Dossier

Transitions et passages dans l’oeuvre de Michael Delisle[Record]

  • Daniel Laforest and
  • Michel Nareau

…more information

  • Daniel Laforest
    Université de l’Alberta

  • Michel Nareau
    Collège militaire royal du Canada

Entre Lèvres urbaines, qu’il contribua à fonder, La Nouvelle Barre du jour, Les Écrits des Forges et Les Herbes rouges, Michael Delisle compte parmi ces écrivains qui circulèrent un peu partout en même temps sur la scène qu’on commençait à dire éclatée de l’exploration littéraire dans les années 1980. Aujourd’hui aux éditions Leméac, au Boréal, ou encore au Noroît, Delisle est un écrivain à qui on a cessé depuis longtemps de demander quelles sont ses allégeances, de même que ses penchants. Désormais, et pour tout dire depuis bon nombre d’années, Michael Delisle est un écrivain dont l’oeuvre parle sa propre langue, et bat en vertu d’un rythme singulier, unique, exceptionnel dans le paysage d’une littérature québécoise qu’on s’évertue, sans trop connaître le sens du mot, à appeler « contemporaine ». Mais justement : peut-être la vraie contemporanéité d’un écrivain se trouve-t-elle dans le pouvoir rare qui consiste à persister dans une présence que l’on ne sent jamais décroître, en dépit des altérations du temps, des générations et des communautés plus ou moins durables qui se succèdent, en dépit, finalement, du fait que tout bouge autour d’elle. L’écrivain contemporain n’est donc pas celui qui accompagnerait seulement son temps. Il est celui qui nous fait croire qu’il pourrait accompagner tous les temps. Le présent dossier est né de la conviction que Michael Delisle est devenu un écrivain contemporain en ce sens. Il est aussi né d’une autre conviction, plus profonde encore, à savoir que Michael Delisle compte parmi les écrivains québécois les plus importants depuis le début des années 1980. Il convient donc d’aborder ce dossier avec l’idée que l’oeuvre de Michael Delisle transcende les effets d’époques. Mais il serait faux de croire qu’elle ne s’attache à rien de tangible, au contraire. Michael Delisle n’est pas un écrivain jeune, au sens d’une relève que l’on chercherait sans cesse ; cependant, il est encore bien moins un écrivain vieux. Il n’est pas non plus un écrivain retranché du monde social ; rien chez lui n’évoque les réflexes d’un loup solitaire. Ses livres collent à notre monde davantage que beaucoup d’autres. Et ses premières armes, il les a faites en groupe, dans les communautés nerveuses du formalisme au lendemain de la Révolution tranquille. Or l’homme qui a connu les fronts communs esthétiques et les clameurs de différents groupuscules est aussi celui dont la poésie s’est mise à évoluer vers une sorte d’ascèse spirituelle, ou plus précisément vers un ciselage patient d’une pensée à mi-chemin entre l’image et le langage, ce que Delisle lui-même compare au pouvoir séculier de l’icône, et dont on peut dire que le recueil Prière à blanc constitue le meilleur exemple. En outre, c’est ce même homme qui, depuis Helen avec un secret, compose des récits mettant en cause la question biographique en même temps qu’il effectue une vivisection tranquille mais implacable des formes de vie quotidienne dont le Québec a hérité depuis l’essor économique de l’après-guerre. Le roman Dée est sans doute le plus connu parmi ces récits-là. Les nouvelles d’Helen avec un secret et du Sort de Fille possèdent une puissance égale. Idem pour le roman Le désarroi du matelot. Le court récit Tiroir no 24 est pour sa part un tour de force de concision qui fait tenir un destin ruiné dans l’étau d’une langue brève, à la justesse terrifiante, et qui à elle seule contient encore toute une époque. On a aussi voulu penser Delisle comme un écrivain de l’urbanité. En effet, il a un temps paru reconduire la tendance ayant germé une décennie avant lui, quand, tant dans les pages …

Appendices