Cuba ! Premier mot d’un des romans québécois les plus célébrés. Pays honni des États-Unis, mais avec lequel la gauche indépendantiste québécoise a entretenu des liens fraternels. De même que Pierre Elliott Trudeau, ne l’oublions pas. Les temps changent, et si Robert Charlebois ne s’est pas privé pendant des années de chanter « Mon ami Fidel », il n’était plus question, en 2016, que le fils Trudeau, devenu premier ministre du Canada à son tour, se rende à La Havane assister aux funérailles du líder máximo. Où en sont donc nos rapports avec la République socialiste de Cuba, plus de soixante ans après que Hubert Aquin l’a vue couler en flammes au fond du lac Léman ? Notre roman, en particulier, réussit-il encore à descendre au fond des choses ? Difficile d’en juger, mais on peut indéniablement affirmer que l’intérêt est bien présent et qu’il entraîne à sa suite de nombreuses interrogations. Sur le mode d’une fantaisie baroque inspirée d’Alejo Carpentier, Bernard Andrès traçait en 2007 un lien historique entre La Havane et la Nouvelle-France, Cuba et le Québec modernes, au fil d’une intrigue rocambolesque faite de complots et d’enlèvements autant que d’amalgames historiques et culturels. Plus récemment encore, en 2015, Benoît Bouthillette publie L’heure sans ombre, un polar qui, annonce la quatrième de couverture, « nous entraîne dans un Cuba rarement dépeint, celui des festivals de musique électronique et des bars heavy métal, où l’art contemporain et la culture populaire contribuent à faire de La Havane une Barcelone du 21e siècle ». Oh ! Voilà qui surprend. Rapprochons-nous encore un peu. En 2018, Frédérick Lavoie y va d’un récit hybride, enquête journalistique ponctuée de poèmes et de scènes théâtrales, dans le but de saisir ce moment de « flottement entre deux ères » : « Voir Cuba avant que ça change ; voir Cuba avant l’après. » Le prétexte de ce livre ? La publication par un éditeur cubain du 1984 d’Orwell. Comment la traduction d’un roman si ouvertement antitotalitaire a-t-elle pu recevoir l’aval des autorités cubaines ? Signe d’ouverture ou contradiction interne à l’idéologie du régime ? Lavoie, au fil de trois brefs séjours, rencontre nombre d’écrivains, d’intellectuels, de journalistes et d’éditeurs. Il recueille aussi les récits de dissidents. Dans l’ensemble, son récit-essai pose un diagnostic sévère sur le régime castriste, sans toutefois réclamer la reconversion de l’île au capitalisme, on s’en doute bien. Mais Lavoie interroge ce qu’il en est de la liberté d’exprimer sa pensée, de contester, de remettre en question le pouvoir, et même de lire les classiques de la littérature mondiale. Alors que l’effondrement rapide de l’Union soviétique a livré l’ancien régime totalitaire, mal préparé, à un capitalisme sauvage propre à accentuer les inégalités, Lavoie se permet d’espérer pour Cuba une transition moins brutale, capable d’aménager pour ses habitants un compromis viable entre leur espace de liberté et le souci d’égalité à la base du socialisme. Avant de passer aux romans qui ont retenu mon attention, je signale enfin la parution d’un article d’Aurélie Lanctôt, qui partage elle aussi ses réflexions à la suite d’un récent séjour à Cuba. Son approche croise celle de Lavoie, mais en sens inverse, car l’accent est mis ici sur ce qui peut être sauvé de l’esprit révolutionnaire. Lanctôt évoque d’abord l’arrivée à Cuba, en 1969, de deux membres en cavale du FLQ, Pierre Charrette et Alain Allard. D’autres felquistes, comme on le sait, viendront les rejoindre après les événements d’octobre 1970. Cette entrée en matière sert de prétexte à Lanctôt pour remettre en question les affinités entre le Québec et Cuba en matière de luttes …
Cuba, libre ou en chute libre ?[Record]
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Dominique Garand
Université du Québec à Montréal