ChroniquesPoésie

Gaston et la gitane[Record]

  • André Brochu

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  • André Brochu
    Université de Montréal

On aurait pu penser que, quinze ans après sa mort, l’étoile de Gaston Miron eût quelque peu pâli au firmament de la poésie québécoise. Il n’en est rien. La célébration de sa mémoire et de ses mérites ne diminue aucunement, loin de là, et un événement considérable vient confirmer l’importance du phénomène : la parution de la monumentale biographie que consacre à Miron l’excellent Pierre Nepveu. Ajoutons à cela un essai, intellectuellement stimulant, de François Hébert. Pour compléter, tout en changeant de registre, j’irai du côté de la poésie féminine, illustrée par un choix de poèmes de Claudine Bertrand. L’oeuvre poétique de Gaston Miron est l’une des plus minces, matériellement parlant, de la littérature québécoise contemporaine : à peine deux cent cinquante pages, en incluant les Poèmes épars  réunis après sa mort. Par ailleurs, Pierre Nepveu est l’un de nos meilleurs écrivains, à la fois romancier, poète et essayiste (en particulier, critique littéraire), et ses travaux sont tous rédigés avec élégance, mais aussi sobriété. On chercherait en vain dans sa prose des traces d’inflation verbale. Comment expliquer dès lors ce prodigieux monument de neuf cents pages  que l’écrivain d’aujourd’hui a dressé à la mémoire du grand poète d’hier ? Tout soupçon de bavardage, de complaisance dans l’anecdote, est à exclure d’emblée. On ne peut que se rendre à l’évidence : Pierre Nepveu a pris la mesure d’une poésie tout à fait exceptionnelle et de la vie à partir de laquelle cette poésie s’est élaborée, et il leur a admirablement rendu justice. Il l’a fait avec une compétence qui s’était amplement constituée à l’occasion de travaux antérieurs. La thèse de doctorat de Pierre Nepveu, rédigée au cours des années 1970, était consacrée en grande partie à l’oeuvre de Miron . Ce dernier est maintes fois cité tout au long d’un essai ultérieur des années 1980 intitulé L’écologie du réel . Pierre Nepveu a aussi signé la préface des dernières éditions québécoises de L’homme rapaillé (celles de 1993, 1994, 1996 et 1998). Il a préparé, avec Marie-Andrée Beaudet, la publication plus récente des Poèmes épars , d’Un long chemin  et de L’avenir dégagé . Comme professeur, il a consacré à Miron un séminaire à l’Université de Montréal de 2002 à 2009, et a organisé, en mai 2004, dans le cadre du congrès annuel de l’ACFAS (Association francophone pour le savoir), un colloque sur le Miron des Poèmes épars. Bref, Pierre Nepveu s’est depuis longtemps qualifié comme l’un des exégètes incontournables de Gaston Miron, il a fait preuve d’un attachement constant pour cet auteur même s’il ne partage pas tous ses « partis pris » politiques, et l’énorme biographie qu’il vient de publier, après plus de dix ans de recherches, porte à leur apogée les mérites déjà accumulés. Neuf cents pages, donc, et de grand format. Le récit d’une vie, mais aussi de l’oeuvre se faisant, depuis les balbutiements jusqu’aux derniers éclats d’une inspiration toujours malaisée. Il fallait le courage intellectuel et le tact de Pierre Nepveu pour mener à bien une tâche aussi exigeante. Car il n’est pas facile de rendre compte d’une personnalité éminemment complexe dont les apparentes naïvetés, la compulsion exhibitionniste, voire le côté bouffon cachent des profondeurs de sentiment et de réflexion appelées à nourrir une poésie étonnante. Il y a un personnage Miron, qui a fasciné les intellectuels, mais aussi les gens plus ordinaires (que le poète, resté fidèle à ses origines modestes, retrouvait toujours avec bonheur). Et il y a l’auteur de vers admirables, parmi les plus beaux vers de langue française au xxe siècle, et qui font de lui l’égal des plus grands. …

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