Chroniques : Dramaturgie

Le moi et ses doubles[Record]

  • Lucie Robert

…more information

  • Lucie Robert
    Université du Québec à Montréal

Est-ce l’économie ou est-ce le besoin d’identification qui motive la crise du moi dans les textes dramatiques récents ? L’économie, peut-être un peu, parce que cette crise donne naissance à des petites pièces, pingres de moyens et de propos, à des pièces brèves le plus souvent, n’exigeant qu’un décor minimal et un ou deux, parfois trois comédiens, au plus. L’identification aussi, sans doute, quand l’auteur dramatique replace son écriture au coeur de l’esthétique théâtrale et qu’il se met à réfléchir à sa démarche, créant des personnages qui ne peuvent être que des copies inversées de lui-même ou des représentations fantomatiques de ses angoisses. Faux monologues, instantanés, projections concentrées sur un moment particulièrement révélateur, comme les quelques heures qui précèdent la mort, les pièces dont il est question ici ont en commun d’explorer divers procédés de dédoublement, révélant une scission entre le moi et l’autre, son double. Pour un auteur dramatique, cet autre est parfois l’acteur ; pour l’acteur, il est souvent le spectateur. Tous ces autres contribuent à la construction du moi qui forcément leur résiste. Aussi arrive-t-il que le personnage perde son identité voire son unicité : il se multiplie ou se dissout ; il se répète, refait un geste, réitère une parole, revit, mais dans un autre lieu voire dans un autre temps. Tout se passe comme si le moi était peut-être celui qui avait survécu à la présence de l’autre. Rien ne saurait mieux rendre compte de ce type de théâtre que la pièce de Larry Tremblay, Le problème avec moi , produite par le théâtre Omnibus et créée en novembre 2007 à l’Espace Libre dans une mise en scène de Francine Alepin, puis reprise en avril et mai 2009 au Théâtre Périscope à Québec. Non seulement Larry Tremblay donne-t-il une seconde vie au personnage de Léo, que nous connaissions déjà par Le déclic du destin (1989), mais il lui adjoint, comme en miroir, un sosie quasi homonyme, Léø. Dans la préface, Tremblay explique : « Dans le premier texte, je pose cette question : “qu’arrive-t-il quand il y a trop de moi pour un corps ?” Dans le second, celle-ci : “qu’arrive-t-il quand il y a trop de corps pour un moi ?” Ces deux questions, au fond, ne font qu’une. Cependant, le théâtre permet de s’en amuser. » (5) Léo et Léø entrent donc en scène vêtus de la même manière, portant des accessoires semblables, mais ils ne se connaissent pas. Ils viennent tout juste de se rencontrer, chacun croyant que l’autre lui a volé son sac (puisque les sacs sont évidemment identiques). Peu à peu, ils se découvrent non sans une certaine inquiétude, se mirant l’un dans l’autre, mais (et comme dans une glace) à l’envers l’un de l’autre. Car Léo et Léø ne sont pas la même personne, comme si le clonage avait eu lieu la veille ou le matin et que depuis, leurs destins s’étaient légèrement séparés : le premier est plus ancré dans la réalité quotidienne, plus heureux aussi, le second, un peu mythomane et du genre inquiet ; le premier a écrit aux journaux, le second a oublié. Ainsi de suite. Progressivement, la rencontre trouve ses modèles et ses images récurrentes, tel le personnage interprété par Antony Perkins dans le Psycho de Hitchcock, qui est lui-même un peu le docteur Jekyll et Mr Hyde. Léo et Léø se révèlent ainsi des doubles inversés. Le bonheur du premier soulève l’ire du second qui témoigne d’une certaine violence : « Tu as le don de m’énerver. » (23) Dans une finale digne de La cantatrice chauve, les deux personnages, toujours en …

Appendices