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Le Père, l’oubli[Record]

  • Stéphane Inkel

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  • Stéphane Inkel
    Université Queen’s

Encore faut-il interroger le genre dans sa globalité, dans sa trajectoire sociohistorique et à travers ses partis pris esthétiques. Il est de ce point de vue symptomatique que Décliner l’intériorité, actes d’un colloque s’étant tenu à l’Université du Québec à Chicoutimi en 2007, ayant donc fait l’objet d’un appel à contribution en bonne et due forme, soit majoritairement composé de chapitres qui ont un seul auteur pour objet, de Robert Élie à Jean Simard en passant par Robert Charbonneau, Jean Filiatrault et Berthelot Brunet, pour ne mentionner que les principales figures de ce courant. Il n’y a que la contribution de Pierre Hébert, consacrée à l’évolution du « contrôle clérical » — qui passe de la censure à la prescription à la faveur du système de cote de la revue Lectures des éditions Fides —, et celle de Jean Morency, s’intéressant à « [l]’impact du roman et du théâtre américains sur le roman psychologique des années 1940 et 1950 », qui font exception, sans qu’un chapitre de synthèse interroge le bilan et les impasses du genre. Plusieurs appellations se sont succédé au fil du temps pour le caractériser : roman d’analyse, roman de l’intériorité, roman spirituel ; toutes cherchent à mettre en relief le caractère central de la « personne » au sein de l’intrigue, selon le credo personnaliste des Jacques Maritain et Emmanuel Mounier qui a tant marqué l’histoire québécoise des idées, de La Relève, foyer dont est issu le premier noyau des auteurs du genre, à Cité libre. Aujourd’hui à tous égards surannée, l’« esthétique du péché » (7), par laquelle s’exprimaient les tiraillements d’une « intériorité » aux prises avec les questions morales de l’époque, indique bien les malaises qui accompagnaient la liberté nouvelle née d’une foi désormais livrée à elle-même et anxieuse de renouer avec l’autre, avec qui la communication n’allait plus de soi. C’est ce que Pierre Hébert met en lumière lorsqu’il fait le constat que les deux tendances du roman psychologique, l’introspection et « l’affirmation de soi », et le « pluralisme des valeurs » (16) créent une tension qui ne parvient pas toujours à se résorber. Se proposant de « suivre la réception du roman psychologique dans Lectures [afin de] scruter la perception catholique d’un ensemble de romans qui placent l’individu au centre de leur univers diégétique » (16), cette étude richement documentée montre bien que ce passage d’une « morale pérenne à une appréciation morale qui appartient désormais au sujet » (36) emprunte de plus en plus à une « morale de situation » que condamne l’Église et s’éloigne des principes de « l’humanisme intégral » maritainien qui avait la faveur des acteurs de La Relève. S’appliquant pour sa part à réinscrire l’un des romans les plus représentatifs du genre dans le contexte idéologique qui était le sien, Jacques Pelletier en arrive à des conclusions similaires dans sa relecture de La fin des songes de Robert Élie et des « contradictions internes du personnalisme chrétien » (77-94). En effet, ce roman de 1950 emprunte sa structure principale au dualisme qui en est le fondement, de la dimension matérielle du corps — et sa course effrénée dans l’action — à l’âme déterminée par son rapport à la transcendance, dichotomie représentée dans le roman par les amis et rivaux Marcel Larocque, aux prises avec une crise à la fois amoureuse, professionnelle et religieuse, et Bernard Guérin, avatar de l’homme d’action aux ambitions politiques qui n’hésite ni à s’enrôler lors de la Guerre ni à compromettre ses principes pour arriver à ses fins. Remarquant que les deux personnages se voient …

Appendices