Dans une postface au recueil Nul mot de Guido Molinari, Patrick Lafontaine note ceci : Si bien sûr le « corps » et la « matérialité » des mots, surtout à propos d’un peintre, sont choses bien connues, je ne crois pas qu’on ait beaucoup discouru sur la « mollesse » du sens ; terme que je préfère ici, au moins parce qu’il est plus neuf que sa « fragilité » et son « doute », eux aussi plus courants. Et aussi, parce que c’est bien autour de cette « mollesse » que se file la métaphore, lorsqu’il est question, de façon toute lumineuse, des sens qui « s’encroûtent » en « surface », carapace dont le centre reste moelleux. Or la mollesse semble cibler quelque chose d’absolument essentiel à l’expérience, au frottement de l’art plastique et de la littérature, comme des deux versants du poème, sa visibilité et son sens. Ce que Lafontaine décèle chez Molinari, c’est beaucoup plus qu’un questionnement attendu, sur les sons des mots par exemple, leur disposition sur la page, le tracé de leur graphie, les possibilités de la typographie, etc. Tous ces éléments sont certes là, dans les poèmes du peintre. Mais il se fait, par en dessous, si je puis me permettre, un questionnement beaucoup plus essentiel : sur nos habitudes, sur nos usages, et sur la possibilité qui nous est offerte de toujours revenir à une origine du sens. Et une fois introduite cette mollesse du sens, on ne peut que l’approuver, devant ce qu’elle implique de malléabilité, de versatilité, de porosité également, de transport. Il faudra toujours, pour communiquer, donner forme au sens, le faire parler à travers des images ; mais cette forme et cette image, n’émanent-elles pas de ce noyau mou que pointe Lafontaine ? Je le crois pour ma part, et le découvre de multiples façons (et parfois à la négative) dans quelques recueils récents, qui interrogent tous, à leur manière, les possibilités poétiques qu’offre la plasticité, dans son sens le plus général (du dessin cursif à la performance, en passant par la mise en page). D’emblée chez Molinari, dès le deuxième poème (23) de Nul mot (le premier des trois recueils réunis ici, pour la première fois, dans le recueil éponyme ; les deux autres sont Rosevi et Ça). Le procédé est très simple, et pourtant, il bouscule tout un pan de l’histoire poétique, signe des révolutions les plus profondes. Molinari a tout bonnement excédé la ligne poétique, cette ligne qui est restée maîtresse après qu’on a abandonné le vers métrique, et qui est donc apparue comme un intouchable. Il a disposé son poème, légèrement décentré vers la gauche, comme un bloc carré, ce qui s’est souvent vu. Mais voilà, quelques mots débordent, et du coup nous entrons dans cet espace qui était resté vierge jusque-là, ce « blanc » où on mettait beaucoup de poésie silencieuse. Et ce blanc lui-même se brise, ou plutôt montre sa « mollesse », son tracé n’étant plus rigide et laissant pénétrer des vagues de mots. Si ce procédé reste encore dans les limites convenues des expérimentations spatiales attendues d’un peintre qui pratique la poésie, procédé qu’on pourrait donc indexer à de la naïveté, d’autres éléments montrent bien que Molinari avait pleinement conscience du tremblement qu’il faisait subir au sens. Ainsi dans le recueil Ça, consacré très sciemment au désir et à la relation au corps, Molinari développe, à côté des dessins anthropomorphes faits d’arabesques et de courbes entrelacées, une réflexion et une mise à l’épreuve de l’expressivité des mots. Il est très conscient que le Ça est …
Le sens mou[Record]
…more information
NELSON CHAREST
Université d’Ottawa