L’élément déclencheur des événements principaux du roman de Monique LaRue, L’oeil de Marquise , est le référendum sur la souveraineté du Québec de 1995 et plus particulièrement la tristement célèbre déclaration de Jacques Parizeau qui imputait la défaite du Oui à l’argent et à « des votes ethniques ». Ce qu’on a tendance à oublier, c’est ce que Parizeau affirmait péremptoirement vers le début de son discours : « On va parler de nous. » C’est justement à ce nous que LaRue s’attache, celui des descendants de vieille souche française ; elle observe comment il s’est formé et transformé, comment il s’est adapté ou non aux nouvelles réalités sociodémographiques, et elle essaie de comprendre si ce nous exclusif possède encore un sens. C’est une question qu’elle avait préalablement abordée dans L’arpenteur et le navigateur, opuscule repris dans le recueil d’essais De fil en aiguille : « Le “nous” de monsieur Parizeau ne peut donc pas être exactement le même que celui de l’abbé Casgrain, et si l’identité ethnique est une identité transmise, elle est aussi une identité acquise. […] Et elle bouge ! » Dans son dernier roman, LaRue revient donc sur un moment historique récent et tente de mesurer les conséquences qu’il a entraînées sur la famille Cardinal. La situation est présentée à travers le regard de Marquise, la narratrice, qui expose surtout les points de vue opposés de ses deux frères : Louis, l’aîné, farouche défenseur de la souveraineté politique du Québec, de l’histoire de ses ancêtres, et Doris, le cadet, qui s’oppose quant à lui à tout ce que représentent son frère et son père et les accuse de racisme. La romancière ne se contente toutefois pas d’incarner des positions politiques contraires — Doris a-t-il « annulé » le vote de son frère ? — ; elle s’interroge beaucoup plus sur la relation de chacun des frères avec la tradition et l’altérité. La partie initiale du roman explore la « chicane » entre les deux frères, qui perdurera. Les quatre autres parties suivent chronologiquement la première, à l’exception de la très courte troisième partie, principalement réflexive, qui correspond au moment du début de la dernière. L’ensemble couvre une période d’un peu moins de quinze ans, soit de 1995 à 2008, mais plusieurs retours en arrière nous permettent de connaître l’histoire familiale des Cardinal et celle de leur locataire à une certaine époque, Rainier-Léopold Osler, un Belge au passé complexe qui a épousé la cause de la libération du Québec dans les années 1960 et qui a exercé une influence réelle mais variable sur toute la famille. Dans ce roman social et familial, LaRue n’hésite pas à reprendre un ensemble de procédés conventionnels : plusieurs personnages, nombreuses situations, intrigues tarabiscotées, rencontres intempestives, histoires d’amour passionnées, sans compter une certaine irrévérence à l’égard de la vraisemblance. Marquise et ses frères se retrouvent au centre d’une galerie de personnages dont l’interaction finit par mettre en place un portrait original de la société actuelle. Bref, LaRue a composé ce qu’elle appelle un « roman-roman […], sans guillemets et sans bémols », misant moins sur la recherche d’une forme nouvelle que sur l’inventivité. Un deuxième événement à caractère politique marque le récit raconté par Marquise et c’est Osler qui en est à l’origine : en 1966, il pose une bombe devant un édifice fédéral qui cause la mort du concierge, Peter Graham ; Louis Cardinal conduisait la voiture volée qui transportait Osler ce jour-là. Purement romanesque, cet épisode n’est pas sans rappeler l’attentat du FLQ qui a tué Wilfred O’Neill en 1963. Quant à l’énigmatique Osler, ce personnage évoque la …
La chance de l’amour ?[Record]
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Pascal Riendeau
Université de Toronto