En 2008, Mira Falardeau écrivait dans son Histoire de la bande dessinée au Québec que, si l’un des objectifs du panorama de la bande dessinée locale qu’elle avait dressé quinze ans plus tôt était de « faire sortir de l’ombre cet art méconnu », il lui fallait « admettre que peu de choses [avaient] changé depuis et que les BD franco-belges, américaines et japonaises pren[aient] encore presque toute la place dans les librairies et les bibliothèques ». Le Québec devait-il donc rester à jamais un peuple sans littérature bédéistique ? L’effervescence qu’a connue le neuvième art dans la province au cours de la dernière décennie prouve qu’il n’en est rien. Il n’est plus nécessaire de se rendre dans une librairie spécialisée pour avoir accès à la bande dessinée québécoise : les oeuvres signées Jimmy Beaulieu, Chester Brown, Cathon, Julie Doucet, Jean-Paul Eid, Réal Godbout, Philippe Girard et Zviane — pour ne mentionner que quelques noms — trouvent une place de choix dans la plupart de nos librairies, sans compter celles de Guy Delisle et de Michel Rabagliati, dont on voit de hautes piles jusque dans les grandes surfaces. Les institutions culturelles ne manquent d’ailleurs pas de souligner ce foisonnement, qu’on pense aux fréquentes chroniques que nous offrent Fabien Deglise (Le Devoir) et Jean-Dominic Leduc (Bande à part, Journal de Montréal, Les Libraires et la baladodiffusion Vous avez dit BD ?) ou à l’émission de télévision BDQC, diffusée sur ARTV. Des institutions qui, il n’y a pas si longtemps, semblaient refuser de voir en la bande dessinée une forme d’art digne de leur attention lui ouvrent maintenant fièrement leurs portes : avant même que le Musée québécois de culture populaire ne lui prête ses murs à Trois-Rivières, le neuvième art québécois avait déjà en 2013 fait l’objet d’une exposition au Musée des beaux-arts de Montréal qui soulignait les quinze ans des éditions La Pastèque. Quinze ans, voilà qui peut sembler court pour fêter un éditeur. Cette même année, Boréal célébrait ses cinquante ans. Les éditions Pierre Tisseyre existent depuis 1947 ; Fides, depuis 1937. Les quinze ans de La Pastèque, toutefois, marquaient bien ce qui semblait être l’accession à une pérennité nouvelle pour la bande dessinée francophone. Alors que la maison Drawn and Quarterly, née à Montréal en 1990, a connu — et connaît toujours — un grand succès grâce à la publication de bédéistes anglophones reconnus sur la scène internationale (tels que Lynda Barry, Chester Brown, Daniel Clowes, Kate Beaton, Seth, Art Spiegelman, Adrian Tomine et Chris Ware), les éditeurs de bande dessinée francophones ont longtemps eu du mal à se développer dans nos contrées. Tout semblait pourtant possible lors des toutes premières publications du genre. Que l’on date cette naissance, comme le font Falardeau et la critique étatsunienne, à partir de l’utilisation du phylactère et d’un certain nombre de codes idéographiques (avec le Yellow Kid de Richard Outcault, paru en 1896), ou que l’on considère, comme Michel Viau et les Européens, que le récit en images fait partie intégrante de l’histoire de la bande dessinée (qui remonterait à 1827, avec l’Histoire de M. Vieux-Bois du Suisse Rodolphe Töpffer), on remarque que les expériences bédéistiques québécoises précèdent ces commencements. Viau attire par exemple l’attention sur un prospectus politique publié à l’été 1792 qui non seulement présente un récit en trois cases, mais fait déjà usage du phylactère. Il s’agit là d’un cas isolé, certes, mais on retrouve ensuite dès le milieu du xixe siècle, dans les périodiques humoristiques qui foisonnent, des gravures muettes ou légendées inspirées de l’oeuvre de Töpffer sur …
LA BANDE DESSINÉE QUÉBÉCOISESous la plume des pionniers et des contemporains[Record]
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CARMÉLIE JACOB
Université du Québec à Montréalavec la collaboration de
CATHERINE SAOUTER
Université du Québec à Montréal