Abstracts
Résumé
Cet article propose un tour d’horizon de la littérature faisant usage des modèles de compétition électorale avec candidature endogène, modèles qui ont pour ambition, entre autres, d’expliquer le nombre de candidats et leur polarisation dans les élections pluralitaires. Dans une élection pluralitaire, chaque électeur vote pour un seul candidat et le candidat qui obtient le plus de votes est élu. Nous regroupons en trois familles les différents types de modèles avec candidature endogène. Ce regroupement est basé sur ce qui motive un candidat à se présenter à l’élection et sur la partie de l’ensemble des candidats qui est endogène. Nous argumentons que, comparé au modèle standard Hotelling-Downs, les modèles avec candidature endogène offrent des avantages à la fois sur le plan théorique et sur le plan empirique. Sur le plan théorique, ces modèles offrent, d’une manière qui est davantage satisfaisante, des microfondements à l’émergence et/ou la stabilité d’un système bipartite. Sur le plan empirique, ces modèles offrent une meilleure explication des faits stylisés concernant le nombre de candidats et leur polarisation. Nous soulignons également certaines limitations de ces modèles et proposons des avenues pour les recherches futures.
Article body
Introduction
Les élections sont considérées comme un élément essentiel d’une saine démocratie. Il n’est donc pas surprenant que la compétition électorale ait été abondamment étudiée. Dans la littérature en économie politique, qui a pour ambition de comprendre les effets des processus politiques sur les politiques économiques, la compétition électorale est souvent utilisée comme une forme réduite de la sphère politique – les politiques publiques sont supposées émerger des élections plutôt que d’être choisies par un planificateur bienveillant. Le modèle spatial de compétition électorale le plus communément utilisé, le modèle Hotelling-Downs, est exposé dans de nombreux manuels[1].
Cet article propose un tour d’horizon des modèles spatiaux de compétition électorale qui va au-delà du modèle Hotelling-Downs. En particulier, nous discutons une classe de modèles qui peut être qualifiée de « modèles spatiaux de compétition électorale avec candidature endogène ». Nous argumentons que ces modèles fournissent une meilleure explication de certains faits stylisés et reposent sur des fondements théoriques plus satisfaisants. Nous limiterons notre analyse aux élections pluralitaires. Un autre article – Bol, Dellis et Oak (2016) – offre un tour d’horizon de l’analyse comparée de différents systèmes électoraux lorsque les candidatures sont endogènes.
Le présent article est organisé de la façon suivante. Le première section passe en revue et critique le modèle canonique de compétition électorale Hotelling-Downs. Dans la deuxième partie, nous présentons quelques faits stylisés concernant le nombre et la polarisation des partis politiques dans plusieurs démocraties. Dans la troisième partie, nous proposons une classification en trois familles des modèles avec candidature endogène et discutons chacune de ces familles. Finalement, dans la quatrième partie, nous comparons les éclairages apportés par ces trois familles de modèles, et concluons en indiquant des directions pour les recherches futures.
1. Un bref tour d’horizon du modèle Hotelling-Downs
Dans le modèle canonique Hotelling-Downs (voir Calvert, 1986; Duggan, 2006 ou De Donder et Gallego, 2017 pour une description complète du modèle et des hypothèses qui y sont faites) l’ensemble des politiques possibles est représenté par le traditionnel axe gauche-droite. Deux candidats, qui cherchent à maximiser le nombre de votes qu’ils obtiennent, choisissent chacun un point sur cette ligne, point qui représente la politique que le candidat s’engage à mettre en oeuvre s’il est élu. Les électeurs ont chacun une politique idéale sur cette ligne; l’utilité d’un électeur est supposée décroître avec la distance entre sa politique idéale et la politique qui est mise en oeuvre[2]. Une élection se tient sous la règle de pluralité; chaque électeur vote pour un seul candidat et le candidat qui obtient le plus de votes est élu. Le théorème de l’électeur médian établit qu’à l’équilibre, les candidats se positionnent tous deux à la politique idéale de l’électeur médian. La simplicité et l’attrait intuitif de ce résultat en font un des concepts les plus populaires en économie politique. Comme le souligne Callander (2005 : 1116) : « This powerful result has provided the foundation for insight into many areas of political economy, including influential models on the size of government, the nature of redistributive policies, and the rate of economic growth. »
Cependant, il y a plusieurs limitations à ce modèle et à sa prédiction, le théorème de l’électeur médian. Nous discutons brièvement quelques unes de ces limitations.
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Soutien empirique mitigé. Le théorème de l’électeur médian fait deux prédictions, à savoir les deux candidats adoptent la même position, et cette position correspond à la politique idéale de l’électeur médian. Cependant, l’évidence empirique ne supporte pas ces prédictions. Par exemple, Ansolabehere, Snyder et Stewart (2001) identifient les positions des candidats démocrates et des candidats républicains dans les élections à la Chambre des représentants aux États-Unis. Ces auteurs montrent que, au sein d’une même circonscription électorale, le candidat démocrate et le candidat républicain adoptent presque toujours des positions différentes. En outre, Gerber et Lewis (2004) disposent des bulletins de vote individuels à Los Angeles lors de l’élection à la Chambre des représentants de l’État de Californie en 1992. Ces auteurs montrent que, hormis dans les circonscriptions électorales où il y avait une grande homogénéité dans les politiques idéales des électeurs, le candidat élu avait adopté une position différente de la politique idéale de l’électeur médian.
En plus de la présence d’une divergence entre les positions des candidats et la politique idéale de l’électeur médian, le degré de divergence varie au cours du temps et de l’espace (voir, par exemple, Ansolabehere, Snyder et Stewart, 2001, et l’évidence empirique présentée dans la section 2 ci-dessous).
Ces observations soulignent la nécessité d’avoir un modèle plus riche que le modèle canonique Hotelling-Downs[3].
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Existence d’un équilibre. L’existence d’équilibres en stratégies pures dans le modèle canonique Hotelling-Downs dépend du fait qu’il n’y ait que deux candidats et une seule dimension à l’espace des politiques. Avec plus de deux candidats, l’existence d’un équilibre en stratégies pures n’est pas garantie. En outre, quand l’espace des politiques est multidimensionnel, l’existence d’un équilibre en stratégies pures est non générique. Cela fait du modèle de Hotelling-Downs une représentation peu satisfaisante des élections avec plus de deux candidats ainsi que des élections qui sont disputées sur plusieurs problématiques.
Un résultat bien connu, la loi de Duverger, que nous discutons en détails dans la section suivante, établit que la règle de pluralité tend à favoriser un système bipartite. Il peut être tentant, au vu de la loi de Duverger, d’argumenter que l’hypothèse qu’il n’y a que deux partis/candidats est sans perte de généralité dans le cadre d’élections pluralitaires[4]. Nous développons ce point dans la sous-section suivante.
Absence de microfondements satisfaisants. Le modèle de Hotelling-Downs prend le nombre de candidats comme donné, limitant ce nombre à deux dans la version canonique du modèle. Mais, en pratique, les décisions de candidature aux élections sont clairement stratégiques, et une approche plus satisfaisante prendrait donc en compte les incitants des candidats à entrer ou à se retirer de la compétition électorale. Dutta, Jackson et Le Breton (2001) explorent les implications des décisions stratégiques de candidature pour une large famille de procédures de vote. En particulier, ces auteurs montrent que les résultats produits par essentiellement toutes les procédures de vote peuvent être affectés par les incitants qu’ont des candidats n’ayant aucune chance de gagner l’élection d’entrer ou de se retirer de la compétition, dans le but de changer le résultat de l’élection. Cela suggère que, même lorsqu’il y a seulement deux candidats en lice, il peut y avoir d’autres candidats prêt à entrer dans la course et dont la menace d’entrée peut affecter le résultat de l’élection. En d’autres termes, il est nécessaire de vérifier si le théorème de l’électeur médian est compatible avec les équilibres en sous-jeux parfaits d’un jeu incluant les décisions de candidature.
1.1 Au-delà du modèle Hotelling-Downs
Au vu des limitations du modèle Hotelling-Downs, les chercheurs ont proposé des formulations alternatives de la compétition électorale, s’éloignant, d’une ou de plusieurs façons, du modèle canonique. Osborne (1995) fournit un tour d’horizon relativement exhaustif des modèles spatiaux de compétition électorale qui ont été proposés avant 1995 et qui s’appliquent aux élections pluralitaires. Spécifiquement, Osborne y présente et discute différentes variantes des modèles spatiaux, variantes qui diffèrent par les hypothèses portant sur la motivation des candidats, les préférences des électeurs, le comportement des électeurs (stratégique ou sincère) ou encore l’information dont disposent les différents acteurs. Il conclut (Osborne, 1995 : 283 et 284) : « the basic insight afforded by Hotelling’s model–that there is an incentive for candidates in two candidate competitions to adopt similar positions–is rather robust. » Osborne continue en argumentant que la présence de plus de deux candidats potentiels dilue de façon significative les tendances convergentes inhérentes au modèle Hotelling-Downs. Il conclut en notant que « most of the ideas designed to explain the stylized facts of political competition rely on features that are absent from [the Hotelling-Downs] model... » (Osborne, 1995 : 289). Parmi ces éléments, l’auteur mentionne l’importance pour les recherches futures de la menace d’entrée et de formation endogènes des partis politiques. Nous présentons ici un tour d’horizon de la littérature qui suit cette ligne de recherche. Certains des articles dans cette littérature sont antérieurs à Osborne (1995), et y sont mentionnés, tandis que d’autres lui sont postérieurs.
2. Faits stylisés
Dans notre tour d’horizon des modèles de compétition électorale avec candidature endogène, nous mettons l’accent sur la capacité de ces modèles à expliquer deux faits stylisés relatifs aux élections pluralitaires. 1) La loi de Duverger : les élections pluralitaires tendent à favoriser un système bipartite; 2) La polarisation : les partis/candidats n’adoptent pas toujours des positions convergentes. En supposant l’existence de seulement deux partis, la version canonique du modèle Hotelling-Downs esquive le premier fait stylisé. En outre, sa prédiction que les deux candidats adoptent la politique idéale de l’électeur médian comme position électorale n’est pas supportée dans les faits.
Nous discutons maintenant ces deux faits stylisés et présentons de l’évidence empirique en rapport avec chacun d’eux.
2.1 Loi de Duverger
Duverger (1954) identifie une régularité empirique dans les élections, à savoir, que la règle de pluralité tend à favoriser un système bipartite. Riker (1982) qualifie cette régularité empirique de loi de Duverger.
Dans cette section, nous examinons empiriquement dans quelle mesure nous observons un système bipartite dans les pays où les élections se tiennent sous la règle de pluralité. Le nombre effectif de partis (par la suite NEP; Laakso et Taagepera, 1979) est une mesure usitée du nombre de partis. NEP correspond à l’inverse de la somme des carrés des parts des votes obtenues par les différents partis (vis). Formellement,
où I est le nombre de partis dans l’élection. NEP varie entre 1 (lorsqu’un seul parti obtient toutes les voix) et I (lorsque les votes sont également divisés entre tous les partis). NEP correspond à l’inverse de l’indice de concentration de Herfindahl-Hirschman[5].
Le tableau 1 ci-dessous présente la moyenne des NEPs dans les différentes circonscriptions et élections parlementaires entre 1946 et 2013 dans trois démocraties où les élections parlementaires se tiennent sous la règle de pluralité : le Canada, le Royaume-Uni et les États-Unis[6].
On peut soutenir que les résultats au tableau 1 sont cohérents avec la loi de Duverger. Duverger explique la tendance de la règle de pluralité à favoriser un système bipartite par le comportement stratégique des électeurs, ainsi que par les calculs stratégiques des élites politiques de disputer l’élection. Cependant, les modèles de compétition électorale avec candidature exogène ont tout naturellement expliqué la loi de Duverger par le comportement stratégique de vote des électeurs. Sous la règle de pluralité, un électeur qui anticipe que son candidat préféré n’a virtuellement aucune chance de gagner l’élection perdrait son vote en le lui donnant et aurait donc intérêt à voter pour un autre candidat qu’il aime moins mais qui a de meilleures chances d’être élu. Cet incitant est connu comme l’effet du vote perdu. Cet effet induit une concentration des votes sur seulement deux candidats.
Les défenseurs de la version canonique du modèle Hotelling-Downs pourraient argumenter que, au vu de la loi de Duverger, supposer la présence de seulement deux partis n’est pas une mauvaise hypothèse pour étudier les élections pluralitaires. Cela justifierait l’utilisation du théorème de l’électeur médian, à tout le moins lorsque l’espace des politiques est unidimensionnel. Cependant, la loi de Duverger est habituellement expliquée par les comportements stratégiques de vote alors que nombre de modèles spatiaux de compétition électorale supposent des comportements sincères de vote, en particulier puisque nombre de ces modèles supposent un continuum d’électeurs, où aucun vote n’est donc décisif pour le résultat de l’élection. Ainsi, il est utile de chercher ailleurs pour une explication de la loi de Duverger. Une explication qui s’impose naturellement est le comportement stratégique des candidats. Comme Cox (1997 : 151) le souligne dans son ouvrage de référence, nombre de chercheurs, et ce inclut Duverger, ont considéré cette possibilité : « Duverger, and many after him, have argued that elite anticipation of strategic voting should lead to prudent withdrawals and hence a reduction in the number of competitors entering the field of battle. » Comme nous l’argumentons ci-dessous, les modèles avec candidature endogène peuvent expliquer la loi de Duverger sans même faire appel aux comportements stratégiques de vote.
2.2 Polarisation
Le théorème de l’électeur médian, dont l’application est bien commode dans nombre de modèles d’économie politique, n’est pas supporté empiriquement. Dans le tableau 2, nous présentons, pour les mêmes pays et la même période qu’au tableau 1, le degré moyen de polarisation des partis. La polarisation correspond à l’écart entre les plates-formes électorales des partis[7]. Un système de partis est considéré comme fortement polarisé si tous les partis sont positionnés aux extrêmes. Par contraste, on dit qu’il y a absence de polarisation si tous les partis sont localisés à la même position (Sartori, 1976). Dans cet article, nous utilisons l’indice proposé dans Taylor et Herman (1971), un indice usité dans la littérature empirique (par exemple, Curini et Hino, 2012; Dalton, 2008; Lachat, 2008; Lupu, 2015; Matakos, Troumpounis et Xefteris, 2016). Cet indice correspond à la somme pondérée du carré de la distance entre la position d’un parti sur l’axe gauche-droite et le centre de gravité du système de partis, le centre de gravité étant calculé comme la somme pondérée des positions des différents partis le long de l’axe gauche-droite. Formellement,
où vi est la part des votes obtenue par le parti i et pi est la position du parti i sur l’axe gauche-droite, avec comme centre de gravité
Selon cet indice, il y a absence de polarisation (polarisation = 0) lorsque tous les partis (qui reçoivent des votes) ont la même position. Par contraste, la polarisation est maximale (polarisation = 1) lorsque : 1) chaque parti est positionné à l’un des deux extrêmes sur l’axe gauche-droite; et 2) 50 % des votes vont aux partis d’extrême gauche, tandis que les 50 % restants vont aux partis d’extrême droite. L’avantage de cet indice est qu’il tient compte de la taille (en terme de votes) des partis. Par exemple, un système de partis dans lequel deux grands partis sont positionnés aux deux extrêmes serait considéré comme plus polarisé qu’un système où les grands partis sont positionnés au centre tandis que les petits partis sont positionnés aux extrêmes[8].
Le tableau 2 montre que, en moyenne, la polarisation tourne autour de 10-15 %. Il s’agit d’un degré de polarisation non négligeable[9].
La version canonique du modèle Hotelling-Downs, avec comme résultat le théorème de l’électeur médian, est incapable d’expliquer ces deux faits stylisés. Au vu de cela, les chercheurs ont tenté de développer des modèles plus riches qui pourraient expliquer ces faits stylisés. Une approche possible consiste à tenir compte des décisions stratégiques de candidature. La section suivante discute des modèles de compétition électorale avec candidature endogène, et de leur capacité (ou incapacité) à expliquer ces deux faits stylisés.
3. Modèles avec candidature endogène
Nous classifions les modèles avec candidature endogène en trois familles, qui sont organisées autour de deux dimensions : 1) si les candidats sont downsiens ou partisans; et 2) si la totalité ou seulement une partie de l’ensemble des candidats est endogène. La seconde dimension se passe d’explication.
La première dimension concerne la motivation des candidats à concourir à l’élection. Une hypothèse-clé du modèle Hotelling-Downs est que les candidats sont motivés uniquement par leur performance électorale per se (par exemple, la part des votes qu’ils obtiennent ou leur probabilité d’être élu). Ce type de candidat est qualifié de « candidat downsien » et les modèles qui supposent des candidats downsiens appartiennent à ce que l’on qualifie de paradigme downsien. L’évidence empirique ainsi que le sens commun suggèrent que la motivation à poursuivre une carrière politique va généralement bien au-delà d’un simple intérêt pour la performance électorale per se. Un paradigme alternatif, le paradigme partisan, suppose que les candidats sont (également) intéressés par les politiques qui sont mises en oeuvre (voir, par exemple, Wittman, 1983 et Calvert, 1985)[10]. Le fait que les candidats soient downsiens ou partisans a des implications importantes pour la crédibilité de leurs plates-formes électorales, à tout le moins dans les modèles avec élection unique. Les candidats downsiens ne s’intéressent pas aux politiques qui sont mises en oeuvre; leur plate-forme électorale est donc vue comme un instrument pour gagner l’élection ou obtenir le plus de votes possibles. Un candidat downsien peut donc s’engager de façon crédible à adopter n’importe quelle politique une fois élu. Au contraire, les candidats partisans ont un incitatif ex post, une fois élu, à dévier de leur plate-forme électorale et adopter leur politique idéale. En l’absence d’un mécanisme d’engagement (tel que la réputation), un candidat partisan est limité dans sa capacité à s’engager de façon crédible à mettre en oeuvre une politique différente de sa politique idéale (voir Alesina, 1988). Lee, Moretti et Butler (2004) fournissent de l’évidence empirique supportant la prémisse que les candidats ne peuvent s’engager de façon crédible à modérer leurs positions, les électeurs choisissant, pour l’essentiel, des politiques plutôt que d’influencer les candidats dans leur choix de plates-formes électorales (comme c’est le cas dans le paradigme downsien).
Il est bon de noter que la question de la motivation des candidats est une question complexe. Bien que nous mettions l’accent sur la dichotomie downsien-partisan, il n’est en aucun cas notre intention de suggérer que cette classification est exhaustive ou exclusive. L’objet de notre tour d’horizon de la littérature est de présenter les principaux modèles de compétition électorale avec candidature endogène, en attirant l’attention sur les modèles qui représentent les différents paradigmes dans leurs formes canoniques. Le tableau 3 résume notre classification des modèles de compétition électorale avec candidature endogène.
Les modèles faisant partie des deux premières familles appartiennent au paradigme downsien, tandis que les modèles faisant partie de la troisième famille appartiennent au paradigme partisan. La première famille de modèles traite certains candidats comme déjà établis, et traite le reste comme des entrants (potentiels); les candidats établis choisissent leurs plates-formes avant les entrants. Dans cette famille de modèles, l’accent est mis sur l’effet que l’entrée (ou la menace d’entrée) peut avoir sur le positionnement des candidats établis. Par contraste, les deux autres familles ne privilégient aucun groupe de candidats, permettant à tous les candidats de choisir, simultanément, d’entrer ou non dans la compétition électorale.
À notre connaissance, il n’existe pas de modèle de compétition électorale qui appartienne à la « quatrième famille », c’est-à-dire qui adopterait le paradigme partisan pour considérer l’effet de la menace d’entrée sur le positionnement de candidats déjà établis. Nous pouvons offrir quelques conjectures pour expliquer cette lacune dans la littérature.
Dans ce type de modèles, il conviendrait de faire des choix de modélisation quant à la capacité des candidats à s’engager de façon crédible à implémenter une politique autre que leur politique idéale. En l’absence d’engagement crédible, le modèle aurait deux candidats établis positionnés à leur politique idéale, avec la possibilité d’un challenger entrant à sa politique idéale. Le problème avec un tel modèle est qu’il impose très peu de structure sur ce qui peut émerger comme résultat à l’équilibre. Dépendamment des politiques idéales (supposées) des candidats, on peut avoir la victoire assurée d’un des candidats établis, ou une course serrée, ou l’entrée du challenger avec ou sans chances d’être élu. Pour la même raison, ce type de modèle imposerait peu de restrictions sur le degré de polarisation qui en résulterait à l’équilibre. En conséquence, un tel modèle serait incapable de générer des prédictions qui peuvent être testées empiriquement, et n’aurait essentiellement aucun pouvoir prédictif.
Alternativement, on pourrait écrire un modèle qui suppose qu’un candidat est capable de s’engager de façon crédible à adopter n’importe quelle politique, même une politique différente de sa politique idéale. Un tel modèle pourrait être intéressant et générer des comportements stratégiques potentiellement complexes. Cependant, nous faisons la conjecture qu’un tel modèle rencontrerait le même problème que les modèles appartenant à la deuxième famille, à savoir qu’un équilibre en stratégies pures peut ne pas exister.
Dans notre discussion des trois familles de modèles de compétition électorale avec candidature endogène, nous mettrons l’accent sur les prédictions de ces modèles concernant le nombre de candidats et leur degré de polarisation. Nous comparerons l’intuition sous-jacente aux résultats générés par les différentes familles de modèles.
3.1 Un cadre d’analyse unificateur
Nous commençons par proposer une version simplifiée du modèle spatial de compétition électorale qui nous servira comme modèle unificateur aux trois familles.
Une communauté doit élire un décideur public pour choisir une politique. L’ensemble des alternatives possibles, X, est l’intervalle unitaire fermé [0, 1]. La communauté consiste en une masse unitaire d’électeurs, Ɲ. Chaque électeur n ∈Ɲ a des préférences sur X qui peuvent être représentées par une fonction d’utilité où est la distance entre x et xn et où xn ∈ X est la politique idéale de l’électeur n[11]. Les politiques idéales des électeurs sont distribuées selon une fonction de distribution , avec fonction de densité associée f. Nous supposons que F est continûment différentiable et strictement croissante sur [0, 1], avec F(0) = 0 et F(1) = 1. Nous désignons par la politique idéale de l’électeur médian. De façon à simplifier davantage l’exposition, nous supposons que f est unimodale et symétrique autour de m.
Il y a un ensemble fini, , de M ≥ 2 candidats (potentiels), chacun d’entre eux devant choisir si et/ou à quelle position concourir à l’élection. Nous dénotons la décision du candidat (potentiel) i par , où ei = ∅ si le candidat potentiel i ne se présente pas à l’élection et ei = x ∈ X s’il concourt à la position x[12]. Dépendamment de la famille de modèles, les candidats sont soit downsiens (familles 1 et 2) soit partisans (famille 3).
Le processus de choix de politique est modélisé comme un jeu à trois étapes. À la première étape, chaque candidat (potentiel) prend sa décision. Selon la famille de modèles, les candidats prennent leur décision simultanément ou séquentiellement. À la deuxième étape, chaque électeur soumet un vote pour un candidat. Tout au long de cet article, nous maintenons l’hypothèse que chaque électeur vote de façon sincère, c’est-à-dire pour le candidat dont la position est la plus proche de la position idéale de l’électeur. Le gagnant de l’élection est le candidat qui obtient le plus de votes. Les indifférences et ex aequo sont départagés de façon équiprobable. Enfin, à la troisième étape, le candidat élu choisit et met en oeuvre une politique. Dans l’éventualité où personne ne se porterait candidat, une politique x0 est adoptée par défaut. Pour faciliter l’exposition, nous supposons, comme dans Osborne et Slivinski (1996), que x0 procure à chaque candidat potentiel une utilité de –∞.
Le concept de solution est l’équilibre de Nash (en sous-jeux parfait) en stratégies pures[13].
3.2 Modèles avec menace d’entrée
La première famille de modèles considère des candidats downsiens qui cherchent à maximiser leur part des votes ou leur probabilité de gagner l’élection. La caractéristique essentielle de ces modèles est la distinction qu’ils font entre deux types de candidats : les candidats établis et les entrants (potentiels). Plus précisément, le modèle canonique dans cette famille considère une élection avec deux candidats établis, appelés L et R, qui choisissent simultanément leur position xi ∈ εi = X pour i = L, R. Ils sont suivis par un entrant (potentiel), appelé E, qui prend sa décision après avoir observé les positions adoptées par les deux candidats établis.
Les articles de référence dans cette famille sont Palfrey (1984) et Weber (1992)[14], [15]. Ces articles considèrent des modèles dans lesquels l’entrant se porte toujours candidat (formellement, εE = X). Ces articles montrent que la présence d’un entrant induit les deux candidats établis à adopter des positions qui sont divergentes, localisées de part et d’autre de la médiane, à savoir xL < m < xR. Ces modèles sont donc capables de générer une polarisation des candidats. Cependant, ces modèles font une hypothèse discutable, à savoir que l’entrant entre systématiquement, alors même que, à l’équilibre, il est certain de perdre l’élection.
Weber (1997) relâche l’hypothèse d’entrée systématique et suppose à la place que l’entrant potentiel entre dans la course si et seulement si il peut obtenir une fraction des votes qui dépasse δ ∈ [0, 1][16]. Autrement dit, Weber (1997) étend l’approche de Palfrey-Weber en remplaçant l’entrée systématique (εE = X) par une menace d’entrée . En variant δ, on obtient, comme cas polaires, le modèle Hotelling-Downs (δ > 1/2) et le modèle de Palfrey-Weber (δ = 0). Dépendamment de la valeur de δ, le modèle génère des équilibres dans lesquels les candidats établis convergent/ne convergent pas et découragent/ne découragent pas l’entrant potentiel de se porter candidat. Nous présentons maintenant une version simplifiée de Weber (1997).
Chaque candidat i cherche à maximiser sa part des votes. On dénote par la part des votes obtenue par le candidat i (= L, R, E) lorsque l’entrant potentiel prend la décision de candidature et les deux candidats établis choisissent de se positionner à xL et xR, respectivement[17]. L’entrant potentiel se porte candidat si et seulement si il existe une position x ∈ X telle que . Cependant, il est important de noter que peut ne pas exister pour certaines paires . Ceci se produit lorsque les positions choisies par les deux candidats établis, xL et xR, sont telles que l’entrant peut capturer une plus grande part des votes en se positionant en dehors de plutôt qu’en-dedans; dans ce cas, l’entrant peut toujours augmenter la part des votes qu’il capture en adoptant une position toujours plus proche de xL ou de xR tout en restant en dehors de . Weber adresse ce problème en considérant des e-meilleures réponses. Formellement, l’espace des paires de positions des candidats établis peut être partitionné en trois sous-ensembles :
, auquel cas l’entrant potentiel n’entre pas dans la course.
existe et excède δ, auquel cas l’entrant potentiel entre dans la course et sa meilleure réponse est définie.
n’existe pas et , auquel cas l’entrant potentiel entre dans la course, mais sa meilleure réponse n’est pas définie.
À partir de cette partition, Weber définit les gains du candidat établi i comme
où
est l’ensemble des ε-meilleures réponses qui guarantissent à l’entrant une part des votes égale à δ ou plus et
Définissons , qui correspond, en gros, à la plus petite part des votes que l’entrant peut obtenir. Weber (1997) montre :
Proposition 1 Un équilibre existe et est unique. En outre,
l’entrant potentiel n’entre pas dans la course si et seulement si δ ≥ Δ. Si δ ≥ Δ, tandis que et sont donnés par
l’entrant potentiel entre si et seulement si δ < Δ. Si δ < Δ, et sont tels que et
En outre, l’entrant potentiel se positionne à et sa part des votes est telle que
Si l’entrant potentiel entre seulement lorsqu’il peut obtenir une majorité absolue des votes (δ > 1/2), alors les deux candidats établis adoptent chacun la politique idéale de l’électeur médian, m, tout en parvenant à décourager l’entrant potentiel d’entrer dans la course. Le résultat est donc le même que dans le modèle Hotelling-Downs. Dans le cas opposé où δ = 0, le résultat à l’équilibre coincide avec celui du modèle de Palfrey-Weber, où l’entrant potentiel entre toujours, indépendamment des positions choisies par les candidats établis.
Pour les autres cas, entre les deux cas polaires d’entrée systématique (δ = 0) et d’entrée seulement lorsque l’entrant est assuré d’une majorité (δ > 1/2), l’entrant potentiel entre si les deux candidats établis adoptent tous deux la politique idéale de l’électeur médian. Dans ce cas, la menace d’entrée génère une force centrifuge, les deux candidats établis cherchant à prévenir une entrée sur leurs flancs en adoptant des positions différentes de la politique idéale de l’électeur médian. L’équilibre est atteint lorsque cette force centrifuge contrebalance la force centripète du modèle Hotelling-Downs. Dans ces cas intermédiaires, même lorsqu’il n’y a pas entrée à l’équilibre (ce qui survient lorsque ), la menace d’entrée induit une divergence dans les positions d’équilibre des deux candidats établis, c’est-à-dire que le théorème de l’électeur médian n’est plus valide même s’il n’y a finalement que deux candidats en course. En outre, les deux candidats établis sont d’autant plus polarisés que δ est petit.
En conclusion, les modèles appartenant à cette première famille parviennent à produire des équilibres avec un système bipartite stable et une polarisation des candidats. Cependant, dans les équilibres où l’entrant potentiel entre, il se positionne entre les deux candidats établis et perd l’élection. Ce résultat soulève deux questions. Tout d’abord, comme il est noté dans Shepsle et Cohen (1990), on observe empiriquement que les nouveaux partis se positionnent souvent aux extrêmes et non au centre. Ensuite, on peut se demander pourquoi l’entrant potentiel entre alors même qu’il anticipe être le candidat qui recevra le moins de votes. L’interrogation quant à savoir pourquoi l’entrant potentiel entre dans la course alors même qu’il anticipe (correctement) qu’il perdra l’élection est une question cruciale. En effet, un équilibre n’existerait pas si l’entrant potentiel n’entrait que s’il peut être élu avec une probabilité positive. Ceci provient d’une discontinuité dans la probabilité d’élection de l’entrant potentiel au point où les candidats établis se positionnent tous deux à la politique idéale de l’électeur médian. Spécifiquement, aussi longtemps que les deux candidats établis sont localisés à des positions légèrement polarisées autour de la médiane, l’entrant ne peut être élu. En effet, dans ce cas, c’est en se positionnant sur le flanc gauche (respectivement droit) du candidat établi de gauche (respectivement droite) que l’entrant peut obtenir le plus de votes. Mais, dans ce cas, l’autre candidat établi recevrait une majorité des votes et serait élu. Les deux candidats établis ont donc un incitatif à converger vers la médiane. Cependant, dès le moment où les candidats établis se positionnent tous deux à la médiane, l’entrant pourrait être élu en se positionnant juste à côté de la médiane. Chaque candidat établi aurait alors intérêt à dévier et adopter une position légèrement différente de la médiane. Ainsi, il n’existe pas de paire de positions pour les candidats établis qui pourrait constituer un équilibre.
En adoptant d’autres hypothèses sur les motivations ou l’information des électeurs et/ou candidats, il est possible de générer des équilibres avec polarisation des candidats établis et entrée sur les flancs. Par exemple, Callander et Wilson (2007) permettent l’abstention par aliénation, génèrant ainsi une force centrifuge qui induit les candidats établis à se polariser. En supposant qu’il choisisse d’entrer dans la course, l’entrant potentiel entre alors aux extrêmes, ce qui est cohérent avec les observations empiriques. Une autre façon de justifier la candidature de l’entrant potentiel serait que sa décision de candidature soit motivée par des motifs expressifs. Alternativement, Palfrey (1984) fait la conjecture que si les candidats sont incertains quant à la distribution des politiques idéales des électeurs, l’entrant potentiel pourrait alors, à l’équilibre, entrer et être élu avec probabilité positive.
Callander (2005) considère une élection avec de multiples circonscriptions électorales, plutôt qu’une élection avec une seule circonscription. Dans le modèle de Callander, plusieurs partis nationaux (les analogues aux candidats établis du modèle de Palfrey-Weber) choisissent simultanément et indépendamment s’ils entrent dans la compétition électorale et, si oui, à quelles positions. La position d’un parti national est la même dans toutes les circonscriptions. Chaque parti national cherche à maximiser la fraction des circonscriptions électorales qu’il remporte. Il y a en outre un entrant potentiel différent dans chaque circonscription. Après que les partis nationaux aient pris leur décision de candidature, chaque entrant potentiel décide s’il se porte candidat dans sa circonscription et, si oui, à quelle position. Les partis nationaux et les entrants potentiels entrent dans la compétition électorale si et seulement si ils anticipent de remporter au moins une circonscription. Dans chaque circonscription, l’élection se tient sous la règle de pluralité. En accord avec la loi de Duverger, Callander montre qu’un système bipartite peut s’avérer être stable. Spécifiquement, pour des niveaux intermédiaires d’hétérogénéité des circonscriptions (relativement aux politiques idéales des électeurs médians), un équilibre existe dans lequel deux partis nationaux adoptent des positions divergentes et tous les entrants potentiels sont dissuadés d’entrer. De plus, en accord avec les déviations observées à la loi de Duverger, un équilibre avec plus de deux partis nationaux peut exister quand il y a suffisamment, mais pas trop, d’hétérogénéité entre les circonscriptions. En conclusion, le modèle de Callander est capable de générer des prédictions qui sont cohérentes avec la loi de Duverger, aussi bien que des prédictions qui sont cohérentes avec les déviations à la loi de Duverger. Dans ce modèle, la clé pour expliquer la polarisation est que, lorsqu’il y a de l’hétérogénéité entre les circonscriptions, le fait que les partis nationaux sont positionnés de façon symétrique autour de la médiane dans une circonscription implique qu’ils sont positionnés de façon asymétrique dans une autre circonscription. Si les partis nationaux ne sont pas suffisamment polarisés, l’entrant potentiel dans ce dernier type de circonscription peut alors entrer et se positionner sur le flanc d’un parti national et remporter l’élection.
3.3 Modèle Hotelling-Downs avec candidature endogène
Une critique qui peut être faite aux modèles de la première famille, au moins dans leur forme canonique, est que, en supposant deux candidats établis, ces modèles sont biaisés en faveur des prédictions duvergériennes. En d’autres termes, ces modèles peuvent expliquer la stabilité d’un système bipartite, mais pas son émergence. La deuxième famille de modèles brise cette asymétrie entre candidats établis et entrants potentiels, et examine l’émergence d’un système bipartite.
Le modèle canonique dans cette deuxième famille, dû à Osborne (1993), suppose un nombre fini M ≥ 3 de candidats potentiels de type downsien qui choisissent, simultanément et indépendamment, si et à quelle position entrer, c’est-à-dire, pour chaque . Chaque candidat potentiel prend sa décision de candidature en cherchant à maximiser sa probabilité d’être élu, et entre dans la course seulement s’il anticipe être élu avec une probabilité positive[18].
Osborne (1993) montre :
Proposition 2 On a :
si M = 3, alors pour toute distribution des politiques idéales des électeurs, F, il n’existe pas d’équilibre de Nash en stratégies pures.
si M ≥ 4, alors pour presque toute distribution F, il n’existe pas d’équilibre de Nash en stratégies pures.
Donc, dès lors qu’il y a plus de deux candidats potentiels (M ≥ 3), un équilibre de Nash en stratégies pures est non générique. Ce résultat est cohérent avec les résultats dans Cox (1987), qui étudie des élections avec un nombre M ≥ 2 de candidats dans le modèle Hotelling-Downs avec candidature exogène. Ce résultat est la conséquence des restrictions que les forces centripète et centrifuge imposent sur la distribution des politiques idéales des électeurs.
Pour comprendre l’intuition sous-jacente à ce résultat, il faut se rappeler qu’un candidat potentiel entre dans la course seulement s’il anticipe qu’il a des chances d’être élu. Il s’ensuit qu’à l’équilibre, à supposer qu’un équilibre existe, au moins deux candidats doivent concourir à l’élection[19]. En outre, un équilibre doit être polarisé, signifiant que tous les candidats dans la course ne peuvent être à la même position, avec les candidats les plus à gauche et les candidats les plus à droite positionnés de part et d’autre de la médiane, à savoir où (respectivement ) est la position la plus à gauche (respectivement droite) à laquelle un candidat est positionné[20]. En outre, la force centripète du modèle Hotelling-Downs impose que, à l’équilibre, il y a deux candidats à et deux autres candidats à [21]. Ces deux dernières observations écartent la possibilité d’un équilibre de Nash en stratégies pures lorsque M = 3. Pour comprendre pourquoi les équilibres en stratégies pures sont non génériques lorsque M ≥ 4, il convient de noter qu’il doit y avoir autant d’électeurs à gauche de (respectivement ) que d’électeurs à droite de (respectivement ) qui votent pour un candidat à (respectivement )[22]. Étant donné que la même chose s’applique à toutes les positions où il y a deux candidats, pour presque toute distribution F il ne peut y avoir plus d’un candidat à chacune des positions à droite de , et ce compris , ce qui contredit qu’il doit y avoir deux candidats positionnés à .
Il ressort clairement de la Proposition 2 que davantage de structure est nécessaire pour assurer l’existence (générique) d’un équilibre en stratégies pures. À cette fin, Osborne (1993) modifie son modèle en considérant une séquence infinie de périodes. À chaque période, chaque candidat potentiel qui ne s’est pas encore porté candidat peut décider d’entrer dans la course cette période ou attendre au moins une période de plus. Osborne montre que, dans ce modèle, un équilibre en stratégies pures existe lorsque M = 3, 4 ou 5. Ces équilibres impliquent l’entrée à la médiane d’un seul candidat (M = 3) ou de deux candidats (M = 4,5)[23]. Bien que ce modèle parvienne à assurer l’existence d’un équilibre, nous obtenons à nouveau le résultat de l’électeur médian, dont nous avons déjà discuté le manque de soutien empirique. Osborne (2000) remédie à cela en ajoutant une incertitude de la part des candidats quant à la localisation exacte de la politique idéale de l’électeur médian. En considérant le cas particulier où M = 3 et où les candidats cherchent à maximiser leur probabilité d’être élu, Osborne montre qu’un équilibre avec polarisation (et, possiblement, un système bipartite) peut exister. Comme dans le modèle de Palfrey-Weber, la polarisation sert de moyen de dissuader ou limiter l’impact d’autres candidatures.
Sengupta et Sengupta (2008) montrent que la menace de sortie (par contraste avec la menace d’entrée comme dans le modèle de Palfrey-Weber) peut également générer des équilibres en stratégies pures avec polarisation. Les auteurs ajoutent au jeu une seconde étape de candidature avant l’élection, étape à laquelle chaque candidat qui s’est déclaré à la première étape du jeu peut décider de se retirer et ainsi épargner une partie du coût de candidature. Ils montrent que l’option de se retirer de la course peut générer une force centrifuge qui conduit les candidats à se polariser. De façon intéressante, c’est la possibilité de sortie qui permet de décourager les candidats potentiels de dévier de leur stratégie à l’étape d’entrée.
Feddersen, Sened et Wright (1990) proposent un modèle downsien avec candidature endogène mais, contrairement aux articles précédemment discutés, supposent que les électeurs votent de façon stratégique (plutôt que de façon sincère). Les auteurs montrent qu’il existe toujours un équilibre en stratégies pures dans lequel tous les candidats qui entrent dans la compétition se positionnent à la médiane. On obtient donc à nouveau le résultat de l’électeur médian. En outre, comme les auteurs le notent eux-mêmes, leur résultat dépend de façon critique du fait qu’un candidat potentiel peut être dissuadé d’entrer à une position autre que la médiane par l’anticipation (correcte) que tous les électeurs qui préfèrent la médiane à la position de ce « déviateur » coordonneraient leurs votes sur un des candidats à la médiane, impliquant ainsi que le « déviateur » perdrait l’élection. En d’autres termes, ce résultat repose sur une hypothèse, peu réaliste, d’un degré extrême de coordination des électeurs.
En conclusion, le modèle Hotelling-Downs avec candidature endogène peut expliquer l’émergence ainsi que la stabilité d’un système bipartite à la Duverger (en supposant, évidemment, qu’un équilibre en stratégies pures existe). Ceci contraste avec la première famille de modèles, du moins dans sa version canonique, qui peut expliquer la stabilité mais pas l’émergence d’un système bipartite. Cependant, ces modèles ont des difficultés à expliquer la polarisation. En particulier, les équilibres duvergériens (c’est-à-dire avec un système bipartite) ont tendance à être convergents, tandis que les équilibres polarisés ont tendance à être non duvergériens (c’est-à-dire avec un système multipartite)[24], La troisième famille de modèles est capable d’expliquer simultanément les deux faits stylisés de bipartisme et de polarisation. Pour ce faire, cette troisième famille adopte le paradigme partisan en place du paradigme downsien.
3.4 Modèle du candidat-citoyen
Au contraire des deux familles précédentes de modèles, cette troisième famille, appelée modèle du candidat-citoyen, considère des candidats potentiels qui sont des partisans, c’est-à-dire qui ont des préférences sur la politique qui sera adoptée. Formellement, cette famille de modèles suppose que les candidats potentiels sont aussi des électeurs [25], et, comme tout électeur, ont des préférences sur la politique qui est mise en oeuvre. Les modèles appartenant à cette famille ont été utilisés pour étudier différentes questions, et ce incluant les questions sur lesquelles le présent article se concentre, à savoir le nombre de candidats et leur polarisation, mais également d’autres questions telles que l’existence d’un équilibre, la comparaison des systèmes électoraux, l’efficacité des politiques, les effets du lobbying, ou encore l’identité des politiciens (par exemple, leurs préférences pour les politiques ou leur compétence).
Le modèle canonique du candidat-citoyen a trois étapes. À la première étape, les candidats potentiels décident simultanément et indépendamment s’ils entrent dans la compétition électorale en supportant un coût de candidature δ > 0; un candidat ne peut s’engager sur la politique qu’il mettra en oeuvre une fois élu. À la deuxième étape, une élection a lieu pour sélectionner un des candidats. À la troisième étape, le candidat élu choisit et met en oeuvre une politique. Étant donné qu’il s’agit d’une élection unique, et que le candidat élu a une politique idéale, la rationalité séquentielle exige que le candidat élu choisisse d’adopter sa politique idéale. Cela fait que le choix de politique en troisième étape est trivial. En outre, cela réduit la décision en première étape à une décision de se porter candidat ou non, mais pas à une décision sur la position à adopter. Formellement, chaque candidat potentiel prend une décision , où xi est la politique idéale du candidat potentiel i.
Les deux articles de référence dans cette littérature sont Osborne et Slivinski (1996), et Besley et Coate (1997). Ces contributions diffèrent de deux façons importantes. Osborne et Slivinski considèrent un espace des politiques qui est unidimensionnel et supposent que les électeurs votent de façon sincère. Besley et Coate, d’un autre côté, permettent un espace des politiques qui est multidimensionnel et supposent que les électeurs votent de façon stratégique. Afin de faciliter la comparaison avec les modèles canoniques des deux familles précédentes, modèles qui supposent un comportement de vote sincère et considèrent un espace des politiques qui est unidimensionnel, nous exposons ici la version du modèle du candidat-citoyen proposée par Osborne et Slivinski. En outre, afin d’offrir un contraste clair avec les deux familles précédentes, nous considérons le cas polaire de candidats qui ne sont intéressés que par la politique qui sera mise en oeuvre, et non par leur performance électorale per se[26].
L’ensemble des équilibres peut être partitionné en trois sous-ensembles, avec des équilibres impliquant un seul candidat, deux candidats, ou plus de deux candidats.
Proposition 3 On a :
-
Équilibre avec un seul candidat. Un équilibre existe dans lequel est le seul candidat si et seulement si chacune des deux conditions suivantes est satisfaite :
-
Équilibres avec deux candidats. Un équilibre existe dans lequel i, , i ≠ j, sont les deux seuls candidats si et seulement si chacune des trois conditions suivantes est satisfaite :
et
Équilibres avec plus de deux candidats. Il n’existe pas d’équilibre en stratégies pures avec plus de deux candidats.
Dans les équilibres avec un seul candidat, le candidat doit être suffisamment proche de la médiane de sorte qu’aucun autre candidat potentiel ne veuille entrer dans la course. Un candidat potentiel dont la politique idéale est davantage éloignée de la médiane serait battu et ne voudrait pas entrer dans la course. Un candidat dont la politique idéale est plus proche de la médiane (condition 1.a), étant donc préféré par l’électeur médian et une majorité des électeurs, recevrait une majorité des votes et serait élu. Un candidat dont la politique idéale est également éloigné de la médiane (condition 1.b) rendrait l’électeur médian indifférent et serait préféré par la moitié des électeurs et obtiendrait la moitié des votes. Dans les deux derniers cas, de tels candidats potentiels sont dissuadés d’entrer dans la course si le gain espéré d’utilité d’adopter leur politique idéale est plus petit que le coût de candidature δ.
Dans les équilibres avec deux candidats, chaque candidat doit obtenir la moitié des votes, autrement le candidat qui est assuré de perdre l’élection serait mieux de ne pas se lancer dans la course puisqu’il épargnerait ainsi le coût de candidature tout en laissant inchangée la politique qui est adoptée. Par la même logique, les deux candidats doivent être situés à des positions différentes, sinon l’un d’entre eux serait mieux de ne pas entrer dans la course; il épargnerait ainsi le coût de candidature sans modifier la politique qui est adoptée. Étant donné que les deux candidats doivent chacun obtenir la même fraction des votes, tout en étant localisés à deux positions différentes, il faut donc que leurs politiques idéales soient situées symétriquement de part et d’autre de la médiane, de manière à ce qu’ils se divisent également les votes (condition 2.a). Dans un équilibre avec deux candidats, aucun des deux candidats ne pourrait être mieux en ne se portant pas candidat et aucun autre candidat potentiel ne doit vouloir entrer dans la course. Le premier survient lorsque les deux candidats sont suffisamment éloignés l’un de l’autre, de sorte que leur gain espéré d’utilité de mettre en oeuvre leur politique idéale excède le coût de candidature (condition 2.b). Le second survient lorsque les deux candidats sont suffisamment proches l’un de l’autre, de sorte qu’un candidat potentiel entrant entre ces deux candidats serait défait ou obtiendrait un gain espéré d’utilité d’être élu, et de mettre en oeuvre sa politique idéale, qui est plus faible que le coût de candidature (condition 2.c). Il faut noter que les candidats potentiels dont les politiques idéales sont davantage extrêmes sont nécessairement dissuadés d’entrer puisqu’ils diviseraient les votes avec le candidat qui se trouve de leur côté de la médiane, entraînant ainsi l’élection de l’autre candidat, dont la politique idéale est davantage éloignée de la leur, ce qui réduirait leur utilité.
Il n’existe pas d’équilibre en stratégies pures avec plus de deux candidats[27]. Si un équilibre avec plus de deux candidats venait à exister, le candidat le plus à gauche ou le candidat le plus à droite (ou les deux) ferait mieux de ne pas concourir à l’élection puisque les votes qu’il obtient iraient alors au(x) candidat(s) qui est (sont) le(s) plus proche(s) de sa politique idéale. Ce transfert de votes améliorerait les chances d’élection de ce(s) dernier(s) candidat(s) tout en diminuant les chances d’élection des autres candidats. Ceci exclut donc l’existence d’un équilibre en stratégies pures avec plus de deux candidats.
Il faut noter cependant que des équilibres non duvergériens, avec plus de deux candidats, sont possibles lorsque les candidats ont un fort intérêt pour leur performance électorale per se[28]. Dans ces équilibres, on peut trouver des candidats gâcheurs. Il s’agit de candidats qui concourent à l’élection non pour gagner, mais pour empêcher un autre candidat de gagner.
En conclusion, le modèle canonique du candidat-citoyen est capable de générer l’émergence d’une élection à la fois duvergérienne (où il y a donc deux candidats) et polarisée[29]. En outre, l’existence d’un équilibre en stratégies pures n’est pas un problème dans cette famille de modèles, même lorsque l’espace des politiques est multidimensionnel. Enfin, une autre force de ce modèle est sa capacité à expliquer la présence de candidats gâcheurs, lorsque les candidats ont un intérêt suffisamment fort pour leur performance électorale[30].
Alors que le modèle du candidat-citoyen évite le problème de non-existence d’un équilibre, il souffre généralement du problème inverse de multiplicité des équilibres. La multiplicité des équilibres soulève la difficile question de savoir quel équilibre va finalement émerger. Plusieurs approches ont été prises pour adresser ce problème. Par exemple, Grosser et Palfrey (2014) obtient un seul équilibre (symétrique) en supposant que les politiques idéales des candidats potentiels sont information privée. Messner et Polborn (2004) obtiennent également un seul équilibre, mais en introduisant un coût/bénéfice individuel de servir comme décideur public, coût/bénéfice qui est information privée. Alternativement, Eguia (2007) introduit une incertitude agrégée sur les votes, chaque vote étant comptabilisé avec une probabilité inférieure à un. Enfin, une autre approche consiste à raffiner le concept de solution qui est utilisé avec le modèle du candidat-citoyen à la Besley-Coate, c’est-à-dire la version du modèle qui permet les comportements stratégiques de vote (voir, par exemple, De Sinopoli, 2004).
Conclusion
Dans la section précédente, nous avons discuté trois familles de modèles avec candidature endogène. Nous avons argumenté que l’utilité de ces modèles provient de limitations, à la fois théoriques et empiriques, du modèle Hotelling-Downs. En particulier, nous avons discuté de la nécessité d’expliquer deux faits stylisés, à savoir 1) l’émergence et la stabilité d’un système bipartite dans les élections sous la règle de pluralité, et 2) la présence de polarisation (parfois importante) des candidats. Nous avons vu que chacune de ces familles peut expliquer ces deux faits stylisés, mais que les différents modèles le font de façons différentes. Dans cette section, nous proposons une comparaison de ces différences.
Une comparaison des trois familles de modèles
Nous commençons par la question de la polarisation. Dans le modèle de Palfrey-Weber, les candidats établis font face à deux forces opposées. Étant positionnés de part et d’autre de la médiane, chacun des candidats établis peut gagner des votes en adoptant une position plus proche de la médiane – c’est la force centripète. En même temps, si un candidat se positionne trop près de la médiane, il invite l’entrant potentiel à entrer juste sur son flanc. Cette menace génère une force centrifuge. L’équilibre est atteint lorsque ces deux forces, la force centripète et la force centrifuge, se contrebalancent l’une l’autre; à ce point, les deux candidats établis sont positionnés de part et d’autre de la médiane. Par contraste, le modèle du candidat-citoyen n’a pas de forces centripète et centrifuge, puisque les candidats sont immobiles. Dans cette famille de modèles, la polarisation survient en raison de la présence d’une paire de candidats dont la présence se renforce mutuellement – la présence du candidat de gauche fait en sorte que le candidat de droite ne veut pas se désister, car cela signifierait une perte d’utilité due à l’adoption d’une politique éloignée de sa politique idéale et, de la même façon, la présence du candidat de droite fait en sorte que le candidat de gauche ne veut pas se désister. Cette observation apporte également un éclairage sur la raison pour laquelle le modèle du candidat-citoyen souffre d’une multiplicité d’équilibres, chaque équilibre étant créé par les incitatifs pour chaque candidat à entrer dans la course, incitatifs qui proviennent de la présence d’un candidat situé de l’autre côté de la médiane. À la différence des première et troisième familles de modèles, la deuxième famille éprouve par contre quelques difficultés à générer des équilibres polarisés.
En contrastant le paradigme downsien des deux premières familles avec le paradigme partisan de la troisième famille, nous pouvons facilement voir le rôle que la capacité des candidats à s’engager sur une politique joue pour générer la polarisation. La polarisation survient dans le modèle du candidat-citoyen en raison de l’incapacité des candidats à s’engager sur une politique, ce qui élimine la force centripète qui induirait deux candidats positionnés de part et d’autre de la médiane à converger. Le rôle que la capacité à s’engager sur une politique joue pour générer de la polarisation est confirmé dans Dellis et Oak (2007), et Brusco et Roy (2011). Ces deux contributions permettent à chaque candidat de s’engager sur n’importe quelle politique (dans Dellis et Oak, 2007) ou sur des politiques qui sont e-proches de leur politique idéale (dans Brusco et Roy, 2011). Dans ce contexte, tous les équilibres en stratégies pures sont des équilibres avec un seul candidat qui, pour un coût de candidature suffisamment faible, impliquent un seul candidat positionné à la médiane.
Deuxièmement, les trois familles de modèles peuvent générer des prédictions duvergériennes, c’est-à-dire des élections avec seulement deux candidats. Cependant, sur ce front, la première famille n’est pas très satisfaisante car, à tout le moins dans leur forme canonique, ces modèles supposent la présence de deux candidats établis. Alors que ces modèles parviennent à montrer la stabilité d’un système bipartite, ils ne peuvent expliquer son émergence. Cependant, il existe également des équilibres avec entrée, c’est-à-dire des équilibres avec plus de deux candidats. Ces équilibres ont des caractéristiques qui sont attrayantes et d’autres qui le sont moins. Par exemple, ils peuvent être vus comme montrant la présence de candidats gâcheurs, un phénomène qui est documenté empiriquement. En même temps, ces équilibres dépendent de l’hypothèse de maximisation de la part des votes. En outre, hormis les quelques exceptions mentionnées plus haut, le troisième candidat se positionne au centre plutôt qu’à un extrême, ce qui est en désaccord avec l’évidence empirique. Dans la deuxième famille, hormis Osborne (2000) et Sengupta et Sengupta (2008), les équilibres duvergériens sont convergents. L’existence d’équilibres duvergériens avec polarisation survient de façon assez naturelle dans la troisième famille. De surcroît, à la différence de la première famille, l’émergence d’un système bipartite y est totalement endogène. Un éclairage important que ces modèles apportent est que la loi de Duverger peut survenir en raison d’un comportement stratégique de candidature endogène, même en l’absence de comportements stratégiques de vote et de l’effet du vote perdu qui leur est associé. Cependant, comme souligné dans Cox (1997), l’argument basé sur les candidatures stratégiques présente plusieurs des mêmes limitations que l’argument basé sur l’effet du vote perdu, à savoir l’exigence d’un haut degré de coordination parmi les acteurs (candidats potentiels ou électeurs) et l’hypothèse que les acteurs s’intéressent seulement à l’élection présente et non pas aux élections futures.
Avenues de recherche : présent et futur
Les modèles avec candidature endogène ouvrent des avenues pour étudier d’autres questions qui surviennent naturellement une fois qu’on traite les candidats comme endogènes. Nous n’avons pas couvert ici certaines de ces avenues, tandis que d’autres sont encore à l’état embryonnaire.
Une problématique, qui est analysée dans un article apparenté (Bol, Dellis et Oak, 2016), est celle de la comparaison des propriétés des systèmes électoraux. En particulier, le modèle du candidat-citoyen a été utilisé avec succès pour comparer le degré de polarisation qui est supporté par différents systèmes électoraux. Par exemple, on peut montrer que différents systèmes électoraux influencent l’identité des candidats et ont un effet sur le choix de politique et cela même lorsqu’il y a seulement deux candidats à l’équilibre. Ceci illustre l’intérêt d’endogénéiser les candidatures puisqu’un modèle avec deux candidats exogènes n’est pas capable de distinguer entre la plupart des systèmes électoraux, qui sont, dans ce cas, équivalents; voir, par exemple, Dellis et Oak (2006, 2007, 2016), Dellis (2009), Dellis, Gauthier-Belzile et Oak (2017). Comme mentionné plus haut, l’importance pour la comparaison des systèmes électoraux de tenir compte des comportements stratégiques de candidature est souligné avec force dans Dutta, Jackson et Le Breton (2001).
De façon similaire, il existe une petite littérature qui étudie l’effet du nombre de sièges lorsque les candidatures sont endogènes. Greenberg et Shepsle (1987) est une des premières contributions portant sur ce sujet. Cette voie de recherche promet d’offrir une approche de mechanism design où la règle de vote et le nombre de candidats à élire peuvent être changés et les équilibres qui en résultent comparés. Dans cet esprit, Morelli (2004) compare (à l’aide d’un modèle de candidat-citoyen) la règle de pluralité et la représentation proportionnelle. Un autre exemple est De Sinopoli et Iannantuoni (2007), qui étudie des situations où l’hypothèse de Duverger, selon laquelle la représentation proportionnelle tend à favoriser le multipartisme, n’est pas vérifiée.
La question de l’identité des candidats est une autre question à laquelle l’approche de candidature endogène s’applique de façon naturelle. Par exemple, qu’est-ce qui attire les gens vers une carrière politique – les bénéfices liés au pouvoir ou bien l’intérêt pour les politiques qui sont adoptées? L’approche de candidature endogène permet d’étudier l’apparition de candidats downsiens ou partisans plutôt que de supposer que les candidats sont d’un type ou de l’autre. Voir, par exemple, Callander (2008). Cette approche permet également de regarder d’autres attributs qu’on retrouve ou non chez les politiciens, tels l’honnêteté ou la compétence. Voir, par exemple, Caselli et Morelli (2004), Messner et Polborn (2004), et Mattozzi et Merlo (2008), qui étudient cette question à l’aide de modèles du candidat-citoyen. Il est également possible d’utiliser ces modèles comme fondements aux études empiriques des choix de politiques publiques. Voir, par exemple, Chattopadhyay et Duflo (2004), et Beath, Christia, Egorov et Enikolopov (2016).
Finalement, une question qui mériterait davantage d’attention est celle de la formation des partis politiques. Dans la littérature couverte par ce tour d’horizon, il n’y a, pour l’essentiel, aucune distinction de faite entre un parti et un candidat. Or, une grande partie de la littérature en science politique considère avec beaucoup de sérieux les questions de formation et d’évolution des partis politiques, ainsi que les questions connexes. Ces questions incluent : comment les partis se forment?; comment leur fonctionnement interne affecte la sélection des plates-formes et la sélection des candidats? En outre, l’existence de partis politiques crée des considérations de réputation à travers le temps et l’espace. Un meilleur traitement des partis politiques est donc nécessaire pour construire des modèles de compétition électorale qui soient plus satisfaisant[31]. La nécessité d’articuler la relation entre candidats et partis politiques est particulièrement importante dans les modèles du candidat-citoyen où les candidats sont dotés de préférences sur les politiques. Roemer insiste, avec beaucoup de force, sur la nécessité d’incorporer les partis politiques dans l’analyse de la compétition électorale. À propos du modèle du candidat-citoyen, Roemer (2006 : 423) écrit : «... parties organize political competition, and discipline candidates to commit to policies which are, in general, not their ideal policies. » Plusieurs contributions ont tenté d’introduire les partis dans le modèle du candidat-citoyen, avec les partis servant à s’engager à mettre en oeuvre, une fois élu, une politique donnée (par exemple, Morelli, 2004 et Levy, 2004) ou servant à partager les coûts de candidature entre les membres du parti (par exemple, Rivière, 1999). Nous pensons que l’introduction des partis politiques dans les modèles de candidature endogène est une ligne de recherche qui mérite d’être suivie.
Appendices
Remerciements
Nous tenons à remercier Dimitrios Xefteris, Paolo Roberti, ainsi que trois arbitres anonymes et, tout spécialement, l’éditeur en charge, Michel Le Breton, pour leurs précieux commentaires et suggestions sur une version antérieure de cet article.
Notes
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[1]
Bien qu’il y ait eu au cours du temps de nombreuses variantes du modèle Hotelling-Downs, le modèle original peut être attribué à Downs (1957) qui prend comme point de départ le modèle de compétition spatiale proposé par Hotelling (1929).
-
[2]
La fonction d’utilité d’un électeur peut être interprétée comme une fonction d’utilité indirecte dont l’argument est la politique mise en oeuvre et qui englobe l’ensemble des effets de cette politique.
-
[3]
La littérature a adopté différentes approches pour générer une divergence des candidats dans le modèle Hotelling-Downs. Une première approche, adoptée par Downs lui-même, consiste à relâcher l’hypothèse de participation complète des électeurs et de permettre l’abstention par aliénation, c’est-à-dire qu’un citoyen s’abstient de voter lorsque les candidats ont des positions qui sont trop éloignées de sa politique idéale (voir Downs, 1957 et, parmi les contributions récentes, Laussel, Le Breton et Xefteris, 2016 et les références qui y sont citées). Une autre approche consiste à relâcher l’hypothèse d’information complète. Par exemple, Banks (1990) suppose que les électeurs sont incertains quant à la politique qu’un candidat mettra en oeuvre une fois élu. Dans le même esprit, mais d’une manière différente, Calvert (1985) considère un modèle où les candidats sont intéressés par la politique qui sera mise en oeuvre et sont incertains quant à la politique idéale de l’électeur médian. Une troisième approche consiste à abandonner le modèle unitaire de choix des politiques et de considérer à la place des processus de choix collectif des politiques publiques (voir, entre autres, Austen-Smith et Banks, 1988; Ortuno-Ortin, 1997; Gerber et Ortuno-Ortin, 1998, et Alesina et Rosenthal, 2000). D’autres approches introduisent un avantage pour le parti au pouvoir (Bernhardt et Ingberman, 1985), la nomination stratégique des candidats par les partis politiques (Fauli-Oller, Ok et Ortuno-Ortin, 2003 et Owen et Grofman, 2006), ou l’influence des groupes d’intérêt (Baron, 1994).
-
[4]
Nous utiliserons généralement le terme candidat et le terme parti politique comme des synonymes. La quasi-totalité de la littérature que nous discutons peut être vue comme adoptant un modèle unitaire des partis politiques. Dans la conclusion à cet article, nous discutons de la pertinence de distinguer les candidats des partis politiques.
-
[5]
NEP est un indicateur de fragmentation couramment utilisé en science politique (voir, par exemple, Lijphart, 1994 et Cox, 1997). Cet indicateur est utilisé dans la plupart des études empiriques (Ordeshook et Shvetsova, 1994; Amorim Neto et Cox, 1997; Clark et Golder, 2006 ou encore Carey et Hix, 2011) et des études expérimentales sur le sujet (Bol, Blais et Labbé St-Vincent, 2016; Labbé St-Vincent, Blais et Pilet, 2016). Aussi, de nombreuses études ont recours au NEP pour prédire la corruption (Chang et Golden, 2007), le « vote correct » (Lau et al., 2014), ou encore la stabilité gouvernementale (Colomer, 2012). Un autre indicateur de fragmentation, moins usité en science politique, est le ratio Deuxième-Premier (Second-First ratio). Ce ratio est obtenu en divisant la part des votes du deuxième perdant (troisième plus grande part des votes) par la part des votes du premier perdant (deuxième plus grande part des votes).
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[6]
Les nombres rapportés dans les tableaux 1 et 2 sont basés sur nos propres calculs à partir des données de Kollman et al. (2016). Cette base de données est accessible à http://www.electiondataarchive.org/. Dans nos calculs, nous avons dû omettre les circonscriptions électorales où il manque la part des votes d’au moins un candidat/parti. Au total, moins de 1 % des circonscriptions électorales a dû être omis de nos calculs.
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[7]
Nous utilisons les données du Comparative manifesto de Volkens et al. (2015). La base de données est accessible à https://manifestoproject.wzb.eu/. Dans cette base de données, chaque phrase est codée selon son thème, un thème de gauche (par exemple, une phrase en faveur du multiculturalisme) ou un thème de droite (par exemple, une phrase en faveur du maintien de l’ordre). La position gauche-droite de chaque parti est calculée en prenant la différence entre le nombre de phrases de droite et le nombre de phrases de gauche et en divisant cette différence par la somme des phrases de gauche et des phrases de droite. Cette mesure varie entre -1 (extrême gauche) et +1 (extrême droite).
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[8]
Un autre indice de polarisation, moins usité, correspond à la distance sur l’axe gauche-droite entre le parti dont la position est la plus à droite et le parti dont la position est la plus à gauche. Cet indice a l’inconvénient de ne pas tenir compte de la taille des différents partis (voir, par exemple, Matakos, Troumpounis et Xefteris, 2016).
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[9]
Par exemple, même dans le cas des États-Unis, où le degré de polarisation est le plus faible parmi les trois pays, un indice de polarisation de 0,08 signifie que les plates-formes des partis ont, en moyenne, un écart d’environ 28 % par rapport au centre de gravité. Autrement dit, en supposant que les deux partis, le Parti démocrate et le Parti républicain, sont positionnés de façon symétrique autour de zéro et reçoivent chacun la moitié des votes, alors on aurait p = 0 et le Parti démocrate serait positionné à -0,28 tandis que le Parti républicain serait positionné à +0,28.
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[10]
Cela n’exclut en rien que les candidats puissent également être intéressés par leur performance électorale. La caractéristique qui définit le paradigme partisan est le fait que les candidats sont intéressés par la politique qui est mise en oeuvre, pas par l’absence d’intérêt pour la performance électorale.
-
[11]
Nous supposons des fonctions d’utilité de perte linéaire pour simplifier l’exposition.
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[12]
Comme nous le verrons ci-dessous, l’ensemble des choix possibles, εi, varie d’une famille de modèles à l’autre. Dans la première famille, il y a deux types de candidats : les candidats établis, pour qui εi = X (c’est-à-dire que chaque candidat établi choisit une position dans X); et un candidat potentiel, pour qui (c’est-à-dire qu’il choisit s’il entre ou non dans la course et, dans l’éventualité où il décide d’entrer, à quelle position dans X). Dans la deuxième famille, pour chaque candidat potentiel. Enfin, dans la troisième famille, pour chaque candidat potentiel (c’est-à-dire que chaque candidat potentiel i choisit entre concourir à sa politique idéale xi ou ne pas se présenter à l’élection).
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[13]
Étant donné que la première étape du jeu est la seule où il y ait des interactions stratégiques, nous cherchons les équilibres pour cette étape du jeu seulement.
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[14]
Weber (1992) généralise Palfrey (1984) de deux façons. Premièrement, il permet n’importe quelle fonction de densité des politiques idéales des électeurs, , qui soit quasi concave ou unimodale, alors que Palfrey (1984) restreint son analyse aux fonctions de densité qui sont symétriques. Deuxièmement, Weber (1992) propose un concept de solution différent de celui proposé dans Palfrey (1984), concept qui garantit l’existence d’un équilibre pour une plus grande classe de fonctions de densité et qui coïncide avec le concept de solution proposé dans Palfrey (1984) lorsque la fonction de densité est symétrique autour de la médiane.
-
[15]
Brams et Straffin (1982) précède Palfrey (1984) et Weber (1992). Dans cet article, les auteurs prennent comme données les positions des candidats établis et déterminent le degré maximal de polarisation qui empêche un entrant de gagner l’élection.
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[16]
Weber (1997) permet en outre la possibilité d’avoir plus que deux candidats établis.
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[17]
Si nécessaire, nous renommons les deux candidats établis de façon telle que xL ≤ xR.
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[18]
Plus précisément, Osborne (1993) suppose qu’un candidat préfère gagner l’élection que d’être dans un ex aequo avec un autre candidat, préfère être dans un ex aequo avec un autre candidat que de ne pas entrer dans la course et préfère ne pas entrer dans la course que d’entrer et perdre l’élection.
-
[19]
Si personne ne se portait candidat, alors un candidat entrant dans la course serait le seul candidat; il serait donc élu avec probabilité un. Si un seul candidat concourait, alors un second candidat pourrait entrer à la même position et être dans un ex aequo. Dans les deux cas, un candidat potentiel aurait intérêt à entrer.
-
[20]
Si tous les candidats déclarés étaient à la même position (c’est-à-dire ), alors un de ces candidats pourrait améliorer ses chances d’être élu en se positionnant sur l’un des flancs de cette position ou, alternativement, un autre candidat potentiel pourrait entrer sur un des flancs de cette position et être élu avec probabilité un. Si tous les candidats sont positionnés d’un même côté de la médiane (c’est-à-dire ), alors l’un de ces candidats pourrait améliorer ses chances d’être élu en se positionnant à la médiane ou sur un de ses flancs.
-
[21]
S’il y avait un seul candidat à, disons, , alors ce candidat pourrait améliorer ses chances d’être élu en se positionnant légèrement plus à droite, puisqu’il continuerait à obtenir les votes de tous les électeurs à sa gauche et pourrait aller chercher les votes de certains électeurs plus à droite. S’il y avait plus de deux candidats à, disons , alors l’un d’eux pourrait améliorer ses chances d’être élu en se positionnant plutôt sur un flanc de , capturant ainsi au moins la moitié des votes qui, sinon, auraient été partagés avec les autres candidats à .
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[22]
Sinon, un des deux candidats à cette position pourrait améliorer ses chances d’être élu en se positionnant sur le flanc de cette position, du côté qui a le plus d’électeurs.
-
[23]
Le cas où M ≥ 6 reste ouvert.
-
[24]
Osborne (2000) et Sengupta et Sengupta (2008) sont des exceptions.
-
[25]
Par contraste, les deux autres familles de modèles supposent que l’ensemble des candidats (potentiels) est disjoint de l’ensemble des électeurs .
-
[26]
Notez que les résultats que nous présentons ci-dessous sont robustes à l’ajout d’un petit intérêt de la part des candidats pour leur performance électorale per se.
-
[27]
Ce résultat tient aussi longtemps que l’intérêt des candidats pour leur performance électorale per se n’est pas trop important par rapport à leurs préférences pour la politique qui est mise en oeuvre et qu’ils sont neutres ou averses au risque.
-
[28]
Un intérêt suffisamment important pour la performance électorale peut faire en sorte que le candidat le plus à gauche ou celui le plus à droite n’a pas intérêt à dévier et ne pas se porter candidat, de façon à améliorer les perspectives électorales du candidat qui est le plus proche de sa politique idéale.
-
[29]
En utilisant le modèle du candidat-citoyen avec deux partis politiques qui tiennent chacun une élection primaire pour sélectionner leur candidat, Cadigan et Janeba (2002) montrent que les élections primaires peuvent conduire à encore plus de polarisation. Pour une utilisation du modèle du candidat-citoyen pour étudier la nomination des candidats par les partis, voir également Jackson, Mathevet et Mattes (2007).
-
[30]
Nous avons ici exposé la version du modèle du candidat-citoyen de Osborne et Slivinski. L’autre version, celle de Besley et Coate (1997), est également capable de générer des équilibres avec deux candidats qui sont localisés à des positions différentes de la médiane, ainsi que des équilibres avec des candidats gâcheurs.
-
[31]
Voir Crutzen et Sahuguet (2017) pour un tour d’horizon de la littérature sur les partis dans les modèles d’économie politique.
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