Abstracts
Résumé
Dans la première partie du Treatise on Money, Keynes se penche sur la nature de la monnaie en développant une approche que l’on peut qualifier « d’institutionnaliste ». Celle-ci inspire actuellement un foisonnement de travaux hétérodoxes sur la monnaie comme institution économique (Aglietta et Cartelier, 1999 ; Smithin, 2000). Nous souhaitons montrer qu’une théorie sociohistorique de l’institution monétaire peut puiser certains éléments conceptuels fondamentaux dans le Treatise on Money. Celui-ci contient des matériaux essentiels à la reconstruction de la sociologie de l’argent à partir d’une théorie de la monnaie comme unité de compte/moyen de paiement et d’une analyse du mode de production sociale de la monnaie-bancaire en tant qu’institution économique typiquement moderne.
Abstract
In the first part of the Treatise, Keynes develops an approach qualified as institutionalist to study the nature of money. This approach has inspired an important body of contemporary heterodox work on money as economic institution (Aglietta et Cartelier, 1999; Smithin, 2000). We wish to point out that a sociohistorical theory of money as an institution can find in the Treatise certain fundamental concepts. The Treatise contains material essential to the reconstruction of a sociology of money based on a theory of money as a unit of account and means of payment and for an analysis of the social mode of production of bank money as an economic institution typical of modernity.
Article body
Whether power to command the industry of others be not real wealth? And whether money be not in truth tickets or tokens for conveying and recording such power, and whether it be of great consequence what materials the tickets are made of?
Berkeley, The Querist, 1735
Introduction
La science économique, et avant elle l’économie politique, conceptualise la monnaie par ses fonctions : « money is what money does ». Pour la grande majorité des économistes, la monnaie est intermédiaire des échanges, unité de compte et moyen de thésaurisation. Précisons toutefois qu’elle est unité de compte et moyen de thésaurisation pour mieux remplir son rôle d’intermédiaire des échanges (ou de moyen de circulation) dans le cadre de la structure de l’échange marchand. On postule ainsi la préexistence historique et surtout la précédence logique du marché et du sujet marchand sur la monnaie et le sujet monétaire. La monnaie est dès lors conceptualisée par le détour d’une « fable du troc » qui la réduit à une convention permettant aux sujets marchands d’échapper aux dilemmes que soulève la double coïncidence des besoins dans l’échange. La monnaie existe pour faciliter les échanges marchands, elle a une existence purement conventionnelle au sens où les sujets économiques réussissent par tâtonnement, par essais et erreurs, à se donner une médiation collective de leurs pratiques interindividuelles.
On peut opposer à la définition conventionnelle de la monnaie comme intermédiaire des échanges une définition institutionnelle de la monnaie comme unité de compte qui se matérialise ensuite comme moyen de paiement :
Money-of-account, namely that in which Debts and Prices and General Purchasing Power are expressed, is the primary concept of a Theory of Money. (...) Money itself, namely that by delivery of which debts-contracts and price-contracts are discharged, and in the shape of which a store of General Purchasing Power is held, derives its character from its relationship to the Money-of-Account, since the debts and prices must first have been expressed in terms of the latter.
Keynes, 1930, t. 1 : 3
C’est la voie empruntée par Keynes dans le Treatise on Money, et, depuis, par toute une tradition d’analyse hétérodoxe en économie politique. Cette définition continue d’alimenter un foisonnement de recherches contemporaines, dont font partie les travaux sur la monnaie endogène[1] et sur la monnaie comme institution de totalisation sociale[2]. Une telle approche a aussi été celle du sociologue Simmel qui, dans sa Philosophie de l’argent, définit la monnaie comme unité de compte commune et principe de construction de rapports sociaux dans l’horizon de la quantité. Plus près de nous, Michel Freitag nous propose une définition sociologique de la monnaie[3] très proche de celle que développe Keynes dans le Treatise :
La monnaie n’est donc pas d’abord un « intermédiaire généralisé des échanges » qui circule dans la pure horizontalité des circuits d’échange comme l’huile dans un moteur. Elle est essentiellement une dimension verticale, politique, de la structure dans laquelle consiste un « marché généralisé » (...). Elle est comme un tribunal invisible, un véritable acte du pouvoir dont elle porte la marque, et cette marque seule en elle est vraiment efficace, qu’elle soit frappée sur l’or et l’argent ou imprimée sur du papier. C’est la commune dépendance de tous vis-à-vis du pouvoir qui affranchit chaque personne de sa dépendance vis-à-vis d’une autre dans l’échange proprement économique parvenu à maturité dans une économie monétarisée.
Freitag, 1991 : 47
Un des objectifs de cet article est d’approfondir l’analyse de la monnaie comme institution sociale à partir des travaux de Keynes. Nous souhaitons montrer qu’un des principaux intérêts du travail de Keynes dans le premier chapitre du Treatise est la façon dont est conceptualisée cette nature institutionnelle de la monnaie en tant que rapport entre unité de compte et moyen de paiement. La définition keynésienne de la monnaie s’apparente à la définition sociologique de l’institution par l’accent mis sur l’objectivité sociale de la monnaie, sa verticalité par rapport aux pratiques subjectives qu’elle régit. Cette objectivité résiderait dans la tension entre un moment idéel et formel (l’unité de compte, principe général de production de rapports sociaux par l’orientation normative et significative de la pratique subjective), et un moment matériel et concret (la monnaie de paiement) qui, par la sanction objective qu’elle exerce, reproduit la structure sociale idéelle (le système des comptes). De plus, l’objectivité de la monnaie n’est pas une donne naturelle à la société marchande, elle est un produit historique et résulte d’un rapport de domination politique qui impose cette forme spécifique de médiation des rapports sociaux dans la société, et ce à l’encontre d’autres modalités d’échanges sociaux. Cette dépendance du pouvoir de la monnaie sur la capacité de domination politique de l’État signifie pour Keynes que la forme monétaire connaît une évolution historique, qu’elle fait l’objet d’un processus d’institutionnalisation.
Le raisonnement de Keynes est d’actualité, entre autre, parce qu’il ouvre cet espace conceptuel interdisciplinaire qui nous permet d’aborder la monnaie comme un être sociohistorique et non pas seulement économique, comme une institution encastrée dans une structure sociale plus large, plutôt qu’une simple convention privée. Nous croyons que cela permet de penser la monnaie comme phénomène sociologique sans perdre de vue ses caractéristiques et déterminations proprement économiques. Il s’agit de comprendre l’institution monétaire par le biais d’une conception plus générale de l’institution sociale et il faut pouvoir rendre compte de la spécificité de la monnaie en tant que médiation principale et fondatrice de l’agir économique moderne. Bref, il s’agit de contribuer à l’ouverture d’un espace d’analyse et de discussion interdisciplinaire entre sociologie de la monnaie et économie monétaire hétérodoxe, sans fondre l’une dans l’autre.
Notre analyse de la nature institutionnelle de la monnaie suit de près l’argument de Keynes dans le premier chapitre du Treatise, et cela commande l’organisation générale de notre texte. Deux premières parties portent sur la définition formelle et logique de la monnaie comme unité de compte et ensuite comme moyen de paiement : dans ces deux parties, le raisonnement de Keynes est immédiatement confronté à une théorie plus générale de l’institution sociale élaborée par Max Weber et Michel Freitag. Ensuite se pose la question du rapport de l’unité de compte au moyen de paiement : pour Keynes, ceux-ci doivent être saisis non pas dans leur opposition, mais comme les deux dimensions constitutives de l’institution monétaire; cette unité sera comprise à l’aide du concept de monnayage développé par Jean Cartelier. Comme dans le premier chapitre du Treatise Keynes ne s’en tient pas qu’à une définition formelle de la monnaie, mais l’inscrit dans une analyse plus globale de l’institutionnalisation historique des formes de la monnaie et des systèmes monétaires, institutionnalisation qui se déploie dans l’espace du rapport entre l’économique et le politique, une troisième et dernière section explorera cette typologie des formes de la monnaie et des systèmes monétaires.
1. Une définition formelle de l’institution monétaire
Le point de départ de la théorie de la monnaie chez Keynes est l’unité de compte. En ce sens l’institution monétaire se définit comme une médiation sociale qui préside à la production de rapports sociaux mettant en jeu des quantités de droits sur la richesse sociale qui se présentent objectivement comme des prix ou des dettes. Dans les deux cas, ces rapports impliquent explicitement l’acte de paiement, un transfert socialement légitime d’une quantité d’unité de compte, comme moment final du rapport social.
L’institution monétaire en tant qu’unité de compte, qui est pour Keynes son premier concept, est le mode d’expression et de régulation de ces rapports sociaux en tant que transaction virtuelle ou en tant que dette « reconnue », et elle n’apparaît qu’avec ceux-ci :
A Money-of Account comes into existence along with Debts, which are contracts for deferred payment, and Price-Lists, which are offers of contracts for sale or purchase.
Keynes, 1930, t. 1 : 3
Il est important de souligner que, pour Keynes, la monnaie apparaît socialement dans l’acte de constitution de listes de prix ou dans la production de « dettes ». Il fait de ces deux types de pratiques sociales des vecteurs de création de la monnaie comme institution. Sociologiquement, cette monnaie en tant qu’unité de compte est une « médiation objective de la pratique sociale » au sens où elle se reproduit par la régulation sociale qu’elle exerce sur ces deux types de pratiques – production de dette et de liste de prix – et qui se présente comme une orientation significative de la pratique (Freitag, 1986). Cette orientation est institutionnelle parce qu’elle est abstraite, formelle, objective et extérieure au contenu particulier et contingent de la pratique de base qu’elle régit (le pourquoi de la dette, la valeur d’usage du bien ou du service, qui ont un prix). Elle y préexiste, la met en forme et la définit (Keynes parle de l’unité de compte comme d’une « description »). Or, dans ce travail de définition et d’expression monétaire des rapports sociaux, c’est la médiation même (et toute la superstructure institutionnelle qu’elle implique) qui se trouve à être reproduite et légitimée par le biais de la pratique qu’elle met ainsi en forme, et ce, sans que cette reproduction soit une exigence ou un enjeu spécifique et explicite de la pratique régie (elle peut le devenir en cas de contestation de l’unité de compte, ce qui implique l’émergence d’un conflit institutionnalisé).
La monnaie est aussi de nature institutionnelle parce que son effectivité repose sur l’existence d’une sanction conditionnelle explicite exercée par une structure juridico-répressive légitime. Bref, la monnaie est souveraine parce qu’elle est une production politique :
Now by the mention of contracts and offers, we have introduced Law or Custom, by which they are enforceable; that is to say, we have introduced the State or the Community.
Keynes, 1930, t. 1 : 4
Pour Keynes, cette nature politique de la monnaie en tant qu’unité de compte se manifeste premièrement par son existence comme expression des dettes et des prix. Pour lui, cela implique que la monnaie appartient à une sphère de la pratique sociale faisant l’objet d’une régulation politique (au sens large), car elle se rapporte et n’existe qu’à travers des objets (les prix et les dettes) qui eux-mêmes n’existent que par le biais de médiations juridiques, soit le contrat, la propriété et l’obligation juridique. Sans ces médiations, la monnaie en tant qu’unité de compte n’aurait rien à exprimer. Keynes insiste en plus sur la détermination politique de l’unité de compte. Pour lui, celle-ci n’a rien d’une convention marchande résultant du choix d’un médium des échanges appropriés, ce qui appartient à ce que Keynes nomme « l’âge du troc » et non pas l’âge de la monnaie.
L’unité de compte est ainsi une abstraction produite par la communauté ou l’État pour réguler des rapports sociaux. Le moment fondamental dans la production de cette institution est la désignation d’une unité abstraite qui peut servir de médiation à la constitution de listes de prix ou de dettes. Keynes souligne la non importance de la matérialisation de l’unité de compte sous une forme définitive au moment de sa désignation. C’est là la dernière caractéristique économique de l’unité de compte : elle est arbitraire par rapport au médium de paiement. Cela implique que la désignation d’un moyen de paiement socialement légitime relève d’une logique distincte de celle de l’établissement de l’unité de compte. Cela implique inversement que la pérennité de l’unité de compte ne renvoie pas à l’existence ou non de pièces frappées ou de billets imprimés, mais renvoie plutôt à sa propre capacité de s’imposer comme médiation institutionnelle des pratiques sociales que sont la formation de prix et la production de dettes. C’est une question qui relève à la fois des habitudes communautaires et d’un rapport de force politico-économique entre les sujets sociaux et l’instance de régulation politique.
Avant de passer à l’analyse de la seconde dimension de l’institution monétaire chez Keynes, nous souhaitons présenter les conséquences de cette définition première de la monnaie en tant qu’unité de compte pour une sociologie de l’institution monétaire. Pour ce faire, nous allons puiser chez les classiques, Weber et Simmel, quelques constatations sociologiques sur la nature de la monnaie qui font écho à la théorie keynésienne.
Comme le souligne Weber dans Économie et société (1921-22 : 85), d’un point de vue sociologique, l’unité de compte exprime la normativité propre à la sphère économique dans les sociétés modernes[4], et ce, de deux manières complémentaires. L’unité des comptes est le principe normatif constitutif de l’agir économique. C’est une norme ayant pour prescription : a) que les relations économiques se nouent et se dénouent en tant que rapports s’exprimant comme des grandeurs ou des quantités et b) que soit acceptée l’effectivité de la quantification (les relations formelles entre quantités) comme mode de structuration et de restructuration de ces relations (ibid. : 80)[5].
L’unité des comptes implique que les grandeurs privées soient commensurables. L’unité dans laquelle s’expriment les comptes est commune et a priori par rapport aux interactions économiques[6]. Celle-ci forme l’horizon objectif à l’intérieur duquel les individus vont tisser leurs rapports économiques. Le deuxième moment conceptuel de la monnaie selon Keynes est celui où elle se présente comme moyen de paiement, ce dans quoi ou par quoi se matérialise l’unité de compte, « ce par quoi les contrats de dette et les contrats de prix sont acquittés » (Keynes, 1930, t. 1 : 3).
Pour comprendre cette deuxième dimension de l’institution monétaire, il faut partir du principe de l’arbitraire de la forme du moyen de paiement par rapport à l’unité de compte tout en se rappelant que le moyen de paiement n’existe que dans son rapport à l’unité de compte. Le lien entre unité de compte et moyen de paiement se traduit dans un rapport synthétique entre deux pôles sans que l’un puisse se fondre dans l’autre. Cette vision keynésienne de la monnaie permet d’échapper au fétichisme de la monnaie marchandise qui a hanté et qui hante encore l’économie monétaire quand elle postule que le concept premier de la monnaie est une unité non médiatisée – indifférenciée – de ses deux pôles fondus dans une pièce métallique. Ce fétichisme se présente sous la forme de trois thèses que Keynes critique implicitement ou explicitement.
Pour Keynes, l’institution monétaire existe dès que l’unité de compte agit comme médiation sociale par laquelle s’expriment des listes de prix et des dettes. La pièce de monnaie frappée n’est pas pour lui l’innovation sociale la plus importante dans le processus de genèse de la monnaie (ibid. : 11), elle n’est qu’une conséquence de l’existence de l’unité de compte et de la désignation objective (communautaire ou étatique) d’un ou de plusieurs moyens de paiement. La pièce de monnaie frappée n’est donc pas la manifestation première et originelle de la monnaie. C’est en prenant cette manifestation historique comme point de départ d’une théorie de la monnaie que l’économie politique adopte la figure fugitive que fut la monnaie marchandise comme figure universelle de la monnaie.
La deuxième thèse que critique explicitement Keynes est celle voulant que la monnaie soit une marchandise sélectionnée par des sujets économiques pour faciliter leurs échanges. En tant que valeur d’usage, cette marchandise combine les propriétés d’unité de compte et de moyen de circulation. Ici, la critique de Keynes est subtile puisqu’elle se développe sur deux plans distincts. Keynes nie toute possibilité d’une production de la forme sociale monnaie endogène à un rapport d’échange : c’est la communauté ou l’État qui fixe a priori l’unité de compte sans directement se soucier de la forme que prendront les moyens de paiement[7]. Ce sont ensuite ces mêmes instances qui déterminent la chose qui correspond à l’unité. Mais, en même temps, Keynes évoque la possibilité d’une production non politique d’un moyen de paiement qui fera l’objet d’une reconnaissance, d’une légitimation, a posteriori. L’arbitraire du sujet économique par rapport à la communauté ou au politique se déploie donc dans le choix des moyens de paiement correspondant aux dettes ou aux prix exprimés en unités de compte. C’est justement par cette voie que sera rendue possible la production sociale de la monnaie de crédit, seconde innovation institutionnelle fondamentale au développement historique de la monnaie selon Keynes. La position de Keynes se situe donc spécifiquement à l’encontre de la production endogène d’un équivalent général dans le sens marxien du terme, tout en laissant place à l’arbitraire marchand dans la production de nouveaux moyens de paiement ou dans le choix d’une unité de compte appropriée aux transactions.
La troisième critique de Keynes est plutôt implicite et elle peut être dérivée de l’argumentaire keynésien. Du point de vue de Keynes, il n’y a pas de principe évolutif inhérent au phénomène monétaire pointant vers son abstraction croissante. On peut rencontrer une telle vision téléologique du phénomène monétaire chez Jacques Bichot (1984) qui présente l’abstraction monétaire comme un principe présidant à son développement historique de manière quasi inéluctable. Cette même vision téléologique est implicite dans les théories économique et sociologique de la modernisation (telles qu’on les rencontre chez Giddens et Luhmann, par exemple). Pour Keynes, la monnaie est, dès son apparition, une forme sociale abstraite. L’unité de compte est un principe d’abstraction par delà le référent concret auquel il renvoie (ce dans quoi on compte). Cela signifie que la monnaie comme institution est nécessairement une médiation abstraite de la pratique dans la mesure où sa fonction sociale est d’abstraire des rapports sociaux de la structure normative culturelle-symbolique et communautaire dans laquelle ils sont encastrés. Il n’y a donc pas, pour Keynes, d’abstraction progressive de l’institution monétaire. Toutefois, il y a une variation historique des formes de la monnaie en tant que moyens de paiement qui se rapportent à l’unité de compte abstraite. Par delà cette variation, deux grandes innovations sont déterminantes dans l’histoire du phénomène monétaire, outre la production de l’unité de compte : a) la production de la monnaie de crédit privé comme moyen de paiement et b) le développement d’une monnaie d’État, une monnaie souveraine, sur la base du crédit public. Ces deux innovations concernent donc la monnaie de paiement en tant que money proper plutôt que la monnaie en tant qu’unité de compte dont le principe reste le même à travers l’histoire.
Liées, ces deux innovations renvoient, sur le plan sociologique, non pas à une abstraction progressive de l’institution monétaire, mais à la participation de son processus d’institutionnalisation – défini comme le caractère cumulatif et réflexif de son développement comme médiation sociale – à la rupture historique que constitue le passage des sociétés traditionnelles à la modernité. Celle-ci se caractérise non seulement par la capacité d’institutionnalisation, c’est-à-dire par la production sociale d’institutions, mais aussi par l’institutionnalisation de cette capacité d’institutionnalisation (Freitag, 1986). Cela implique, d’un côté, la différenciation de la société en systèmes institutionnels jouissant d’une autonomie normative relative et, de l’autre, une intégration réflexive de ces systèmes institutionnels par l’État. Cette intégration est de trois types : intégration formelle via la précédence du droit déclaratif (légiféré) sur les conventions, routines et règlements que se donnent ces systèmes; intégration réelle par le droit de police (réglementation administrative, intervention) que conserve l’État sur ces champs autonomisés et, finalement, intégration idéelle par la nécessaire légitimation idéologique de l’existence et de l’historicité de ces systèmes dans leur rapport à la société comme totalité et sujet historique en tant que nation. Dans le cas de la monnaie, cela se manifeste par l’institutionnalisation des systèmes de paiement modernes. Deux conclusions s’imposent : d’abord, c’est du côté de la monnaie en tant que moyen de paiement qu’il faut chercher le principe qui oriente et structure son développement comme institution sociale; ensuite, l’abstraction que l’on observe ne renvoie pas à l’épurement de l’unité de compte, ni à une progressive adaptation des moyens de paiement au concept de l’unité de compte abstraite. Elle renvoie plutôt au processus plus global de développement institutionnel des sociétés modernes auquel participent la monnaie, autant que l’art, la science et la technique. Ce processus implique la mise en place de systèmes et de sous-systèmes institutionnels, dont les systèmes de paiement des économies capitalistes modernes.
2. Le monnayage et « money proper »
Nous n’avons abordé la deuxième dimension de l’institution monétaire, celle d’être monnaie de paiement (money proper), que négativement, en montrant les conséquences d’une conceptualisation inadéquate de son rapport à l’unité de compte. Cela nous a tout de même permis de mettre en lumière le caractère foncièrement dynamique de cette dimension de l’institution monétaire :
Now if the same thing always answered to the same description, the distinction would have no practical interest. But if the thing can change, whilst the description remains the same, then the distinction can be highly significant.
Keynes, 1930, t. 1 : 4
C’est d’elle que Keynes va dériver l’ensemble des formes de la monnaie qu’il présente dans un schéma que nous présentons plus loin. Les formes de la monnaie sont ainsi les formes de sa manifestation en tant que moyen de paiement. Keynes définit le moyen de paiement par sa capacité libératoire. Pour Keynes, la détermination du moyen de règlement qui correspond à l’unité de compte dépend en premier lieu d’un moment politique :
(…) it is the State or Community not only which enforces delivery, but also which decides what is to be delivered as a lawful or customary discharge of a contract which has been concluded in terms of the money-of-account.
Keynes, 1930, t. 1 : 4
L’analyse de cette dimension de la monnaie va porter sur les modes de production de ces moyens de paiement socialement légitimes, ce que nous allons appeler, après Aglietta et Cartelier, le « monnayage ». Nous empruntons ici la théorie du monnayage développée principalement par Jean Cartelier, car nous croyons qu’elle poursuit et approfondit l’analyse faite par Keynes de la monnaie de paiement comme un produit social. Le monnayage renvoie au mode de production social de la monnaie, c’est-à-dire à la matérialisation (symbolique) d’unités de compte en moyens de paiement. C’est un mode de production et de distribution de moyens de paiement a priori par rapport à la sphère de l’échange marchand. Cela implique que les moyens de paiement, qui sont autant de droits quantifiés sur la richesse sociale, ne sont pas un résultat de l’agir marchand mais sa condition de possibilité.
L’apriorisme du monnayage par rapport à l’échange marchand implique qu’il n’y a pas de coordination a priori de l’agir des sujets économiques et d’harmonisation a priori de leurs projets et de leurs anticipations par un « commissaire priseur » tel que le postulent les approches en termes d’équilibre général. En termes keynésiens, le monnayage est un « pari sur l’avenir » résultant de la décision d’un sujet de détenir de la richesse sociale sous forme de monnaie[8] et de la reconnaissance de cette décision par l’institution chargée du monnayage. Les moyens de paiement sont ainsi des créances, le sujet qui en obtient détient un droit a priori sur la richesse de la société, mais accepte comme contrepartie de s’endetter vis-à-vis de la totalité[9].
La production d’un droit sur la richesse sociale est un processus institutionnalisé par lequel l’objet moyen de paiement acquiert (et monopolise) la capacité libératoire vis-à-vis des dettes et des prix exprimés en unités de compte. Le monnayage produit la médiation effective des processus marchands et des relations financières. La capacité de production des moyens de paiement résulte, elle aussi, d’un procès qui la voit monopoliser de manière légitime par un type spécifique d’institution sociale, la banque moderne. Il est ainsi possible de construire une typologie des systèmes de paiement à partir des différentes modalités sociales de production/distribution de moyens de paiement et des formes institutionnelles qui remplissent cette fonction. Aglietta et Cartelier proposent la typologie suivante :
trois grands types de monnayage paraissent concevables selon qu’ils sont fondés sur une richesse tangible présente (cas d’un système métallique sans crédit), une richesse tangible anticipée (cas d’un système métallique avec crédit) ou une richesse abstraite anticipée (cas d’un système à monnayage-capital).
Aglietta et Cartelier, 1999 : 136
Le premier type de monnayage s’oppose aux deux autres par l’absence d’un rapport de crédit comme support à la production sociale du moyen de paiement. Dans ce cas, la production monétaire n’est pas articulée à l’accumulation économique soit marchande, soit industrielle, mais dépend de la mobilisation d’un stock de métaux précieux qui, en termes sociohistoriques, n’est pas un stock de « marchandises » mais un « trésor » servant de support à la production de moyens de paiement. En fait, c’est un système où la relation de crédit n’est pas socialisée de manière telle qu’elle puisse générer des moyens de paiement légitimes. En fait, ce système de paiement correspond à un système financier dominé par l’usure, où la relation de crédit se rapportant à la sphère de la consommation jouit d’une légitimité faible et chancelante. Nous allons qualifier ce principe de monnayage de « traditionnel » au sens sociologique du terme, c’est-à-dire en tant qu’il s’oppose au moderne. Le principe de monnayage traditionnel implique que « seule la possession de métal permet aux individus d’obtenir les moyens de paiement que sont les pièces d’or circulant à un cours officiel en unité de compte » (ibid. : 136). Ainsi les deuxième et troisième types sont des systèmes de paiement modernes qui correspondent à des économies capitalistes où le crédit est une médiation centrale des rapports économiques et constitue un support partiel ou complet du monnayage : « Dans un système de crédit, c’est le montant du capital et sa liquidité qui détermineront la capacité d’action des individus sur le marché » (ibid. : 136). Chez Keynes cela implique le développement d’une forme spécifiquement moderne de la monnaie, soit la monnaie bancaire et ses dérivés, la monnaie représentative et la monnaie courante. Pour comprendre la spécificité de ces types, il faut se tourner vers l’analyse keynésienne du développement des formes de la monnaie dans les sociétés traditionnelle et moderne.
3. Généalogie des formes de la monnaie et institutionnalisation monétaire
Dans la généalogie des formes de la monnaie chez Keynes, on retrouve une lecture des grandes césures dans le développement historique de l’institution monétaire. Pour Keynes les trois innovations sociales majeures qui marquent le développement du phénomène monétaire sont : l’unité de compte, le développement de monnaie-crédit et l’émergence de la monnaie représentative typique des économies capitalistes modernes. Le développement de la monnaie-crédit correspond au passage du système de monnayage usuraire du premier type au monnayage proprement bancaire du second type :
(…) the discovery that for many purposes the acknowledgments of debt are themselves a serviceable substitute for Money-Proper in the settlement of transactions.
Keynes, 1930, t. 1 : 5
Keynes souligne que cette monnaie crédit est, dans un premier temps, une institution purement privée. Ce n’est qu’en tant que « representative money » que la monnaie bancaire acquiert véritablement une capacité libératoire :
The Bank-Money may represent no longer a private debt, as in the above definition, but a debt owing by the State (…). A particular kind of Bank-Money is then transformed into Money-Proper (…).
ibid. : 6
La monnaie de crédit privée acquiert une légitimité publique tant qu’elle se rapporte à une monnaie de crédit publique, une monnaie de banque centrale. Pour Keynes, c’est ainsi que s’inaugurent les systèmes de paiements bancaires caractéristiques du capitalisme moderne :
The typical modern Banking System consists of a Sun, namely the Central Bank, and Planets, which, following American usage, it is convenient to call the Member Banks.
ibid. : 9
L’analyse keynésienne du procès d’institutionnalisation de la monnaie a été synthétisée dans le Treatise sous la forme du schéma suivant (ibid. : 9) :
Nous avons modifié le schéma original de Keynes en ajoutant des lignes horizontales qui divisent l’arbre généalogique en trois périodes distinctes. Ensuite, nous avons intégré les éléments du schéma suivant (State-Money et Bank-Money, à la page 10 du Treatise) pour souligner que ces deux formes de monnaies prédominent depuis le début du vingtième siècle. La généalogie keynésienne de la monnaie comporte les enseignements suivants :
le processus d’institutionalisation de la monnaie se divise en deux branches distinctes, mais en interaction constante. D’un côté, la monnaie souveraine frappée par l’État, la branche allant de la money proper, que nous avons définie comme monnaie de paiement, à la monnaie d’État. L’autre branche a pour origine la circulation privée de reconnaissances de dettes comme moyens de paiement : c’est la branche de la monnaie bancaire. Il est important de souligner que, dans ce schéma, la monnaie marchandise n’est pas une figure centrale ou première de ce procès, selon Keynes. C’est une figure périphérique qui apparaît en marge de la monnaie représentative;
de la rencontre de ces deux branches naissent les formes proprement modernes de la monnaie qui sont toujours le produit d’une articulation du système de crédit privé au système monétaire public, soit la reprentative money et la current money. Ce sont des hiérarchisations entre les dimensions publiques et privées des systèmes monétaires et financiers. À l’extérieur de ces articulations, ces deux dimensions existent et fonctionnent de manière indépendante les unes des autres. Ainsi, avant la production sociale de la monnaie représentative, il existait une monnaie de crédit et une monnaie d’État sans que l’une soit véritablement articulée à l’autre. C’est le cas par exemple au Moyen Âge et à la Renaissance où se côtoyaient les systèmes monétaires régaliens et les systèmes des financiers privés basés sur la circulation des lettres de change comme moyens de paiement;
les divisions horizontales que nous avons introduites dans le schéma marquent les moments suivants : a) la monnaie représentative, rencontre de la monnaie frappée d’État et de la monnaie bancaire privée, qui inaugure la modernité du phénomène monétaire; b) Current money marque l’avènement d’un système monétaire entièrement bancarisé, c’est-à-dire la production et la circulation des moyens de paiement sont encastrées dans un système bancaire hiérarchisé, le système solaire qu’évoque Keynes. Chacune de ces deux ruptures renvoie à une transformation radicale de la règle de monnayage : dans le premier cas, c’est l’avènement du monnayage de la richesse marchande; dans le second cas, c’est le monnayage du capital intangible.
Les deux formes « representative money » et « current money » sont ainsi des principes intégrateurs et opérateurs de transformations institutionnelles qui marquent le passage d’un système de monnayage à un autre. La mise en place du système de monnayage propre au capitalisme concurrentiel a impliqué l’articulation du crédit bancaire à l’émission de monnaie souveraine, et c’est essentiellement ce qu’accomplit la création de la Banque d’Angleterre à la fin du dix-septième siècle. Pendant le premier tiers du vingtième siècle cette articulation sera réinstituée sur des nouvelles bases. Le crédit bancaire qui fut articulé à la monnaie souveraine était un crédit à prédominance commerciale : il finançait la circulation marchande et c’était un crédit de paiement qui résultait de l’intégration des paiements correspondant à la circulation marchande du produit industriel dans un système interbancaire.
Le « current money » naît d’une nouvelle forme de crédit bancaire privé, un crédit de capital qui ne renvoie pas à une sphère de circulation marchande mais à la sphère de circulation financière. On retrouve dans le Treatise une analyse de ces deux formes d’arrimage du crédit à la circulation lorsque Keynes différencie une circulation « industrielle » et une circulation « financière » (Keynes, 1930 : 243). La nouvelle règle de monnayage qui correspond à la production de current money renvoie au financement bancaire systématique de la circulation financière :
In actual fact the banking system has a dual function — the direction of the supply of resources for working capital through the loans which it makes to producers to cover their outgoings during period of production (and no longer), and of the supply pari passu of the current cash required for use in the Industrial Circulation; and, on the other hand, the direction of the supply of resources which determines the value of securities through the investments which it purchases directly and the loans which it makes to the Stock Exchange and to other persons who are prepared to carry securities with borrowed bank-money, and of the supply pari passu of the savings-deposits required for use in the Financial Circulation to satisfy the bullishness or bearishness of financial sentiment.
Keynes, 1930, t. 2 : 347
L’actif financier en circulation correspond ainsi à l’expression pure du capital intangible, nouveau fondement de la règle de monnayage. Son émergence dépend de l’avènement de deux autres mutations institutionnelles de l’économie capitaliste : le remplacement de l’entreprise bourgeoise individuelle par l’entreprise corporative ou sociétés par action, et la dissolution de la propriété bourgeoise en tant que détention directe de moyens de production dans une propriété financière de titres ainsi que la centralisation de la circulation de ces titres par la bourse. Et, comme le souligne Thorstein Veblen, le propre de l’activité bancaire dans la période d’établissement de la nouvelle règle de monnayage sera de financer cette grande mutation économique et sociale en soutenant par le crédit les opérations financières des capitaines d’industrie. Nous ne pouvons dans le cadre de cet article approfondir l’analyse de cet aspect de la théorie keynésienne de l’institution monétaire, car cela nous mènerait de Keynes à ses interlocuteurs hétérodoxes d’outre-atlantique tels que Veblen, Commons, Berle et Means. Il suffit de rappeler que Hyman Minsky, qui se voit comme un continuateur de l’approche institutionnaliste de Keynes, tentera dans ses deux ouvrages de 1975 et 1982 de construire ce que l’on peut comprendre rétrospectivement comme une théorie institutionnelle du monnayage du capital intangible dans une économie corporative et financière[10].
Conclusion
On retrouve dans le Treatise on Money de Keynes deux éléments clés pour une construction d’une théorie institutionnelle de la monnaie. Premièrement une définition de la monnaie comme institution sociale et ensuite une généalogie du processus sociohistorique du développement de la forme monétaire dans les sociétés traditionnelle et moderne. Le tableau ci-dessous nous présente une synthèse de ces acquis analytiques à partir de la typologie des systèmes de monnayage de Cartelier.
Sur le premier point rappelons que Keynes choisit comme point de départ de la théorie de la monnaie le concept d’unité de compte. Dans cette perspective, la monnaie se définit comme un principe de quantification structurant des rapports sociaux : rapports sociaux aux choses qui se manifestent dans la formation des prix et surtout, rapports sociaux interindividuels qui se manifestent dans l’existence des dettes monétaires.
Second terme de la définition keynésienne, la monnaie se matérialise dans l’espace social comme moyen de paiement qui n’existe que dans son rapport à l’unité de compte. Pour Keynes, l’effectivité de la monnaie de paiement réside dans ce rapport et non dans la valeur intrinsèque de la chose qui se présente comme monnaie matérialisée. Ainsi, la fonction d’instrument d’échange est complètement secondaire chez Keynes, alors que chez les auteurs orthodoxes classiques et néoclassiques, elle est au coeur d’une conception de la monnaie comme équivalent général.
Pour Keynes, la monnaie de paiement est l’objet qui est accepté comme contre-partie dans une transaction marchande et qui a la capacité socialement reconnue d’éteindre une dette exprimée ou exprimable en unités de compte. La monnaie de paiement est ainsi une manifestation matérielle de l’unité de compte. De plus, elle agit comme sanction puisque l’acte de paiement rétablit l’unité sociale des comptes. L’objectivité sociale de la monnaie dépasse ainsi complètement son travail de mise en équivalence des valeurs d’usage en tant que valeurs d’échange. Celle-ci réside plutôt dans sa capacité libératoire : une capacité première, en tant qu’unité de compte, d’exprimer des dettes et des obligations contractuelles et ainsi de faire exister des rapports sociaux proprement économiques; une capacité seconde, en tant que monnaie de paiement (money proper), d’éteindre ces dettes et obligations sociales dans la pratique sociale de l’acte de paiement. Nous avons vu que l’approche en termes de système de monnayage développé par Cartelier et Aglietta enrichit considérablement cette définition keynésienne de la monnaie en mettant en relief les modalités instituées de production sociale de moyen de paiement. S’ouvre ainsi un immense chantier sociohistorique portant sur l’analyse empirique des systèmes et de la règle effective de monnayage dans les différentes sociétés et économies.
Deuxième contribution fondamentale de Keynes : une typologie historique et généalogique des formes de la monnaie. Sur ce plan s’ouvre aussi un vaste chantier d’analyse empirique visant à mettre à jour et enrichir cette typologie. Finalement, compte tenu de la conception institutionnelle de la monnaie chez Keynes, ces deux chantiers se déploient dans un espace interdisciplinaire, voire pluridisciplinaire, où pourront se côtoyer dans le dialogue et le débat analyse historique, sociologique, anthropologique et économique. En ce sens, la perspective d’analyse qui se dégage du Treatise est non seulement nécessaire à la pleine théorisation de la monnaie comme phénomène social et économique, mais elle est aussi une contribution essentielle à la compréhension des sociétés traditionnelles et modernes.
Appendices
Collaborateur
Éric Pineault
Récemment, il a été nommé professeur au département de sociologie de l’université du Québec à Montréal. Spécialisé en sociologie économique et en économie politique, il fait porter ses recherches principalement sur la formation historique du capital financier et de l’institution monétaire. Il s’intéresse également à la question de la mondialisation économique à travers l’analyse du discours des grandes organisations internationales à vocation économique. Il a dirigé avec Michel Freitag la publication du collectif intitulé Le Monde enchaîné (Québec, Nota Bene, 1999).
Notes
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[*]
Ce texte est basé sur des extraits d’un chapitre de thèse intitulé « Institution monétaire, société et économie ». La thèse a pour titre Capital financier et financiarisation du capitalisme, une contribution institutionnaliste à l’analyse de la transformation de la régulation économique. Nous en avons révisé le texte pour les fins de la présente publication.
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[1]
Nous pensons principalement aux travaux de Randall Wray (1990) et à ceux réunis récemment par John Smithin (2000).
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[2]
Les principaux résultats de ces recherches hétérodoxes francophones ont été réunis dans le livre dirigé par Michel Aglietta et André Orléan intitulé La monnaie souveraine (1999). Un ouvrage plus récent des mêmes auteurs vient tout juste de paraître (2002).
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[3]
Cette conception sociologique de la monnaie fait exception car, comme le déplore Geoffrey Ingham, la théorie sociologique contemporaine a non seulement peu contribué à la construction d’une théorie sociale de la monnaie, elle a en plus adopté de manière non critique une théorie économique de la monnaie comme simple voile fictif, tout en faisant, paradoxalement, de ce voile fictif l’une des institutions caractéristiques du monde moderne (voir Ingham, 1998).
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[4]
C’est aussi ce qui permettra au sociologue Niklas Luhmann de faire de cette norme un média de communication systémique, qui devient alors le principe de structuration et de différenciation de l’économie dans la modernité.
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[5]
On retrouve une caractérisation similaire de l’agir économique moderne chez Simmel (1907).
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[6]
Comme le soulignent Aglietta et Cartelier, cela implique sur le plan empirique que des unités de comptes ont pu exister comme médiations effectives sans pour autant jamais avoir pris une forme matérielle pour effectuer des paiements. La livre et le sou au Moyen Âge en sont des exemples (Aglietta et Orléan, 1999 : 135).
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[7]
On voit ici que le modèle Keynes s’oppose directement à celui de Marx.
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[8]
D’où l’importance pour Keynes d’une analyse typologique des motifs de détention de moyens de paiement.
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[9]
Voir Aglietta et Orléan (1999 : 136).
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[10]
Voir par exemple Minsky (1982 : 17). Voir aussi Minsky (1986 : 169-70).
Bibliographie
- Aglietta, M. et A. Orléan (2002), La monnaie, entre violence et confiance, Odile Jacob, Paris.
- Aglietta, M. et A. Orléan (éds) (1999), La monnaie souveraine, Odile Jacob, Paris.
- Aglietta, M. et J. Cartelier (1999), « Ordre monétaire des économies de marché », in M. Aglietta et Orléan, A. (1999), La monnaie souveraine, Odile Jacob, Paris, p. 129-157.
- Bichot, J. (1984), Huit siècles de monétarisation : de la circulation des dettes au nombre organisateur, Economica, Paris.
- Cartelier, J. (1996), La monnaie, Flammarion, Paris.
- Freitag, M. (1986), Dialectique et société; tome 1 : Introduction à une théorie générale du symbolique; tome 2 : Culture, pouvoir, contrôle, les modes de reproduction formels de la société, Éditions Saint-Martin / l’Âge de l’Homme, Montréal.
- Freitag, M. (1991), « La science économique et la société, critique de Schumpeter », Société, 8 : 231-318.
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- Minsky, H. (1975), John Maynard Keynes, Columbia University Press, New York.
- Minsky, H. (1982), Inflation Recession and Economic Policy, Wheatsheaf Books, Brighton.
- Minsky, H. (1986), Stabilizing an Unstable Economy, Yale University Press, New Haven.
- Simmel, G. (1907), Philosophie de l’argent, Presses universitaires de France, Paris, 1999.
- Smithin, J., (éd.) (2000), What is Money?, Routledge, Londres.
- Weber, M. (1921-1922), Economy and Society, University of California Press, Berkeley, 1977
- Wray, R. (1990), Money and Credit in Capitalist Economies, Edward Elgar, Aldershot.