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Variations sur le thème de l’engagement[Record]

  • ANNE CAUMARTIN

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  • ANNE CAUMARTIN
    Collège militaire royal de Saint-Jean

Avec l’étude La résistance en héritage, Rachel Nadon porte un regard neuf sur ce lieu incontournable de la littérature québécoise qu’a été Liberté. Un rapide recensement des études parues sur le sujet indique que la critique s’est surtout intéressée aux débuts de la revue, l’examinant le plus souvent jusqu’aux années 1980, portant aussi une attention particulière à la figure de l’écrivain et aux représentations de l’intellectuel qui en émanent. Ce geste critique a construit une sorte de glorification des débuts et a scellé un âge d’or de la revue, discréditant en creux ses suites plus éloignées du politique, et étouffant presque l’avenir de Liberté avant même qu’il n’advienne, comme si toute nouvelle orientation ne pouvait qu’être vite dépassée, tout projet différant du passé semblant d’emblée nul et non avenu. Nadon, en montrant son intérêt critique pour la période actuelle (2006-2011, avec la nouvelle direction de Pierre Lefebvre jusqu’à la veille de la refonte de la présentation visuelle de Liberté), ouvre en quelque sorte la revue à son avenir. La démarche de l’auteure tient en une étude, soignée et intelligente, de la filiation. Elle revient sur les collaborateurs de la première heure, sur les diverses figures tutélaires qui ont modelé la revue pour examiner comment s’est opéré l’héritage. C’est donc à une pensée historicisée qu’on a affaire ici alors qu’est présenté le travail de Liberté sous la direction de Lefebvre, faisant de cette nouvelle équipe une génération de collaborateurs avec des influences et des orientations particulières. Si le mot « génération » peut parfois être reçu avec circonspection, il faut convenir qu’il est ici davantage qu’une notion commode. On associe trop souvent cette idée à celle des âges, qui eux, supposément, forceraient la cohérence intellectuelle — ce qui a déjà été vrai lorsque la cohérence intellectuelle au Québec était principalement déterminée par l’éducation et le milieu social. Les facteurs de cette cohérence sont aujourd’hui multiples. Les générations ne se réunissent plus autant autour d’une année de naissance, mais il n’en reste pas moins qu’elles existent dans la mesure où, à un moment, des individus se reconnaissent par une vision du monde, une vision de la littérature en l’occurrence, et une façon de s’y insérer en fonction d’influences choisies. C’est d’ailleurs la beauté des filiations intellectuelles : elles peuvent être choisies. Choisies horizontalement si on peut dire, comme réseau d’individus qui témoignent semblablement de leur temps, et qui y agissent aussi semblablement. Réside là la force de penser en communauté, de savoir qui sont ses alliés. Elles sont choisies verticalement aussi par l’élection de prédécesseurs inspirants qui ont tracé une voie, par celle d’un lieu qui fournit un cadre à cette parole commune — ce qualificatif étant bien relatif, car on ne peut croire que chacun des membres fait une profession de foi délibérée et explicite. Le sentiment d’appartenance, au groupe comme au lieu, peut être quelque chose de diffus, de difficilement nommable, mais c’est en somme ce pouvoir d’attraction intellectuel qui supporte l’idée de génération, qui fait qu’un témoin est passé d’un moment à un autre et que le jeu d’influences, au-delà de toutes les précautions rhétoriques d’usage lorsqu’on aborde un concept, est bien réel. Après tout, les vignettes Wikipédia fournissent bien sous certaines figures intellectuelles les sous-titres « influencé par » et « a influencé ». Et si Wikipédia le dit, c’est que ce doit être vrai. Certes, la réorientation de Liberté en 2006 a pu mettre à mal l’idée d’une filiation au sein de la revue, la cohésion des groupes intellectuels dans la période contemporaine étant mise en question par certaines figures tutélaires de la revue, …

Appendices