ChroniquesFéminismes

« D’hier à aujourd’hui, métamorphoses »[Record]

  • Isabelle Boisclair

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  • Isabelle Boisclair
    Université de Sherbrooke

Si l’on schématise à l’extrême, on peut dire que ce sont d’abord les représentations féminines, surtout dans les oeuvres écrites par des hommes, qui retinrent l’attention de la critique féministe, avant que l’on se tourne vers les textes de femmes, à l’affût des jeux d’écriture. En évoluant, les recherches féministes reviennent sur certains points précis, en même temps qu’elles élargissent les champs d’investigation. Ici, l’attention se porte sur l’écriture des femmes dans un genre particulier ; là, les recherches, après avoir envisagé le masculin à côté du féminin, embrassent les postures qui y sont liées. Représentatif du premier de ces mouvements, L’annuaire théâtral présente un dossier sur les femmes dans l’institution théâtrale : « Une dramaturgie à soi : l’écriture du théâtre des femmes au Québec  » ; issu du second mouvement, un essai de Lori Saint-Martin, Au-delà du nom. La question du père dans la littérature québécoise actuelle , se consacre à la figure du père au sein d’un corpus mixte. Ces démarches se complètent : il s’agit, dans un cas comme dans l’autre, de questionner la socioculture qui nous fait, et la place qu’elle réserve au féminin et au masculin. Ce qui étonne au premier chef, sans doute, c’est le rappel que font Jubinville et Forsyth de la réception difficile des deux textes phares que sont La nef des sorcières et Les fées ont soif. Si ces pièces sont aujourd’hui intégrées au canon du théâtre féministe québécois, elles ont d’abord été disqualifiées par maints critiques, sous le prétexte de leur manque de théâtralité , comme si le monologue ne suffisait pas, comme s’il n’était pas une forme délibérément utilisée pour signifier quelque chose — l’isolement des femmes à la veille de la « révolution »  —, comme s’il ne constituait pas en lui-même une forme spécifique de l’écriture dramatique. Or, au sujet de ces diverses perceptions, il n’est pas superflu de rappeler ces propos de Françoise Collin, selon qui il y a L’étude de Jubinville sur la réception critique des Fées ont soif cautionne cette analyse ; tout au moins elle rappelle que ce phénomène a existé, un temps — au moment où se faisaient entendre ces voix de femmes qui, visiblement, ne parlaient plus comme avant, exprimant aussi bien le ressentiment que la revendication. Moment de rupture, donc, qui déstabilisa certainement les récepteurs, nourris jusque-là de la seule perspective masculine sur les femmes. Plus personne aujourd’hui ne songerait à remettre en question la théâtralité de la pièce de Boucher — surtout pas sous prétexte qu’il y a peu d’intrigue. Or, l’étude de Forsyth à propos de La nef des sorcières le souligne, la réception de ces pièces au moment de leur création a fait défaut : « La plupart des critiques adoptèrent une attitude très négative. L’essentiel de leurs reproches, de nature surtout idéologique, se dissimulait souvent derrière une version de la déclaration péremptoire suivante : le spectacle n’était pas du théâtre » (36). La dramaturgie contemporaine valide a posteriori, d’une certaine façon, les explorations menées par les femmes à cette époque. Mais l’examen de leur réception immédiate montre que, de la raillerie à la condescendance, les femmes ont été victimes d’un establishment critique largement dominé par les hommes. Les expérimentations formelles ne furent pas reconnues, là même où elles interrogeaient les « présupposés sexistes, voire misogynes [qui] détermin[ai]ent le sens de ce qu’on entend[ait] habituellement par le concept de théâtralité » (37), et sur lesquels le répertoire est fondé, avec son lot d’intrigues et de motifs puisés à même la subordination des femmes dans l’espace social. Il s’agissait, donc, de « re-sémiotiser la …

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