Il faut être de son temps, dit l’adage. Ainsi, celui qui se montre réfractaire aux nouvelles technologies sera l’objet de plaisanteries, et celui qui n’a pas vu le dernier film ou lu le dernier livre en ressentira de la gêne. L’exigence de conformer ses goûts et sa conduite aux moeurs de son époque est omniprésente. Or, si chacun fait indéniablement partie de celle dans laquelle il vit, cette appartenance est complexe, faite d’adhésion et de distance, d’enthousiasme et de déception, de fidélité et de trahison. Certains s’intéressent de près à l’actualité, cherchent inlassablement à saisir les enjeux du présent et sont toujours à l’affût de la nouveauté. D’autres jugeront précisément cette précipitation suspecte, cette avidité insatiable, et affirmeront qu’elles sont justement des traits de notre époque, que l’on ne peut être de notre temps qu’en veillant à ne pas être obnubilé par ses manifestations les plus évidentes. C’est le point de vue du philosophe Giorgio Agamben, qui écrit, dans l’essai souvent cité Qu’est-ce que le contemporain ? : « Seul peut se dire contemporain celui qui ne se laisse pas aveugler par les lumières du siècle et parvient à saisir en elles la part de l’ombre, leur sombre intimité. » Le philosophe nous invite à prendre un certain recul pour mieux percer l’obscurité du présent et à nous méfier des prises de position hâtives. Il semble néanmoins indéniable qu’en art et en littérature, les oeuvres contemporaines peuvent dévoiler et révéler un aspect, voire tout un pan de la société qui nous était inconnu. Pour autant, le rapport à l’oeuvre ne se limite pas à la connaissance ou à la découverte, mais concerne un rapport au soi, comme l’écrit Marielle Macé dans son livre intitulé Façons de lire, manières d’être : « Par la lecture, en elle, les individus se donnent […] les formes de leur pratique, et l’expérience littéraire devient une ressource de stylisation de soi. » En ce sens, se (re)trouver dans la phrase d’un écrivain, c’est établir un rapport au monde et à soi-même qui n’est pas basé sur le partage d’une temporalité, mais repose sur une connivence, une entente profonde et une « stylistique de l’existence ». Être contemporain, c’est s’engager dans un dialogue, décider de prendre part à certains échanges ou s’abstenir de le faire, préférer demeurer silencieux. Et s’il y a bien une discussion qui est de notre temps, c’est précisément celle portant sur ce dont est fait le contemporain. D’innombrables parutions et colloques en témoignent, ici comme ailleurs. Trois ouvrages récemment publiés au Québec — bien que très différents les uns des autres — portent sur cette question. Soif de réalité. Plongées dans l’imaginaire contemporain est le fruit des recherches menées par Bertrand Gervais, Samuel Archibald, Sylvain David, Joanne Lalonde, Vincent Lavoie et Sylvano Santini. Robert Dion et Andrée Mercier ont quant à eux dirigé l’ouvrage intitulé La construction du contemporain. Discours et pratiques du narratif au Québec et en France depuis 1980, dans lequel on retrouve, outre celles des codirecteurs, des contributions de René Audet, d’Anne-Marie Clément, de Frances Fortier et de Marie-Pascale Huglo. L’une des particularités de cet ouvrage est la remarquable uniformité de l’ensemble. En effet, le lecteur passe d’un chapitre à l’autre sans que le nom de l’auteur soit mentionné (l’information se trouve dans la table des matières), ce qui nourrit le sentiment qu’il s’agit d’une véritable production collective. Enfin, bien que les essais de François Ricard rassemblés dans le recueil La littérature malgré tout n’abordent jamais de front la notion de contemporanéité, elle y est néanmoins partout présente, soulevée de manière oblique. Tout au long des vingt essais …
La contemporanéité aujourd’hui[Record]
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Frédéric Rondeau
Université du Maine