Abstracts
Résumé
Ce travail s’appuie sur une base de données originale comprenant 255 producteurs de coton de la zone de production marginale de Côte d’Ivoire. Il s’agit de mettre en évidence l’effet sur la productivité de l’incursion des opérateurs privés dans cette zone étatique. Pour atteindre ce but, nous appliquons la régression par moindres carrés ordinaires (MCO) et la méthode d’appariement. Les résultats des travaux suggèrent que la privatisation est favorable à la hausse de la production dans cette zone.
Abstract
This work uses an original dataset for 255 cotton farmers in the marginal cotton production areas of Côte d’Ivoire and focuses on the liberalization of agricultural extension services. We estimate the effect of private vs public agricultural extension service on the cotton production of farmers. We highlight the consequences of the intrusion of private extension services in this area devoted to the state agency. We use both ordinary least squares (OLS) and matching procedures. The results suggest that privatization favors production in this area.
Article body
Introduction
Dans les pays d’Afrique, l’État a gardé pendant longtemps le contrôle du secteur agricole par le biais des monopoles d’État. Avec les programmes d’ajustements structurels initiés par la Banque mondiale dans les années quatre-vingt, les États africains entreprennent des actions en vue de la restructuration et la privatisation du secteur agricole. Cette privatisation concerne le transfert partiel ou total de la propriété ou de la gestion d’entreprises appartenant à l’État; l’aménagement de règles de gestion des secteurs publics et parapublics de manière à rendre plus compétitives les entreprises maintenues dans le patrimoine de l’État et la création d’un environnement juridique et économique plus adapté à l’initiative privé (Chavane, 1996).
L’expérience de privatisation et de libéralisation africaine est globalement décrite comme positive (Shepherd et Farolfi, 1999; Baffes, 2001), notamment du fait de l’afflux de capitaux privés, de l’expertise dans la gestion et l’esprit d’entreprise associés à la libéralisation. De manière générale, la libéralisation a contribué à une résurgence de la production; elle a permis aux producteurs de bénéficier de paiements plus rapides et d’une hausse des prix (Poulton et al., 2004). Toutefois, Gibbon (1999) note que l’augmentation séculaire du prix réel pour le producteur, consécutive à la libéralisation, est éphémère puisque le prix retourne au niveau initial, d’avant libéralisation. De plus, les auteurs pointent nombre de défis à résoudre dans la coordination des actions des différents acteurs et dans la qualité de la production (Gibbon, 1999; Poulton et al., 2004).
Ce travail de recherche complète la littérature existante sur la privatisation dans le secteur agricole en Afrique subsaharienne en comparant la productivité des producteurs de coton dans les secteurs public et privé de la Côte d’Ivoire. L’analyse de la contribution de la privatisation sur la production des exploitants, notamment la comparaison entre structure étatique et privée fait face à certaines difficultés. D’une part, l’importance du monde agricole dans les pays d’Afrique subsaharienne conduit à de nombreuses barrières dans l’accès à l’information. D’autre part, du point de vue méthodologique, étudier l’impact de la privatisation est une tâche difficile à cause des problèmes d’endogénéité. La majorité des réformes entreprises dans le secteur agricole consiste en des monopoles locaux. Par conséquent, une simple comparaison des régions suivant le type d’encadrement pourrait conduire à des résultats erronés. De la même manière, en se limitant uniquement aux différences entre les choix d’encadrement au sein d’une même région, on peut être confronté à des problèmes d’endogénéité, dès lors que les différences dans certaines caractéristiques influencent les choix de la structure d’encadrement.
En Côte d’Ivoire, la filière cotonnière autrefois contrôlée par l’État, a été partiellement privatisée en septembre 1998. Le nouvel aménagement du secteur consiste en un monopole local, avec la répartition de trois compagnies dans des zones géographiques bien définies. Le bassin cotonnier est segmenté en trois blocs : le bloc marginal régulé par la structure étatique CIDT (Compagnie ivoirienne pour le développement des textiles), et deux autres blocs répartis entre deux opérateurs privés. En dépit de cette réforme, l’État assure la régulation et le respect des principes de transparence et de concurrence saine et loyale de l’ensemble du secteur, à travers le Conseil du Coton et de l’Anacarde (anciennement Autorité de Régulation du Coton et de l’Anacarde).
Lors d’une enquête réalisée en 2012, il a été constaté une présence importante d’opérateurs privés dans la zone attribuée à l’État. Cette dérégulation du système de zonage dans la zone marginale de production affecte-t-elle la production des exploitants? Nous évaluons l’incidence de cette incursion sur leur production. Pour ce faire, nous nous appuyons sur une base de données originale datant de l’année 2012. Nous considérons une régression par moindres carrés ordinaires (MCO), puis une méthode d’évaluation par appariement. En effet, l’incursion des opérateurs privés constitue une expérience naturelle qui permet l’évaluation de l’effet du choix de la structure d’encadrement sur la production des exploitations.
Les résultats suggèrent une plus grande productivité des exploitants encadrés par les structures privées. Par conséquent, la libre concurrence pourrait être favorable dans la zone marginale de production cotonnière.
La prochaine section présente le secteur cotonnier en Côte d’ivoire. La section suivante porte sur l’enquête et l’analyse des données. Concernant notre méthodologie, nous considérons dans un premier temps la méthode de bootstrap pour la régression par MCO. L’application ainsi que nos premiers résultats sont présentés dans la troisième section. Le risque d’auto-sélection de l’échantillon nous conduit à utiliser la méthode d’appariement et l’effet moyen du traitement sur les traités. La discussion et les résultats de la méthode sont présentés dans l’avant-dernière section. Enfin, nous concluons.
1. Caractère institutionnel du secteur cotonnier en Côte d’Ivoire
La culture du coton est la principale source de revenu dans les régions du nord de la Côte d’Ivoire. Elle est la première activité génératrice de revenu et d’emploi dans cette zone. Elle a favorisé le développement des activités industrielles fondées sur l’égrenage du coton-graine[1], la filature et l’huilerie (Kouamé, 2006). Du point de vue macroéconomique, la contribution du coton au produit intérieur brut de la Côte d’Ivoire était de 1,7 %, et la part de cette activité dans les exportations atteignait 7 % au début des années deux mille (Kouamé, 2006). Depuis plusieurs années, le secteur du coton traverse une crise dépendant de multiples facteurs : chute des cours mondiaux du coton imputable aux subventions qu’offrent les pays développés à leurs producteurs, crise militaro-politique qu’a traversé le pays de septembre 2002 à avril 2011 et faiblesse des textes réglementaires. Cette crise a touché le système d’encadrement et a eu un impact sur la sécurisation des revenus des ménages producteurs de coton. En effet, elle a favorisé une régression des paramètres cotonniers tels le volume de production (avec une baisse de 90 %), les superficies emblavées (une baisse de 54,03 %) et le nombre de producteurs (une baisse de 55,13 %), entre 2003 et 2009. À l’échelle des ménages, elle a contribué à la réduction des revenus agricoles et elle a induit une augmentation de la pauvreté en milieu rural. Aussi, entre 2002 et 2008, le taux de pauvreté dans le bassin cotonnier est passé de 50,9 % à 67,7 % (DSRP, 2009).
En Côte d’Ivoire, la période de mise en place des exploitations cotonnières est fixée entre juin et juillet. La campagne de récolte commence, généralement, durant le mois d’octobre et peut s’étendre jusqu’au mois de janvier. Les principaux acteurs du secteur sont les producteurs et les sociétés cotonnières. En outre, il existe des organes annexes[2].
Les producteurs possèdent des exploitations familiales dont la taille moyenne est estimée à trois hectares. Ces producteurs sont organisés en coopératives de production et de collecte du coton-graine dans les bassins de production. Toutes les coopératives se sont regroupées en unions de coopératives ou faîtières. En outre, pour la défense de leurs intérêts communs, les unions de coopératives ont créé un organe fédératif dénommé AFFICOT-CI (Association des Faîtières de la Filière Coton en Côte d’Ivoire).
En quoi consiste la mission des sociétés cotonnières? En plus des activités d’égrenage, les sociétés cotonnières ont une mission d’encadrement des exploitations. Dans le cadre du secteur cotonnier ivoirien, la structure d’encadrement étatique ou privée est à la fois l’agent de vulgarisation, l’égreneur, le négociant ou l’unique acheteur de la production. La structure d’encadrement assiste les exploitations pendant la période de culture. Elle fournit également les intrants et les matériels agricoles. À la fin de la récolte, le contrat tacite avec l’exploitation implique que la structure d’encadrement rachète toute la production de l’exploitation encadrée au cours de la saison. Le monopole local implique que la structure d’encadrement ou société cotonnière est le seul pourvoyeur d’extension agricole et le seul acheteur dans la zone attribuée.
Avant septembre 1998, le secteur cotonnier en Côte d’Ivoire était géré par la CIDT. À partir de septembre 1998, on assiste avec la privatisation à l’émergence d’un monopole local. Trois blocs sont attribués à trois opérateurs (voir la carte 1, en annexe) : Ivoire Coton pour le bloc nord-ouest, la Compagnie Cotonnière Ivoirienne (LCCI) pour le bloc nord-est et la CIDT pour le bloc marginal situé au centre[3].
Depuis la fin de la crise militaro-politique en Côte d’Ivoire en avril 2011, on remarque que les compagnies privées sont de plus en plus présentes dans la zone attribuée à la CIDT. En conséquence, les producteurs de coton s’opposent, de plus en plus, au zonage des blocs cotonniers et revendiquent la possibilité de choix de la structure d’encadrement, quelle que soit la localisation de leur exploitation. Il convient d’analyser l’incidence de cette incursion sur la production de coton. Il y va des revenus des exploitations et de la réduction de la pauvreté dans ces zones de manière générale.
La vulgarisation ou extension agricole représente l’ensemble de l’offre de formation, d’information, de conseils et de connaissances liées à l’agriculture, à l’élevage, à la transformation et à la commercialisation (Meinzen-Dick et al., 2010). Elle concerne également la fourniture d’intrants agricoles et l’octroi de crédits (Birkhaeuser, Evenson et Gershon, 1991). Il s’agit généralement du mécanisme par lequel l’information des nouvelles technologies, de meilleures pratiques agricoles et une meilleure gestion peuvent être soumises aux agriculteurs (Owens, Hoddinott et Kinsey, 2003). De manière générale, les travaux révèlent l’impact positif et non négligeable de cette vulgarisation agricole sur la production, les revenus et la sécurité alimentaire dans le monde rural (Alene et Manyong, 2007; Evenson, 2001; Owens et al., 2003). Dans l’analyse économique, les travaux de recherche se centrent sur les déterminants du choix de la vulgarisation agricole, ainsi que les effets d’un tel choix en comparant les outputs des adoptants et des non-adoptants. Une autre ligne de travaux s’intéresse à la qualité des services fournis.
Dans le bassin cotonnier de Côte d’Ivoire, la qualité des services fournis par le public et le privé demeure presque identique. Cependant, avec la concurrence, les structures cotonnières privées innovent pour attirer les producteurs. Entre 2004 et 2008, Ivoire Coton a capté environ 45 % de la production nationale de coton. En 2009, cette même société a commercialisé environ 40 % de la production nationale contre 31 % pour COIC. La performance de ces structures cotonnières est liée aux innovations apportées dans l’encadrement qui offrent des conditions plus avantageuses aux producteurs. En effet, Ivoire Coton a établi un partenariat avec le producteur de coton tout en supprimant les nombreux intermédiaires. Cet encadrement participatif s’appuie sur des principes, tels le soutien technique ainsi que la fixation d’objectif d’activités et d’objectif planché. Cet accompagnement qui implique étroitement les conseillers agricoles et les producteurs de coton assure la stabilité de la production et permet aux partenaires de partager le profit lorsque les objectifs fixés sont atteints.
En outre, Ivoire Coton organise des cérémonies de récompense des meilleurs producteurs chaque année et entreprend certaines opérations socioéconomiques d’envergure. Parmi ces opérations, on peut souligner la réhabilitation des pompes villageoises, la mise en place des cases de santé dotées de caisses de pharmacies villageoises et l’octroi de prêt de soudure aux producteurs. D’autres programmes sont également initiés notamment l’alphabétisation fonctionnelle qui consiste à apprendre aux producteurs à lire, écrire et calculer dans leur langue maternelle. En effet, ceci permet une meilleure maîtrise des techniques de production et de l’environnement économique et financier du coton. En outre, cette société privée appuie les coopératives, entretient les pistes villageoises et initie des campagnes de lutte contre le VIH/SIDA en milieu rural.
Quant à COIC, elle pratique un suivi personnalisé des producteurs de coton. Cela consiste à fournir les intrants agricoles tout en exigeant un rendement minimal d’une tonne à l’hectare pour la production de coton. La CIDT, pour résister à cette rude concurrence, à récemment initié une cérémonie annuelle de récompense des meilleurs conseillers agricoles et des producteurs les plus performants.
Toutefois, les prévisions de la campagne cotonnière 2013-2014 hissent toujours Ivoire Coton et COIC à la tête des sociétés cotonnières avec respectivement 37 % et 31 % de la production cotonnière nationale[4]. Cette performance démontre l’efficacité de l’accompagnement fourni par les sociétés cotonnières privées. Qu’elles soient privées ou publiques, toutes les sociétés cotonnières participent à la diversification agricole en prenant en compte les cultures vivrières dans leur système d’encadrement. La mission de ces sociétés cotonnières est de promouvoir, à travers la culture du coton et des vivriers, le développement économique et social du bassin cotonnier de Côte d’Ivoire situé au centre et au nord du pays.
2. Enquête et description des données
Notre étude porte sur la production de coton des exploitants affiliés à la structure étatique ou à des sociétés privées dans la zone marginale de production de Côte d’Ivoire. L’enquête a été effectuée dans la seconde moitié de l’année 2012. Elle fait partie d’une série d’enquêtes mises en oeuvre dans le cadre du projet sur la sécurité alimentaire et dynamique agraire dans les régions productrices de coton de la Côte d’Ivoire. Ce projet du département de géographie de l’université de Bouaké (Côte d’Ivoire) a débuté en 2001. Dans les premières années, il a été financé par l’université de Gembloux (Belgique) en partenariat avec l’université de Bouaké et le CNRA (Centre National de Recherche Agronomique) de Côte d’Ivoire. L’enquête de 2012 concerne la zone cotonnière marginale assignée à la structure étatique, la CIDT. Le choix des sous-préfectures enquêtées a été guidé par la stratification du bloc centre selon la superficie moyenne (en hectare) plantée durant la saison 2009/2010. La superficie moyenne estimée de 3,91 hectares a permis la stratification du bloc cotonnier en trois zones productrices. La première strate concerne les sous-préfectures de fortes productions avec une superficie moyenne supérieure à 3,91 hectares. La seconde strate, les zones moyennes de production avec des superficies d’environ 3,91. La dernière strate comprend les sous-préfectures de faible production avec des superficies de moins de 3,91 hectares. Nous avons alors choisi d’enquêter une sous-préfecture par strate. Dans ce sens, pour la première strate, nous avons choisi la sous-préfecture de Mankono, la sous-préfecture de Tortiya pour la seconde strate et celle de Bouaflé pour la dernière strate. Ce choix a été fait en tenant compte de facteurs tels que la localisation de la sous-préfecture dans le bloc centre : Mankono est localisé dans le nord, et les sous-préfectures de Tortiya et Bouaflé sont respectivement localisées dans le centre et le sud (cf. carte 1, en annexe). Le choix des villages à interviewer a été guidé par la présence de producteur de coton. Dans ce contexte, l’enquête se base sur 14 villages de la région marginale de production cotonnière. Le tableau A1 (en annexe) présente les résultats du dénombrement des producteurs de coton et la proportion de répondants. Sur l’ensemble de la zone d’étude comprenant 14 villages, 319 exploitations ont été recensées et 255 exploitants ont été interrogés, soit près de 80 % des exploitants. Les autres exploitants étaient en majorité absents au moment des différents passages. Au total, 80 chefs d’exploitations ont été interviewés dans la sous-préfecture de Mankono, 71 dans la sous-préfecture de Tortiya et 104 dans la sous-préfecture de Bouaflé.
Une enquête par questionnaire a permis de collecter beaucoup d’information, notamment sur l’utilisation de fumure, la superficie de l’exploitation, la quantité de coton produite, la valeur de la production cotonnière, l’utilisation d’une main-d’oeuvre ou de boeufs attelés, les biens et actifs du ménage, les caractéristiques du chef d’exploitation (âge, sexe, éducation, religion, groupe ethnique, nationalité, statut matrimonial), la taille du ménage ainsi que la production d’autres produits d’exportations tels que l’anacarde.
Les statistiques descriptives sont présentées dans le tableau A1 en annexe. Avant de présenter ces statistiques, notons que dans la réalité, pour une année, la production est observée pour les exploitants qui cultivent le coton l’année précédente. Pour simplifier la discussion, nous utiliserons le terme exploitant (ou exploitation) pour l’ensemble des exploitations et le terme producteur fera référence aux exploitations avec une production non nulle l’année précédant l’enquête.
Notons dans un premier temps que près de 80 % des exploitations sont encadrés par la CIDT et environ 76 % des producteurs – c’est-à-dire des exploitations ayant cultivées le coton l’année précédant l’enquête – sont encadrés par la CIDT.
Il existe plusieurs modes d’accès à la terre : la location, le don et le prêt. Près de 26 % des exploitants sont propriétaires des terres. Les statistiques suggèrent que seulement 14,6 % des producteurs sont propriétaires terriens (18,6 % des producteurs CIDT et 2 % des producteurs non-CIDT).
Les femmes à la tête d’exploitation représentent 7,5 % des exploitants et 1,6 % des producteurs, et l’ensemble de ces femmes est encadré par la CIDT. En effet, pour attirer les femmes, la CIDT a initié une politique consistant à leur distribuer des présents lorsqu’elles ouvrent des exploitations cotonnières. Pour permettre à leurs épouses de bénéficier de cette récompense, certains paysans ont alors ouvert des exploitations cotonnières au nom de celles-ci. Ce constat a été fait notamment à Krigambo dans la sous-préfecture de Bouaflé.
La superficie moyenne des exploitations est de 5,27 hectares pour l’ensemble des exploitants. La moyenne augmente à 6,34 si l’on se centre uniquement sur les producteurs l’année de l’enquête, avec une superficie de 6,31 pour les producteurs CIDT et 6,43 pour les autres producteurs. La taille de l’exploitation (correspondant à la taille du ménage) est de 9,5 membres en moyenne, avec près de 10,5 membres pour les producteurs non-CIDT et 9,8 membres pour les producteurs CIDT.
Les statistiques suggèrent également une faible part d’exploitants et de producteurs instruits. En effet, seul le quart des exploitants agricoles ont été à l’école, et parmi les producteurs CIDT, 25 % ont déjà été à l’école contre 15 % chez les producteurs non-CIDT.
Concernant les quantités de coton produites, les statistiques suggèrent une production moyenne de 4,034 tonnes pour les producteurs CIDT et 6,299 tonnes pour les autres producteurs. Lorsque nous regardons les écarts types, nous constatons qu’ils sont beaucoup plus élevés pour les producteurs non-CIDT que pour les producteurs CIDT. Nous effectuons différents tests pour la comparaison des deux niveaux moyens de production.
Le tableau 1 regroupe les résultats de nos tests de comparaison de moyenne. La seconde colonne présente la généralisation du test de Student dans le cas de variance inégale. Ce test est effectué en considérant l’approximation de Welch. Ce test de Welch, proche de celui d’une analyse de la variance, permet de relâcher l’hypothèse d’égalité des variances entre les échantillons (Sawilowsky, 2002). L’hypothèse nulle du test est :
La statistique du test nous permet de rejeter l’hypothèse nulle. On affirme donc que le niveau moyen de production est significativement différent entre les producteurs CIDT et les producteurs non-CIDT avec un degré de significativité inférieur à 10 %. Nous notons toutefois un écart-type des non-CIDT plus important que celui des CIDT. Nous effectuons en conséquence un test de comparaison des variances sous l’hypothèse nulle H0 : sd (non-CIDT)/ sd(CIDT) = 1
Les résultats présentés dans la troisième colonne du tableau 1 conduisent à rejeter l’hypothèse d’égalité des variances.
En réalité, le test statistique de Student se base sur l’hypothèse selon laquelle les moyennes des échantillons suivent une loi normale. L’analyse statistique regroupe divers tests non paramétriques souvent utilisés dans le cas où l’hypothèse de normalité n’est pas acceptable. Ils permettent notamment de relâcher l’hypothèse d’une distribution de probabilité donnée. Les deux dernières colonnes du tableau 2 présentent respectivement les résultats du test de Wilcoxon-Mann-Whitney et du test de Kruskal Wallis (similaire à une analyse de variance à facteur)[5]. Le test de Kruskal Wallis est présenté comme la version non paramétrique de l’analyse de la variance et comme une version généralisée de la méthode Mann-Whitney. Les résultats de ces deux tests confirment qu’il existe une différence statistique significative entre les productions des exploitants CIDT et non-CIDT.
3. Application de la méthode Bootstrap pour la régression MCO
3.1 Méthodologie
La fonction de production spécifie la relation entre l’output Y et les facteurs de production travail et capital (Chambers, 1988).
Griffin et al. (1987 ) recensent 20 formes fonctionnelles et montrent pourquoi la détermination d’une véritable forme fonctionnelle pour la relation entre l’output et les facteurs de production est impossible. Les auteurs notent l’importance du choix de la meilleure forme pour une tâche donnée ou de la plus appropriée pour un contexte donné. Ils soulignent, notamment, l’importance de la disponibilité des données, des propriétés sur les données et des ressources informatiques pour l’estimation dans le choix de la forme fonctionnelle.
En considérant Yi la production de coton pour une exploitation donnée, L la superficie de terre allouée à la production de coton, K la dotation en capital, W la quantité de main-d’oeuvre, il est possible d’estimer l’élasticité des moyens de production.
Nous présentons ici cinq formes fonctionnelles pour Y=f(X) :
Les composantes β1, β2, β3, sont des constantes qui représentent, respectivement, l’élasticité de la production au capital, à la superficie de terre utilisée et à la quantité de main-d’oeuvre utilisée. β0 représente la constante et Ui un terme d’erreur.
Avant de procéder à notre estimation, nous regardons la distribution de notre variable dépendante. La partie gauche du graphique 1 (en annexe) montre que la répartition de la production de coton est très asymétrique. Ceci révèle la nécessité d’une transformation de la variable dépendante. La transformation la plus usitée est la transformation logarithmique. Dans la partie droite de notre graphique 1, nous voyons comment la transformation logarithmique aide grandement à corriger ce problème d’asymétrie. Elle permet ainsi à notre variable dépendante de mieux s’adapter aux hypothèses sous-jacentes de la régression en permettant à la relation entre variables d’être la plus linéaire possible. Notre analyse s’appuie en conséquence sur deux formes fonctionnelles qui partent du logarithme de la quantité produite : la forme Cobb douglas (2) et l’inverse semi-log (5). Dans le cadre de la forme Cobb-Douglas, les paramètres sont des élasticités et représentent la sensibilité de la production suite à une variation dans l’input. Dans le cadre de l’inverse semi-log, les paramètres de l’estimation sont des semi-élasticités et représentent le changement en pourcentage dans la variable dépendante à la suite d’un changement d’une unité dans l’input (Lockheed, Dean et Lawrence, 1980).
Du fait de la petite taille de notre échantillon, nous appliquons les méthodes de bootstrap pour la régression. En effet, les techniques de bootstrap sont des méthodes d’inférence statistiques basées sur des stimulations et le ré-échantillonnage. Ces techniques sont notamment appropriées et utilisées lorsque l’échantillon disponible est de petite taille. En réalité, la qualité de l’analyse économétrique dépend de la fiabilité des statistiques de tests employées. Tester une hypothèse implique de calculer une statistique de test et d’en connaître la loi de probabilité, qui est la plupart du temps inconnue. Dans la pratique, la loi asymptotique est utilisée comme approximation de la vraie loi inconnue. Toutefois, une taille importante de l’échantillon est nécessaire pour que la loi asymptotique soit une bonne image de la vraie loi de statistique. Les méthodes du bootstrap permettent d’obtenir une approximation de la vraie loi de la statistique plus précise que la loi asymptotique, d’accroître la fiabilité des tests pour les échantillons de petite taille, et conduisent à un gain de précision qui peut avoir d’importants effets sur les conclusions scientifiques (Flachaire, 2000). En économétrie, les applications du bootstrap sont nombreuses. Ces méthodes sont particulièrement utilisées pour leur apport principal concernant l’amélioration de l’inférence dans les modèles de régression (Flachaire, 2000; MacKinnon, 2006).
Notre estimation est réalisée à l’aide du logiciel Stata. Nous choisissons d’utiliser 500 réplications bootstrap en sachant qu’un grand nombre de réplications bootstrap fournit des statistiques plus précises (Poi, 2004). Les variables de l’analyse sont :
La superficie de terre cultivée et le statut d’occupation des terres (une variable dichotomique égale à l’unité pour le propriétaire terrain).
La main-d’oeuvre agricole qui est principalement une main-d’oeuvre familiale. En effet, tous les membres du ménage participent à l’activité agricole et seulement 8 % des exploitants interrogés déclarent embaucher de la main-d’oeuvre saisonnière. Toujours dans le cadre du capital humain, nous tenons compte du sexe et du niveau d’éducation du chef de l’exploitation. Nous définissons une variable dichotomique égale à l’unité si ce dernier a déjà été à l’école.
Concernant le facteur capital, nous considérons que tout actif possédé par l’exploitation peut influencer la production du coton. Ces actifs sont les voitures, les bicyclettes, les motos, les boeufs attelés possédés par l’exploitation et l’utilisation de fumure pour la production du coton. Nous utilisons l’analyse en composante principale (ACP) pour l’estimation d’un indicateur du facteur capital (voir Filmer et Pritchett, 2001; Vyas et Kumaranayake, 2006 pour des détails sur la procédure). Une variable, représentant le score de capital de l’exploitation, est ensuite construite en utilisant les scores factoriels de l’ACP comme poids (voir tableau A3 en annexe). Dans le cas de l’estimation inverse semi-log, nous définissons cinq quintiles afin de répartir les exploitations en 5 parts égales de 20 %, allant des exploitations très faiblement dotées en capital, jusqu’aux exploitations les mieux dotées en capital. Dans le cas de la forme Cobb-Douglas, la variable considérée est le logarithme du score de capital de l’exploitation[6].
Nous considérons une variable dichotomique pour les exploitants originaires du village où se trouve l’exploitation; et nous définissons une variable égale à l’unité si l’exploitant est le propriétaire des terres cultivées. Étant donné que nous sommes dans une zone marginale, où la production est généralement délaissée par les autochtones, nous considérons que l’exploitant qui loue des terres ou qui s’installe dans la zone pour produire du coton, aura plus d’incitation ou de motivation à produire que le possesseur de terre ou l’autochtone.
Nous introduisons enfin une variable dichotomique égale à l’unité si l’exploitation est encadrée par la structure publique (la CIDT). Nous envisageons également des variables d’interactions de la variable CIDT avec la sous-préfecture/l’éducation/le statut de propriété de la terre. Nous supposons que l’effet de l’appartenance au groupe CIDT varie en fonction de la valeur prise par certaines variables explicatives du modèle. À titre d’exemple, nous supposons une hétérogénéité dans la production entre les chefs instruits CIDT et les chefs non instruits encadrés par la CIDT.
3.2 Résultats et discussion
Les résultats des estimations sont présentés dans le tableau 2 pour la régression inverse semi-log et le tableau 3 pour la régression Cobb-Douglas.
Nos différents modèles permettent d’expliquer plus de 60 % de la production cotonnière. Ce coefficient de détermination suffisamment grand témoigne de la qualité de l’ajustement des estimations de l’équation de régression.
Le coefficient CIDT significatif et négatif dans nos estimations suggèrent que les exploitants encadrés par la CIDT ont produit moins de coton que ceux encadrés par les structures privées, toutes choses égales par ailleurs. Ces résultats sont conformes avec notre analyse descriptive. Les estimations suggèrent que les exploitants CIDT ont produit en moyenne près de 28 % de tonnes en moins que les exploitants non-CIDT. Ce résultat pourrait être le fait de la crise militaro-politique intervenue en septembre 2002 qui a entamé la crédibilité de la CIDT et favorisé le départ des meilleurs producteurs. En effet, la CIDT étant dans une situation de conjoncture défavorable, a accumulé de nombreux impayés auprès des producteurs de coton. Le non-paiement de leur revenu par la CIDT, leur société d’encadrement, a suscité un manque de confiance au niveau des producteurs de coton. Ainsi, ceux-ci ont décidé de choisir une société cotonnière qui leur semble crédible et capable de payer les revenus cotonniers dans un délai raisonnable. Cette nouvelle pratique commerciale dans la zone marginale du bassin cotonnier est à l’origine d’une concurrence entre sociétés cotonnières qui bénéficie aux producteurs de coton. Désormais les délais de paiement sont respectés et la qualité du coton-graine est revue au premier choix. Le comportement des producteurs de coton ne relève pas d’une stratégie opportuniste pour bénéficier d’un meilleur prix mais pour contourner les impayés et la relégation de leur coton-graine au deuxième choix qui de facto réduit leur revenu.
Pour les autres variables explicatives, on note que la production cotonnière augmente avec la superficie de terre allouée à la culture de coton et la dotation en capital. Les résultats de la forme Cobb-Douglas permettent de dire qu’une hausse de 1 % de la superficie de terre allouée à la production cotonnière augmente de 0,66 % la quantité de coton produite.
Concernant la dotation en capital, elle est favorable à la production. Les résultats du tableau 2 suggèrent que seuls les mieux dotés en capital produisent significativement plus que les faiblement dotés, tandis que les résultats de la forme Cobb-Douglas suggèrent que la hausse de la dotation en capital de 1 % augmente de 0,33 % la quantité de coton produite (tableau 3).
La taille du ménage, représentant la dotation travail dans notre analyse est par contre non significative. Les autres variables indépendantes suggèrent un faible niveau de production des propriétaires terriens par rapport aux autres exploitants. Nous notons également que les personnes nées hors du village concerné produisent significativement plus que les personnes nées dans le village. Quant à l’éducation et le sexe du chef de ménage, ils apparaissent non significatifs dans les estimations.
Enfin, notre analyse confirme des effets d’interaction entre l’encadrement CIDT et l’éducation, la propriété et le statut d’autochtone du chef d’exploitation. En effet, il ressort que les chefs instruits encadrés par la CIDT produisent significativement plus que les chefs CIDT non instruits. L’écart de production entre les chefs CIDT instruits et les chefs CIDT non instruits est de 39 %. De la même manière, il apparaît que les exploitants nés en dehors du village et encadrés par la CIDT produisent faiblement plus que les exploitants CIDT allogènes. L’écart de production entre les deux groupes est de 3 %. À l’inverse, les propriétaires encadrés par la CIDT produisent significativement moins que les exploitants CIDT qui ne sont pas propriétaires des terres qu’ils exploitent. Les propriétaires terriens CIDT ont produit 80 % en moins. Ces derniers points mettent l’accent sur le caractère marginal de la production cotonnière dans la zone. Les propriétaires terriens s’intéressent peu à la production, en dépit des revenus important générés par cette activité.
Dans notre base de données, la production est observée pour les agriculteurs qui ont cultivé l’année précédant l’enquête. Dans l’enquête, 64 agriculteurs ont pris la décision de ne pas cultiver l’année précédant l’enquête, pour diverses raisons (désaccord avec la structure d’encadrement, choix de ne pas cultiver durant cette année, manque de motivation, etc.). Certains exploitants pourraient prendre la décision de boycotter la culture d’une année à l’autre afin de quitter la structure d’encadrement CIDT pour l’encadrement privé. Nous ne disposons pas d’informations concrètes suffisantes sur les éléments motivant la décision de cultiver sur l’année. De plus, les exploitations de meilleure qualité pourraient être les plus courtisées par le privé. Nous faisons face alors à un problème de sélectivité qui peut biaiser les résultats de notre estimation. Les solutions proposées dans l’analyse économétrique sont variées : la méthode des variables instrumentales, la procédure en deux étapes de Heckman. Une solution consiste à s’appuyer sur les techniques d’appariement qui permettent de limiter les conséquences des biais de sélectivité liées à la décision de quitter l’encadrement CIDT.
4. Estimation par appariement sur le score de propension
4.1 Méthodologie
La méthode d’appariement est une méthode d’inférence causale non paramétrique qui connaît un intérêt grandissant dans les analyses statistique et économétrique. Cette méthode est utilisée notamment pour l’évaluation des projets, de politiques publiques, pour estimer l’effet d’un traitement. Elle permet de comparer directement les situations de deux groupes. L’objectif est d’évaluer l’effet causal de certains traitements sur les résultats vécus par les unités de la population d’intérêt. Son gain en popularité vient du fait que cette méthode permet de limiter les conséquences des biais de sélectivité liés à la décision de participer ou non au programme.
L’idée de l’appariement est simple : en comparant la façon dont les résultats diffèrent pour les personnes traitées ou participantes par rapport aux non participants similaires, il est possible d’estimer l’effet de l’intervention.
L’utilisation de la méthode se heurte à plusieurs difficultés. La première réside dans la définition ou la construction de participants similaires de façon à obtenir une estimation crédible de ce qui serait arrivé en absence du traitement ou de l’intervention. Il est important de noter que la difficulté vient du choix de caractéristiques observables. D’un côté, elles doivent permettre d’obtenir un R² élevé; de l’autre, ces explicatives ne doivent pas conduire à un R² trop élevé et expliquer toutes les variations.
Enfin, un autre inconvénient majeur de la méthode d’appariement est son incapacité à apparier les facteurs inobservables. L’analyse se base en conséquence sur la définition d’un groupe de contrôle dont les caractéristiques observables se rapprochent le plus possible de celles des bénéficiaires du programme. Notre présentation s’inspire largement des articles de Brodaty et al. (2007), Caliendo et Kopeinig (2008), Heinrich et al. (2010).
Dans notre analyse, l’incursion représente le traitement. Pour une exploitation traitée–c’est-à-dire qui fait le choix de changer pour une structure privée–la production est observée tandis que la production qui aurait été observée si l’exploitation n’avait pas été traitée (le contrefactuel) ne peut être mesurée. À l’inverse, pour une exploitation qui reste toujours encadrée par la CIDT (donc non traitée), on observe le résultat en absence de traitement, mais on ne sait pas ce qu’aurait donné la production si elle avait changé pour une structure d’encadrement privé.
Il s’agit pour nous de comparer les exploitations passant par le dispositif que l’on souhaite évaluer, donc l’incursion et le changement de structure d’encadrement, et les exploitations n’y passant pas. La procédure consiste à construire une population de non traitées identique à la population de traitées de sorte à ce que le traitement devienne une variable aléatoire.
Supposons que le traitement T représente le changement pour le privé, et Y1i la production de l’exploitation i en cas de traitement et Y0i, la production de l’exploitation i en l’absence de traitement. Le tableau 4 présente l’échantillon suivant les différents scénarios possibles.
L’effet du traitement est mesuré par la différence avant et après le traitement. Cependant, seul un des résultats potentiel est observé à la fois pour chaque type de sous-population. Le résultat non observé est appelé le contrefactuel.
L’évaluation de l’effet du traitement consiste en :
l’estimation de l’effet moyen du traitement en faisant la moyenne de l’impact sur l’ensemble de la population. Ce paramètre est appelé l’effet moyen du traitement dans la population (Average Treatment EffectATE). ATE= E(Y1 – Y0). La difficulté ici vient du fait que E(Y1|T = 0) et E(Y0|T = 1) doivent être construits.
-
l’estimation de l’effet moyen du traitement sur les traités (Average Treatment Effect on the Treated ou ATT) qui mesure l’impact sur les exploitations traitées.
ATT= E(Y1 – Y0 |T = 1) = E(Y1|T = 1) – E(Y0|T = 1)
Le second terme représente la production moyenne que des exploitations traitées (qui changent pour le privé) auraient obtenue si elles étaient restées à la CIDT. Nous observons uniquement E(Y0|T = 0), la valeur de Y0 pour les non traités.
On calcule : Δ = E(Y1|T = 1) – E(Y0|T = 0) = E(Y1|T = 1) – E(Y0|T = 1) + E(Y0|T = 1) – E(Y0|T = 0) = ATT + E(Y0|T = 1) – E(Y0|T = 0) = ATT + biais
Alors ATT = Δ – biais
Le biais ici représente le biais de sélection. Il vient du fait que la situation moyenne des populations traitées et non traitées ne sont pas identiques. Sous l’hypothèse d’appariement, le biais est nul et Δ est observable.
En effet, l’hypothèse des méthodes d’appariement est de supposer que conditionnellement à un ensemble de caractéristiques X, le fait d’être traité donc de changer pour la structure privée est aléatoire, donc indépendant de la variable de résultat ou de la production. Il s’agit ici de l’hypothèse d’indépendance conditionnelle. À cette hypothèse s’ajoute celle du support commun qui implique que pour chaque unité traitée, il existe des unités de contrôle avec les mêmes variables observées. Ce qui implique que E(Y0|T = 1, X) – E(Y0|T = 0, X) = 0. L’effet du traitement sur les traités devient E(Y1|T = 1, X) – E(Y0|T = 0, X).
Plusieurs méthodes d’appariement sont envisageables pour la construction d’un groupe de contrôle (contrefactuel) qui conditionnellement aux caractéristiques X est comparable au groupe des traités.
La procédure proposée par Rosenbaum et Rubin (1983) consiste à estimer un score de propension par un modèle de probabilité standard tel que le modèle Logit (le plus usité) ou le modèle Probit. Ce dernier concerne la probabilité de changer de structure d’encadrement conditionnellement aux caractéristiques X : Pr (Traitement) = f(X), la fonction de densité de probabilité.
Par la suite, différents algorithmes peuvent être utilisés pour choisir le ou les individus qui ont des scores de propension proches des exploitations « traitées ». Il faut toutefois noter que le choix de l’algorithme implique un compromis biais/efficacité (Caliendo et Kopeining, 2005; Heinrich et al. 2010). À titre d’exemples :
la méthode des plus proches voisins (k nearest neighbor matching ou NN) est généralement reconnue comme la plus simple dans l’application. Toutefois, la principale limite vient du fait qu’elle peut effectuer l’appariement entre deux individus avec une distance assez importante en termes de score de propension. Par conséquent l’hypothèse de support commun pourrait être violée, ce qui conduirait à un mauvais appariement. Pour remédier à cette limite, on peut imposer une distance maximale entre les scores de propension, effectuer un tirage avec remise ou retenir plusieurs voisins. Deux variantes sont généralement utilisées pour cette méthode. La première avec remplacement permet à un membre du groupe de comparaison d’être apparié plus d’une fois alors que la seconde variante sans remplacement n’autorise qu’un seul appariement.
l’appariement avec fonction noyau (kernel matching) proposé par Heckman et al. (1998) utilise les moyennes pondérées de toutes les exploitations dans le groupe de contrôle pour construire le résultat contrefactuel. Les poids attribués dépendent de la distance entre chaque exploitation du groupe de contrôle et l’observation de l’exploitation du groupe de traités pour laquelle le contrefactuel est estimé. L’avantage majeur dans ce cas est la variance plus faible due au plus grand nombre d’informations utilisées. L’inconvénient est que certaines observations utilisées peuvent être faiblement appariées. L’imposition de la condition du support commun est d’une importance majeure pour cette approche.
Nous estimons dans une première étape la probabilité de changer de structure d’encadrement suivant un ensemble de critères. Nous retenons comme variables explicatives : la superficie de terre cultivée (les moins de 3 hectares, de 3-5 hectares, 6-8 hectares et plus de 9 hectares), la taille de l’exploitation, une variable dichotomique pour l’instruction du chef, une variable dichotomique pour le statut de propriété, une variable dichotomique pour le statut d’autochtone, la dotation en capital de l’exploitation et une variable dichotomique pour l’accès à une source d’approvisionnement en eau potable dans l’exploitation.
Cette estimation permet de connaître pour chacune des exploitations constituant l’échantillon la probabilité de changer de structure encadrante. Nous obtenons en conséquence un score permettant d’apparier les exploitations. Avant de procéder à l’appariement, nous vérifions la distribution du score de propension, afin de s’assurer qu’il sera possible pour quasiment toutes les exploitations traitées de trouver une exploitation non traitée avec un score de propension proche. Nous construisons dans une seconde étape le groupe de contrôle. Nous utilisons pour cela la méthode des k plus proches voisins (k exploitations « non traitées » avec le score de propension le plus proche de l’exploitation « traitée »). Puisqu’il est de commune habitude d’utiliser plusieurs méthodes afin de s’assurer la robustesse des résultats, nous utilisons également différents estimateurs à noyau. Nous vérifions par la suite l’équilibre de la distribution des X entre les populations traitées et non traitées. Il s’agit de s’assurer que l’appariement conduit à une population de contrôle semblable à celle des traités. Le balancing test est un test d’égalité des moyennes des caractéristiques X des deux sous-populations. Enfin, nous évaluons l’effet de l’incursion sur la production de coton en calculant la moyenne empirique des écarts entre chaque exploitation « traitée » et le contrefactuel calculé.
La commande psmatch2 sous Stata permet de faire les comparaisons des résultats entre le groupe de traitement (qui change pour la structure d’encadrement privé) et le groupe de contrôle (Edwin et Sianesi, 2003).
4.2 Résultats
Les résultats de l’estimation Logit pour la probabilité de changer de structure d’encadrement sont présentés dans le tableau 5. Le choix des variables explicatives pour l’estimation Logit demande une attention particulière. Ces variables doivent, d’une part, influencer la probabilité de changer ou non de structure; et, d’autre part, respecter l’hypothèse d’équilibre des variables explicatives. Les variables explicatives de notre estimation permettent d’obtenir les meilleurs résultats possibles, notamment concernant la comparaison de la distribution du score de propension et de la distribution des variables dans les sous-populations. En somme, elles permettent d’obtenir le R² le plus élevé et le meilleur appariement. À tire d’exemple, nous supposons que les propriétaires terriens, les grosses exploitations, les exploitations les mieux dotées sont les plus susceptibles de changer de structure parce qu’elles peuvent être la cible privilégiée des opérateurs du privé. D’un autre côté, elles peuvent être celles qui ont un plus faible intérêt à changer pour les opérateurs privés, si elles reçoivent un meilleur traitement de l’opérateur public, du fait de l’importance de leurs activités.
Bien que l’intérêt de notre travail ne porte pas sur cette analyse, les résultats de l’estimation suggèrent que la probabilité de changer de structure d’encadrement est plus forte pour les exploitations de 3 à 5 hectares par rapport aux plus petites exploitations. On note également que cette probabilité augmente avec la taille de l’exploitation et qu’elle est plus forte pour les exploitations ne disposant pas d’une source d’approvisionnement en eau potable. On note enfin que les exploitations bien dotées en capital ont une plus forte probabilité de changer de structure par rapport aux exploitations les mieux dotées en capital.
La régression Logit permet d’obtenir les scores de propension pour les deux groupes, dont la distribution dans la région des supports communs est représentée dans le graphique 1. Cette représentation permet de conclure qu’il sera possible pour quasiment toutes les exploitations de trouver un contrefactuel avec un score de propension proche.
Afin de vérifier que les caractéristiques individuelles moyennes ne diffèrent pas trop entre le groupe de contrôle et le groupe de traitement, un test de comparaison de la distribution des variables dans les deux sous-populations (balancing test) est effectué[7]. Il s’avère que le score de propension estimé équilibre la distribution des variables affectant la probabilité de changer de structure d’encadrement. Ces résultats sont également confirmés par ceux du tableau 6, qui montrent l’équilibre des variables avant et après l’appariement. En effet, la faible valeur du pseudo R² et la non-significativité du test du ratio de vraisemblance (LR test du Chi-carré) renforcent l’hypothèse d’égalité dans la distribution des variables après l’appariement.
Enfin, l’effet de l’incursion du privé est obtenu en calculant la moyenne empirique des écarts entre chaque exploitation dans le groupe traité et le contrefactuel calculé. Les résultats présentés dans le tableau 7 suggèrent que les exploitations ayant quitté la CIDT produisent en moyenne plus que les exploitations CIDT. La différence est de 2454 tonnes environ avec la méthode du proche voisin et 3100 environ avec la méthode du noyau.
Conclusion
La libéralisation de la filière cotonnière entreprise en Côte d’Ivoire a abouti en septembre 1998 à la dislocation du bassin cotonnier et à la privatisation de la structure étatique. Au début, cette privatisation a défini des zones exclusives d’intervention de chaque société cotonnière acquéreuse, y compris la structure publique qui a été confinée dans la zone marginale de production cotonnière. Aujourd’hui, on assiste au non-respect des zones d’intervention attribuées aux sociétés cotonnières. En outre, certains producteurs de coton refusent l’aspect de la nouvelle réforme qui préconise le retour aux zones exclusives ou de limitation de l’espace réservé aux structures cotonnières. Cet article porte sur l’évaluation de l’effet de l’incursion des structures privées d’encadrement dans la zone marginale de production cotonnière, autrefois exclusivement détenue par la CIDT. La thématique abordée est d’actualité pour le secteur cotonnier en Côte d’Ivoire. Ce travail s’appuie sur une base de données originale. La méthodologie consiste, dans un premier temps, à l’application de la régression par MCO. Par la suite, le risque d’autosélection de l’échantillon nous a conduit vers les méthodes d’analyse non paramétriques et la méthode d’appariement avec score de propension.
Les résultats suggèrent que l’incursion des sociétés cotonnières privées dans la zone marginale de production cotonnière est favorable à la production cotonnière puisque les exploitations encadrées par les nouvelles structures produisent significativement plus que les autres. Cela vient peut-être du fait que la superficie des non-CIDT est plus importante que celle des CIDT. Cela implique que les opérateurs privés tendent à solliciter les grandes exploitations. Notons que cette incursion peut être favorable à la production par le biais de la diversité dans la qualité et dans l’offre de vulgarisation, mais aussi par les prix concurrentiels qui peuvent inciter les exploitants à accroître la production. Compte tenu de l’importance de la production cotonnière pour la lutte contre la pauvreté en milieu rural, le gouvernement ivoirien pourrait repenser la structuration des blocs et favoriser une autre privatisation du secteur qui encouragerait la concurrence entre toutes les structures d’encadrements. Il y va de la relance de l’activité économique dans la zone, de la lutte contre la pauvreté en milieu rural et du bien-être des populations.
Notre analyse fera l’objet d’extension et de nouvelles enquêtes, afin de tenir compte de la qualité des services fournis par les structures d’encadrement et des motivations des exploitants quant à la décision de changer de structure.
La libre concurrence entre ces structures pourrait, d’une part favoriser la hausse des prix reçus par les agriculteurs et la sécurité alimentaire et d’autre part, affecter la qualité de la production de coton. Ces éléments constituent de nouvelles pistes pour des travaux futurs.
Cet article ouvre de nouvelles perspectives de recherche sur la libéralisation et la privatisation du secteur agricole dans les pays d’Afrique subsaharienne. Il présente un cadre d’analyse qui peut être adapté à l’évaluation du système de marché, de la libéralisation et de la privatisation dans différents secteurs, notamment dans l’agriculture.
Appendices
Annexe
Remerciements
L’article est financé par le Fonds national de la recherche du Luxembourg dans le cadre du programme de mobilité et d’accueil des chercheurs au Luxembourg (AM2c). Les auteurs remercient l’organisme. Les auteurs remercient également les participants au séminaire du CEPS/INSTEAD, Alessio Fusco chercheur au CEPS/INSTEAD, ainsi que les arbitres et les éditeurs de la revue pour leurs suggestions constructives.
Notes
-
[1]
L’égrenage est la première étape de la transformation du coton. Elle consiste à séparer la fibre de la graine de coton.
-
[2]
Les institutions annexes du secteur cotonnier sont le FIRCA (Fonds Interprofessionnel pour la Recherche et le Conseil Agricole), le CNRA (Centre National de Recherche Agronomique), l’ANADER (Agence Nationale d’Appui au Développement Rural) et l’ACE (Audit Control Expertise). Le FIRCA a pour rôle le financement des programmes de recherche agronomiques. Il intervient de même dans le financement du conseil agricole et l’appui aux organisations professionnelles agricoles. L’intervention du CNRA se situe au niveau de la sélection des variétés cotonnières performantes. Cette structure participe à la mise au point des itinéraires techniques en vue de répondre aux réalités locales et aux exigences du marché international de la fibre. La mission de l’ANADER est l’encadrement et la vulgarisation agricole en milieu rural. Dans le secteur cotonnier, l’ACE supporte le crédit et contrôle la qualité et le poids.
-
[3]
Cette zone est définie comme marginale à cause de la faible quantité de production et de la modeste taille des exploitations agricoles.
-
[4]
Ces données sont disponibles sur le site Internet de l’Association interprofessionnelle de la filière coton de Côte d’Ivoire (INTERCOTON), www.intercoton.org
-
[5]
Les détails concernant l’application sont présentés ici : Statistical Analyses using Stata. UCLA: Statistical Consulting Group. From http://www.ats.ucla.edu/stat/stata/whatstat/whatstat.htm (consulté le 12 novembre 2012).
-
[6]
Nous avons effectué différentes estimations infructueuses, pour le semi-log inversé, en considérant la valeur du score de capital pour l’exploitation, la forme quadratique de ce score et la forme cubique. Nous avons finalement opté pour les quintiles. Il faut rajouter que la transformation logarithmique du capital semblait la plus appropriée pour l’estimation. Toutefois, nous voulions préserver la différence entre la forme Cobb Douglas et la forme semi-log inversée (les deux formes utilisées pour notre analyse).
-
[7]
Il s’agit de test d’égalité des moyennes consistant à comparer les moyennes des caractéristiques des deux populations traité et de contrôle. Les résultats ne sont pas présentés ici, mais disponibles sur demande.
Bibliographie
- Alene, A. D. et V.M. Manyong (2007), « The effects of education on agricultural productivity under traditional and improved technology in northern Nigeria: an endogenous switching regression analysis », Empirical Economics, 32(1) : 141-159.
- Baffes, J. (2001), « Commodity market reforms: lessons of two decades », in Akiyama, T., J. Baffes, D. Larson et P. Varangis, Commodity Market Reforms: Lessons from Two Decades, chapitre 5, Washington DC, World Bank.
- Bawa, D. B., A. O. Ani et H. S. Nuhu (2009), « Perception of Privatization and Commercialization of Agricultural Extension Services in Adamawa State, Nigeria », American-Eurasian Journal of Sustainable Agriculture 3(3) : 375-380.
- Birkhaeuser, D., R.E. Evenson et F. Gershon (1991), « The Economic Impact of Agricultural Extension: A Review », Economic Development and Cultural Change, 39(3) : 607-650.
- Brodaty, T., B. Crépon et D. Fougère (2007), « Les méthodes micro-économétriques d’évaluation et leurs applications aux politiques actives de l’emploi », Économie & prévision, 1(177) : 93-118.
- Caliendo, M. et S. Kopeinig (2008), « Some practical guidance for the implementation of propensity score matching », Journal of Economic Surveys, 22(1) : 31-72.
- Chambers, R. G. (1988), Applied Production Analysis: A Dual Approach (5e éd.). Cambridge, UK Cambidge University Press.
- Chavane, B. (1996), Bilan et perspectives des privatisations en Afrique francophone: une étape de la démocratisation?, Bureau international du Travail. Genève.
- DSRP (2009), Stratégie de relance du développement et de la réduction de la pauvreté, République de Côte d’Ivoire. Abidjan, Republique de Côte d’Ivoire, ministère d’État, ministère du Plan et du Développement.
- Edwin, L. et B. Sianesi (2003), « PSMATCH2: Stata module to perform full Mahalanobis and propensity score matching, common support graphing, and covariate imbalance testing [Statistical Software Components] », Boston College Department of Economics.
- Evenson, R. E. (2001), « Economic impacts of agricultural research and extension », in B. L. Gardner et G. C. Rausser (éds.), Handbook of Agricultural Economics, vol. 1, no 1, p. 573-628 : Elsevier.
- Filmer, D. et L. H. Pritchett (2001), « Estimating Wealth Effects without Expenditure Data-or Tears: An Application to Educational Enrollments in States of India », Demography, 38(1) : 115-132.
- Flachaire, E. (2000), « Les méthodes du bootstrap dans les modèles de régression », Économieet prévision, 142 (1) : 183-194.
- Gibbon, P. (1999), « Free Competition Without Sustainable Development? Tanzanian Cotton Sector Liberalisation », Journal of Development Studies, 36(1) : 128.
- Griffin, R. C., J. M. Montgomery et M.E. Rister (1987), « Selecting Functionnal Form in Production FUNCTION Analysis », Western Journal of Agricultural Economics, 12(02) : 216-227.
- Heckman, J. J., H. Ichimura et P Todd (1998), « Matching as an Econometric Evaluation Estimator », Review of Economic Studies, 65(2) : 261-294.
- Heinrich, C., A. Maffioli et G. Vazque (2010), « A Primer Applying Propensity-Score Matching », Inter-American Development Bank Technical Notes, n° IDB-TN-161.
- Kouamé, S. (2006), « Plan de sortie de crise : actions de relance et développement durable de la production cotonnière en Côte d’Ivoire », Étude d’INTERCOTON, consulté le 27 mars 2009, http://www.intercoton.org
- Lockheed, M. E. T., J. T. Dean et L.J. Lawrence (1980), « Farmer Education and Farm Efficiency: A Survey », Economic Development and Cultural Change, 29(1) : 37-76.
- MacKinnon, J. G. (2006), « Bootstrap Methods in Econometrics », The Economic Record, 82 (numéro spécial) : 2-18.
- Meinzen-Dick, R., A. Quisumbing, J. Behrman, P. Biermayr-Jenzano, V. Wilde, M Noordelooset al. (2010), Engendering Agricultural Research, International Food Policy Research Institute (IFPRI).
- Onyenkazi, H. A. et A.K. Gana (2009), « Comparative Assessment of Public and Private Extension Programmes in Etche Local Government Area of Rivers State of Nigeria », African Journal of General Agriculture, 5(2) : 79-83.
- Owens, T., J. Hoddinott et B. Kinsey (2003), « The Impact of Agricultural Extension on Farm Production in Resettlement Areas of Zimbabwe », Economic Development and Cultural Change, 51(2) : 337-357.
- Poi, B. P. (2004), « From the Help Desk: Some Bootstrapping Techniques », The Stata Journal, 4(3) : 312–328.
- Poulton, C., P. Gibbon, B. Hanyani-Mlambo, J. Kydd, W. Maro, M.N. Larsen, A. Osorio, D. Tschirley et B. Zulu (2004), « Competition and Coordination in Liberalized African Cotton Market Systems », World Development, 32(3) : 519-536.
- Rosenbaum, P. R. et D.B. Rubin (1983), « The Central Role of the Propensity Score in Observational Studies for Causal Effects », Biometrika, 70(1) : 41-55.
- Sawilowsky, S., (2002), « Fermat, Schubert, Einstein, and Behrens-Fisher, The Probable Difference between Two Means when s12≠s22 », Journal of Applied Modern Statistical Methods, 1(2) : 461–472.
- Shepherd, A. et S. Farolfi (1999), « Export Crop Liberalization in Africa. A Review », FAO Agricultural Services Bulletin, Rome, 100 p.
- Vyas, S. et L. Kumaranayake (2006), « Constructing Socio-economic Status Indices: How to use Principal Components Analysis », Health Policy and Planning, 21(6) : 459-468.