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AVANT LA SCIENCE
Comme avant la science
la terre est plate comme une mappe et
les voitures et les piétons et
les cyclistes tombent dans le vide
juste passé le dépanneur.
Le monde est sale comme un miroir de
toilette de bar
un miroir avec quelqu’un d’autre dedans
qui parle en images et me fait chier.
Les pigeons picotent le sang sur
les trottoirs et parlent de moi en
hochant de la tête et faisant semblant
de regarder ailleurs.
L’encre me monte aux yeux et va
bientôt remplir l’appartement et
je serai comme une pieuvre dans
un aquarium public où on pourra
venir me voir essayer d’écrire
un dernier poème.
LE CORPS DANS LE COFFRE
De reculons sur un sens unique
suspendu dans la nuit de Trois-Rivières
on descend de reculons
le cul pointé dans la bonne direction
en regardant devant derrière nous
on fait une volte-face de cascadeur
devant l’adresse
comme un char de police qui
court après sa queue et
le corps dans le coffre
vit et meurt d’un
épisode à l’autre et
sans rancune aucune
se met à réciter
des poèmes
d’Yves Boisvert
TOUT ÇA POUR RIEN
tout ça pour rien disait un certain incertain
au salon du livre de mtl
il lance mon livre en l’air et le livre tourne sur lui-même
comme l’os dans 2001 odyssée
de l’espace (qui reste)
plus tard je signe un livre pour
une longue et belle femme genre
Lara Croft mangeuse de poètes et
derrière elle tout est sur écran vert
et elle me lance de sa voix jouquée
jusqu’aux néons :
c’est tout ça ?
je lui arrache le livre
des mains et
par-dessus mon nom
je laboure la page
jusqu’au sang avec
un crayon de correction
rouge
je trace dans la chair
du livre :
oui c’est ça
c’est tout ça
tout ça pour rien et
je le lance au bout
de mes bras vers
le certain incertain et
il pleure des
fleurs de feu sur
la tristesse de
tout ça
ANNE HÉBERT
1.
Elle a traversé mon corps
comme si j’étais un fantôme
en soupirant
J’aime beaucoup ce que vous
faites
Je me suis réveillé en criant
sur des draps
qui sentaient
l’encre et le sexe
2.
Elle est reconnue
pour ses robes
colorées
cochonnes
et
cloîtrées
On la voit souvent
qui patine
sur la glace mince
des revues littéraires
3.
Elle a libéré mon
moi intérieur
Il est parti avec
tous mes livres
d’Anne Hébert
et n’est
jamais revenu
4.
Depuis ce temps
je me promène en
noir et blanc
dans une forêt qui
sent la peinture fraîche
Je cherche une rivière pour
noyer les chatons
de mon amour
SILENCE RADIO
i.
je m’habitue à la science
sans fond des océans
je maintiens le
silence radio
je fredonne la
samba secrète
du sang
ii.
j’écoute la radio
en sourdine
avec le monde
en sardine
dans ma tête
je nage sur place
comme un poète
dans un poème
iii.
j’ai oublié
une de mes jambes
sous un banc
dans l’autobus
je suis venu ici
je suis là
pour le moment
mais
je me dépêche
je me dépèce
je serai
bientôt
parmi vous
iv.
le boulevard est la
rivière styx
le parc est
douloureusement
vert
juste en face
de
l’hôpital
v.
je suis ridé
de bonnes idées
et
de bonnes intentions
mais aussitôt que
j’ouvre la bouche
c’est comme si je
chantais sous la
douche
je ne me
penche pas
pour ramasser
le savon
vi.
toute la journée
je porte un masque flou
pour cacher mon infirmité
des infirmiers carnivores
[SANS TITRE]
i.
habité par la poésie
comme un habitant
son habitat
je suis réveillé dans
le milieu de la nuit
par un changement d’air
un pli dans la noirceur
qui laisse passer la lumière
le cerceau du cerveau
poussé par le vent
sous une lune ardente
ce n’est pas l’inspiration
mais le son des sources
le son du sang sous
la peau
le chant de l’eau sous
la terre
ii.
une fois le poème
griffonné sur le
papyrus froissé
de la nuit
je me recouche sur
mon coeur qui bat
comme une horloge fatiguée
dans une maison
vide