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À la première personne qui m’écoutera[Record]

  • DANIEL GRENIER

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  • DANIEL GRENIER
    Université Laval

Fanie Demeule, Kevin Lambert, Antoine Charbonneau-Demers. La première est née en 1990, le deuxième en 1992, le troisième en 1994. Ils publient tous trois leur premier roman, respectivement chez Hamac, chez Héliotrope et chez VLB. Des romans courts, à l’imagerie incisive et aux propos cyniques, que les critiques ont qualifiés de « coup[s] de poing », et dont les auteurs ont été vus, qui comme une « surprise », qui comme une sorte de « prophète de la destruction ». Le fameux « coup de poing », on sait ce qu’il veut dire. Il est utilisé la plupart du temps pour décrire des récits de fiction ou d’autofiction assez courts, qui (pour utiliser un autre cliché à la peau dure) ne nous laissent ni indemnes ni indifférents. Le texte, ici, est considéré comme presque dangereux, au sens où il nous « frappe de plein fouet » en nous révélant des choses (sur nous, sur notre société) qui étaient jusque-là restées taboues. Nous ne serons plus les mêmes après la lecture : le livre nous aura changés. Et il nous aura donné l’envie de changer le monde. Ce n’est pas tant la prose qui claque (elle peut même être assez classique) que le sujet qui agit comme un électrochoc. Demeule, dans Déterrer les os, s’intéresse aux troubles alimentaires qui affectent la vie d’une jeune femme et vient interroger notre rapport maladif à la nourriture. Ce qui s’ouvre comme la confession d’un individu en lutte avec des démons bien personnels se transforme rapidement en une charge acerbe contre la façon que nous avons tous et toutes de consommer et de jeter. L’impression de « surprise », voire de « révélation », émerge de l’idée qu’on se fait souvent des jeunes écrivains et écrivaines qui publient pour la première fois : ils sortent de nulle part, tout en arrivant à point nommé, et cette sortie est éclatante, aveuglante, parce qu’on ne l’avait pas prévue. Personne ne nous avait averti qu’un tel talent précoce se dissimulait dans les combles de l’édition québécoise. Antoine Charbonneau-Demers, avec ses vingt-trois ans et son prix Robert-Cliche du premier roman pour Coco, fait ici figure d’exemple, lui qui précise en entrevue avoir le « syndrome de l’imposteur », puisque son ambition principale est d’être acteur de théâtre. L’écriture romanesque devient par le fait même une sorte de seconde peau que l’on enfile avec un naturel qui fait son effet, qui semble couler de source. De son côté, Kevin Lambert a asséné plus d’un coup de poing, d’après ce que je lis dans les journaux, avec Tu aimeras ce que tu as tué. De nombreux critiques se sont dits sonnés par la prose cinglante du jeune romancier, ainsi que par les idées véhiculées dans l’oeuvre, laquelle aurait ni plus ni moins la force de frappe d’une salve de mitraillette. Le ton « apocalyptique » se retrouve chez Lambert dès le titre, en effet, qui annonce, à la fois par son adresse à un interlocuteur (« Tu ») et par l’usage du futur simple, un avènement dont la complexité reste à voir, un carnavalesque revirement des valeurs : la mort et l’amour, intervertis, chamboulés. Ces trois-là partagent bien sûr davantage que les lieux communs malheureux de la critique impressionniste. Si je les ai réunis ici, c’est pour examiner un des aspects de leurs livres, soit leur narration autodiégétique au présent de l’indicatif. En critique romanesque, la voix narrative n’est peut-être pas l’élément qui soulève le plus de passion, elle perd souvent au change contre l’intérêt porté au récit et à la force des images ; mais pour moi, …

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