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  • André Brochu

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  • André Brochu
    Université de Montréal

Connaissez-vous Jacques Boulerice ? Si oui, ce ne sont pas les histoires littéraires ou les anthologies de la poésie actuelle qui vous auront renseigné sur son oeuvre. L’accueil qu’elles lui font est inexistant. Seul le très avenant Dictionnaire Guérin, que je sache, lui ménage une place ainsi que, bien entendu, le Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec, qui vise lui aussi à une honnête exhaustivité. La reconnaissance publique du talent du poète est donc inexistante, ou presque. Pourtant, deux de ses recueils ont paru à l’Hexagone, et un autre avait été édité par Pierre Belfond à Paris. Mais aucune récompense spécifiquement québécoise n’a été décernée à l’oeuvre. Or, après trente ans de publications qui ne comprennent pas que de la poésie, l’auteur vient de faire paraître des Poèmes choisis qui devraient aider à réparer cet oubli. La centaine de pages retenues représente environ le dixième de la production poétique totale. L’auteur a évidemment écarté les textes moins convaincants que les autres. De cette sélection il résulte un corpus homogène et propre à nous introduire dans un univers singulier, dont les qualités d’immédiateté et de franchise sont étonnantes. Voilà une parole humble et directe, qui sait émouvoir. Il est rare, en poésie, que l’expression brute du moi émerveille, rien qu’à afficher sa vérité tranquille. Jacques Boulerice parle beaucoup de lui-même, de ses proches, et pourtant on est aux antipodes du narcissisme. Il parle de son père forgeron, de sa mère éprise des mots et des chansons, d’autres membres de sa famille, avec une tendresse si vraie qu’il transfigure ce qu’il peut y avoir de convenu dans une telle rhétorique familiale. Je pense ici aux Songes en équilibre, de la très éminente Anne Hébert, qui, dans ce premier recueil, s’enlisait dans la sentimentalité facile en campant avec piété l’univers de son enfance. Même voix claire et droite, si l’on veut, que celle d’un Boulerice, mais sans la maîtrise, voire le génie que manifestera plus tard l’auteure du Tombeau des rois. Le titre de l’anthologie personnelle de Jacque Boulerice donne une idée de la voie particulière qu’il emprunte : Je ne sais plus pourquoi je veille. Voilà un énoncé riche de sens, en particulier sous-entendus. Je veille : il peut s’agir, dans une acception tout à fait première, du refus obstiné du sommeil, ce qui nous introduit dans une mince circonstance dont la raison ne nous est pas connue. Mais veiller peut être une métaphore pour désigner une attention à quelque chose de plus vaste, au sens même du monde, de la vie : je ne sais plus pourquoi j’existe et reste attentif à la vérité des choses. L’énoncé est donc compatible avec deux ordres de grandeur, l’un qui est immédiat et concret, l’autre qui nous projette dans une vaste rêverie. Et l’on peut dire que tous les poèmes nous feront osciller d’un de ces types de compréhension à l’autre. Par exemple, les proches du poète, père et mère en particulier, sont à la fois des présences chères et bien matérielles, et d’énigmatiques sauveurs grâce à qui est reconduite la chaleur de l’enfance pendant toute la vie : Reproduit également en quatrième de couverture, ce poème présente une importance particulière. Il résume à sa façon, comme son titre l’indique, la vie de l’auteur tout en la rattachant aux deux figures majeures que sont les parents. Contrairement à ce qu’on trouve dans d’autres textes, comme les poèmes en prose des pages 105 à 109, des notations négatives sont associées à l’un et à l’autre — les « souffles sournois de la forge » liés au père, lequel se destinait …

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