La carrière de dramaturge de Daniel Danis (né en 1962) a débuté voilà une vingtaine d’années avec la création de Celle-là (Théâtre ESPACE GO, Montréal, janvier 1993). Cette production inaugurale, bien servie par une mise en scène inspirée de Louise Laprade et par une solide distribution, n’aura pas connu le succès public escompté… Les critiques et les gens du milieu théâtral ne se sont pas gênés alors pour déclarer péremptoirement : « Ce n’est pas du théâtre ! » En un sens, comme naguère l’emploi péjoratif du terme « impressionniste » pour conspuer la peinture non académique, ce rejet saluait involontairement l’émergence d’une dramaturgie discordante, d’un théâtre-récit polyphonique qui bousculait bon nombre de conventions du drame dialogué, du personnage, de la fable et de l’action. La dramaturgie de Danis fait irruption à la suite de la génération douée des René-Daniel Dubois, Michel Marc Bouchard et Normand Chaurette, laquelle a fortement marqué les années 1980 en s’ouvrant à une pluralité formelle et langagière, propice à l’éclatement du cadre identitaire mis en place par « le nouveau théâtre québécois » dans les décennies précédentes. Danis, pour sa part, se démarque à son tour sur la scène québécoise, parallèlement à Carole Fréchette et à Larry Tremblay — ses aînés dont les oeuvres gagnent alors en importance —, en adoptant certes un registre parlé, mais tantôt familier, tantôt littérarisé, et en détournant le spectateur de l’identification au premier degré par le recours à l’action narrée. Un accueil initial plutôt mitigé n’a pas empêché Danis de persister dans sa démarche singulière de poète postmoderne : son oeuvre comprend à ce jour plus de vingt titres en théâtre, dont six textes destinés au jeune public (sans exclusive) et un livret d’opéra (produit en Écosse, dans sa version anglaise, confiée à la traductrice Linda Gaboriau). Avec les années, la dramaturgie de cet auteur n’a eu de cesse d’avoir un grand retentissement au Québec et à l’étranger, tout particulièrement en Europe, ce que confirment l’attribution de nombreux prix, un grand nombre de traductions en plusieurs langues et un ensemble impressionnant de productions théâtrales. Plusieurs chercheurs n’ont pas tardé à examiner les particularités de cette écriture dans la perspective d’une « dramaturgie de la parole » (notamment Jane Moss), ce qui s’explique aisément par la « surconscience linguistique » qui l’anime à l’évidence. Parallèlement, d’autres analyses se sont penchées sur la tripartition du « parleur » danisien ou sur l’hybridation singulière du dialogue et du récit dans sa dramaturgie, alors que plusieurs autres études ont porté sur un seul texte ou quelques-uns en particulier. En dépit de l’abondance relative et de la pertinence des travaux consacrés à l’écriture de Daniel Danis jusqu’à maintenant, il est apparu nécessaire de mener plus avant la réflexion sur ce corpus, au moment où l’auteur, après une période consacrée à la production scénique d’expériences performatives, annonce son intention de revenir à sa « chambre d’écriture ». Ainsi, le présent dossier se donne-t-il comme principal objectif de fouiller à nouveaux frais les matériaux de l’imaginaire danisien, sous l’angle de leurs substrats dramatico-narratologiques et anthropo-sociologiques. Le théâtre de Danis convoque en effet des mondes où s’entremêlent des réalités on ne peut plus triviales et des composantes animistes, voire surnaturelles. Il s’agit maintenant d’en examiner le fonctionnement et d’en extraire les principes actifs. Si tant est que l’on puisse y dissocier la narrativité en tant que telle de son support langagier, il y a lieu de s’interroger sur les stratégies discursives qui déterminent de telles affabulations, diversement anxiogènes, par lesquelles le « vivre-ensemble » est secoué par des conflits entre la communauté et certains de ses membres …
Daniel Danis. Imaginer des mondes, réinventer le drame[Record]
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Gilbert David
Université de Montréal