ChroniquesEssais/Études

Jadis et maintenant[Record]

  • Krzysztof Jarosz

…more information

  • Krzysztof Jarosz
    Université de Silésie

Comme on pouvait s’y attendre, lorsqu’on lit les textes d’affilée, on éprouve un plaisir incomparable à retrouver d’emblée, dans chacun d’eux, le style et la thématique propres à son auteur. Ce plaisir vient de la reconnaissance, à chaque incipit, de cette « petite musique » des grands romanciers, qu’on connaît si bien pour avoir lu leurs ouvrages de fiction. Les concepteurs du projet ont donné des balises étroites et inhabituelles aux écrivains convoqués ; aussi ne s’étonne-t-on pas qu’ils s’écartent le plus souvent possible du discours métacritique qui leur est imposé en glissant, sans crier gare, vers la littérature. Certains — c’est le cas de Louis Hamelin — mènent leur parcours explicatif en faisant alterner des mini-fictions de leur propre cru avec celles qu’ils empruntent à leurs écrivains favoris ; d’autres, comme Nadine Bismuth, brodent sur des bribes de leurs expériences de lecture et de traduction jusqu’à produire un récit qui couvre presque tout l’espace de leur contribution. Dans ce dernier cas — et en cherchant bien on en trouverait d’autres, peut-être moins voyants —, on observe un curieux va-et-vient entre le vécu, la fiction et la réflexion sur l’art. Censée produire un texte sur sa pratique du roman, Bismuth parle d’abord de son admiration pour Jonathan Franzen, de la traduction d’une de ses nouvelles et de ses tentatives de traductrice admirative pour faire publier cet opuscule dans un magazine québécois. Même sa conclusion est partiellement empruntée à Milan Kundera, ce qui contribue encore à masquer l’écrivaine. Faut-il cependant en conclure que la contribution de l’auteure de Scrapbook constitue un détour pour ne pas parler de sa propre vision de la pratique du roman  ? Oui et non. Oui, parce que Bismuth ne répond pas comme une universitaire. Non, parce que, justement, par le biais de ces réflexions au statut ontologique et générique flou, elle parle, en écrivain, de ce qu’elle entend comme pratique du roman (et de la nouvelle). C’est que tous les romanciers invités oscillent entre la tentative de définir leur façon d’écrire et, de manière toute naturelle, celle de décrire leur propre vision de l’écriture romanesque, de ce que devrait être le produit final de celle-ci, le roman en tant que genre, fût-il écrit de manière on ne peut plus personnelle (ce qui est d’ailleurs la condition sine qua non de la création artistique). C’est une des multiples leçons que le lecteur peut tirer de la lecture de ce recueil. Tout comme Montaigne qui croyait que « chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition  », les écrivains appelés à témoigner de leur praxis artistique confondent souvent leur conception du roman avec le genre lui-même. Cela ne veut point dire qu’ils ne se rendent pas compte de la richesse formelle, stylistique et thématique que sont susceptibles de contenir (et que contiennent) les réalisations de leurs confrères et consoeurs du présent et du passé, comme en témoigne l’« Addendum » que, à la suite d’une intervention survenue pendant le débat, Dominique Fortier se voit obligée d’ajouter à son texte primitif. Partisane de ce qu’elle appelle elle-même le « roman du dehors » (opposé au « roman du dedans » [10]), c’est-à-dire « d’abord oeuvre d’imagination » (11), Fortier proteste « contre une dictature du réel » (20 ; l’auteure souligne) qui serait le fait des extrémistes de l’autofiction, tout en se gardant bien de mettre dans un même sac « les honnêtes praticiens » (20). Signe des temps : sauf erreur, tous les auteurs du livre déplorent la vision du roman et du romancier qu’ont les journalistes et le grand public. « Ce lecteur, que je …

Appendices