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L’histoire est un mauvais isolant[Record]

  • JONATHAN LIVERNOIS

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  • JONATHAN LIVERNOIS
    Université Laval/CRILCQ

Le Québec a toujours eu des historiens médiatiques, publics, oscillant entre l’anecdotique et le roman national. Parfois ils trouvaient la mesure, parfois pas. Ce fut à une certaine époque Hector Grenon, et plus tard Marcel Tessier, Jacques Lacoursière et Denis Vaugeois, les deux derniers appartenant à cette école mauricienne, proche de feu l’abbé Albert Tessier. Si les formations respectives de ces historiens variaient beaucoup, certains étant autodidactes tandis que d’autres étaient passés par l’université, les historiens publics sont désormais bardés de diplômes. Ils sont même, très souvent, professeurs d’université. On pensera à ce titre à Laurent Turcot, professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières, et surtout à Éric Bédard. Ce dernier a fait paraître à l’automne 2017 un recueil d’essais : Survivance. Histoire et mémoire du xixe siècle canadien-français. Je ne révèle pas de secret : le professeur de la TÉLUQ est un conservateur. Cela ne signifie pas que Bédard est pour la peine de mort, qu’il espère les femmes au Bas-Canada, qu’il mise beaucoup sur le charisme d’Andrew Scheer (good luck), ou que sais-je encore. Mais il veut conserver ce que le Canada français, qui a bien quelque chose de la construction mythologique, a fait de mieux. Si son ami Mathieu Bock-Côté en appelle à ces valeurs canadiennes-françaises qui sont bonnes parce que canadiennes-françaises, Bédard va plus loin. Dans son essai de 2011, Recours aux sources, l’historien considérait déjà qu’il fallait « retrouver les termes particuliers d’une “tradition de débats” et […] suivre ainsi la “trace” d’une discussion sur la “question du Québec” ». Autrement dit, il fallait identifier dans le passé les traces de débats qui informent les questions d’aujourd’hui. Cela donnait lieu à des rapprochements étonnants : « Certains radicaux ultramontains rejetaient purement et simplement, un peu comme les leaders de Québec Solidaire, le matérialisme américain. » J’imagine mal un repas entre Manon Massé et Mgr Laflèche. La solution est pourtant là, semblait déjà dire Bédard : « En somme, le Canada français conservateur risque de nous intéresser à nouveau si nous savons renouveler notre lecture des questions qui continuent de nous hanter comme collectivité minoritaire aux prises avec certains défis particuliers. » Mais que signifie exactement le « Canada français conservateur » ? Ce n’est plus l’attitude de celui qui regarde vers le passé qui est conservatrice ; c’est, par une hypallage qui a quelque chose du tour de passe-passe, l’époque elle-même. Celle-ci se limite-t-elle donc à la seule période 1840-1870, époque réformiste que d’aucuns considèrent comme « conservatrice » ? Autre question : en quoi la mise au jour de cette tradition de débats éviterait-elle le piège téléologique que Bédard associe au soi-disant « métarécit » libéral, dont le versant historiographique serait incarné par des historiens tels que Jean-Paul Bernard, Philippe Sylvain et Yvan Lamonde ? Je rappelle les propos de Bédard : « Le grand récit libéral du xixe siècle est donc celui d’un antagonisme entre les forces de liberté et celles de la réaction, c’est-à-dire entre les forces du Bien et du Mal », et se « termine généralement par la victoire éclatante et définitive de la liberté sur les forces de la réaction et de l’Ancien Régime ». Bref, un beau modèle dialectique. Mais en quoi la tradition de débats dont parle Bédard est-elle exempte de l’idée de résolution, qui pourrait être, dans ce cas-ci, la mise en pratique d’une saine gestion du conservatisme, définie par Bédard ? Oeil pour oeil, dent pour dent, et synthèse pour synthèse. Tout ça était écrit dans Recours aux sources en 2011. Entre-temps, il s’est passé un printemps étudiant, …

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