques quotidiennes en prison, en partie parce qu’elles matérialisent « l’incertitude dans laquelle le handicap plonge le monde pénitentiaire ». Elle montre que l’égalité et la liberté deviennent des instruments de marginalisation des personnes handicapées incarcérées.
Dans l’article Violence de la part d’un partenaire intime et itinérance. Qu’en est-il des femmes en situation de handicap au Québec?, Julie Godin et Catherine Flynn s’intéressent aux difficultés auxquelles font face les femmes en situation de handicap, entre précarité économique et itinérance. Elles décrivent les liens existants entre ces situations et les violences perpétrées par des partenaires intimes. L’article se base sur des entrevues de type récits. Il met en évidence l’intersectionalité entre handicap, itinérance et la violence. Il conclue que les violences interpersonnelles et structurelles, ancrées dans le patriarcat et le capacitisme, maintiennent ces femmes dans la sphère du privé tout en empêchant leur épanouissement et les condamnant à la pauvreté.
Le dernier article est un article de recherche-action. Dans Les expériences d’inclusion sociale à l’interface du handicap et de la situation migratoire : Une étude d’élicitation du discours par l’art, Sylvia Khau, Tayseer Verican, Fei Wang, Félix Delage-Laurin, Wendy Paola Ramos et Laurence Roy se penchent sur les obstacles d’un autre aspect intersectionnel : celui de la migration et du handicap. Dans leur travail, les auteures essayaient de comprendre la manière dont les personnes immigrantes qui ont une incapacité vivent leur condition à Montréal, et plus généralement au Québec. S’intéressant à diverses dimensions identitaires, elles concluent qu’il faut entreprendre des changements structurels si l’on aspire à une société inclusive et équitable, « en particulier en matière d’accès à des services essentiels de réadaptation ».
Tous ces articles issus d’horizons divers viendront enrichir encore un peu plus les archives de notre revue. Depuis 1988, de nombreux auteurs ont partagé nos colonnes. Les anciens numéros étaient jusque-là accessibles sur le site du RIPPH. Ils seront désormais publiés en libre accès sur Erudit. Une collaboration avec Erudit qui nous permet de renforcer la visibilité de la revue. Pour le lecteur c’est également une avancée non négligeable. Il aura la possibilité d’accéder directement aux articles référencés sur une plateforme unique. Cette publication des archives sera progressive. Nul doute que leur lecture donnera du grain à moudre et invitera à l’écriture d’articles ou à la publication de numéros spéciaux. Certains sujets restent d’une troublante et étonnante actualité. Mais il faudra se rendre sur Erudit pour le (re)découvrir.