Quels sont les enjeux de l’écriture dramatique au Québec aujourd’hui ? Cette question essentielle, pour laquelle le présent dossier formule une série de réponses, invite à poser le problème préalable de la nature même du métier d’auteur dramatique. Qu’est-ce au juste qu’écrire pour le théâtre ? Formuler les choses ainsi suppose que, dans ce domaine, plusieurs des certitudes qui ont longtemps contribué à façonner l’image de l’auteur sont aujourd’hui ébranlées. Plus que jamais, celui-ci se présente comme un être multiple surgissant parfois là où on l’attend le moins ; au fil des années, la critique a tantôt parlé à son sujet de « disparition » et tantôt de « retour ». Dans le contexte global de l’évolution des pratiques théâtrales, son importance est donc devenue relative. Pareil constat ne saurait faire oublier qu’au Québec, le désir d’écrire pour la scène semble être inversement proportionnel au prestige déclinant de l’auteur dramatique. Depuis le poste d’observation que constitue le Centre des auteurs dramatiques, institution phare dans le milieu théâtral québécois depuis son apparition en 1965, il ne fait aucun doute que l’activité dramaturgique déborde, ici, de vitalité. Affluence des textes, nombre grandissant de candidats à la profession, nette progression des activités d’accompagnement (dramaturgique) des auteurs, popularité des lectures publiques… Autant d’indices qui, au surplus, ne donnent aucun signe de fléchissement. La quantité ne dit pas tout, peu s’en faut, car il ne faudrait pas se méprendre sur le sens et la valeur du phénomène. Elle nous oblige, à tout le moins, à reconnaître la persistance d’un modèle culturel qui a certes mis du temps à s’imposer mais qui n’en finit pas non plus de rallier des adeptes et d’inspirer, envers et contre tout, des vocations nouvelles. Une ombre plane au-dessus de ce dossier consacré à l’auteur dramatique québécois : celle de l’auteur triomphant, célébré, qui a fait la fortune du théâtre québécois naissant et qu’incarne bien la figure dominante de Michel Tremblay. Ce dernier n’a pas cessé d’écrire pour la scène ; ses nouvelles pièces nous parviennent avec la régularité du métronome ; les plus anciennes sont rejouées périodiquement et ne manquent pas de créer chaque fois l’événement. Et pourtant, ce n’est pas tant la présence réelle de l’oeuvre de Tremblay qui donne la plus juste mesure de ses retombées mais bien l’horizon de possibilités que celle-ci a permis d’ouvrir à ceux et celles qui ont, par la suite, marché dans son sillage. Depuis les années 1970, deux générations d’auteurs dramatiques ont poursuivi, révisé et accompli le projet, formulé avec Les belles-soeurs, d’inventer une parole dramatique prenant sa place et opérant au coeur même de la cité. S’il faut parler d’héritage à propos de Tremblay, celui-ci n’est pas à chercher du côté d’une ontologie québécoise affirmée, comme on aime souvent à le dire, mais bien dans cette efficacité du dire dramatique, dans cette volonté de faire résonner le théâtre au-delà de ses propres frontières et, enfin, dans l’idée de l’oeuvre qui oriente le geste de l’auteur en direction d’un agir collectif. L’attachement à cette image glorieuse, ou simplement positive, de l’auteur fournit une part d’explication à la situation paradoxale de la dramaturgie québécoise contemporaine que décrit lucidement Lise Vaillancourt dans l’entretien publié dans le présent dossier. Elle y rappelle que plusieurs auteurs, lors des États généraux du théâtre professionnel tenus à l’automne 2007 à Montréal, sont venus faire entendre à leurs collègues de la profession théâtrale et à l’État, censé appuyer les initiatives de développement du milieu, la nécessité de réhabiliter la fonction d’auteur pour qu’elle traduise sa contribution réelle à la vie théâtrale. Mais au-delà du portrait que tracent les …
Auteur dramatique à l’oeuvre[Record]
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Yves Jubinville
Université du Québec à Montréal