Dossier

Entretien avec Louise Dupré[Record]

  • Janet M. Paterson

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  • Janet M. Paterson
    Université de Toronto

Certaines questions se posent cependant aujourd’hui : comment écrire la blessure dans un monde de « reality show » où l’individu adore s’exhiber pour avoir ses quinze minutes de gloire ? Comment faire en sorte que la blessure ne se donne pas en spectacle, que l’écriture de la blessure ne devienne pas sensationnaliste ? Je crois que c’est en gardant une pudeur, en essayant de travailler à une voix qui peut parfois pleurer, parfois crier, parfois haleter, parfois montrer sa colère, mais refuse le tape-à-l’oeil. Une voix qui sait malgré tout garder une distance avec les faits… C’est ce que permet justement le travail de l’écriture. J’ai connu la littérature québécoise à l’université, avec Joseph Bonenfant et Antoine Sirois. J’ai découvert Laure Conan, Albert Laberge, Gabrielle Roy, Anne Hébert. Et des poètes comme Saint-Denys Garneau, puis l’Hexagone. J’ai d’ailleurs fait ma maîtrise sur Fernand Ouellette. La lecture de Dans le sombre avait été pour moi une révélation, pour l’alliance entre la sexualité très prégnante et la spiritualité. Puis, comme je l’ai précisé, j’ai découvert les poètes de la modernité québécoise. C’est dans Voix et Images que j’ai publié mon premier compte rendu : il portait sur Veiller ne plus veiller de Michel van Schendel. Mais souvent dans un texte, un seul objet recrée tout un monde, la tasse de thé dans Tout comme elle, par exemple. La mère ne boit ni du vin ni du café, mais du thé. Ce sont sans doute mes origines sherbrookoises qui reviennent. Sherbrooke, à l’origine, était une ville loyaliste. Et certaines habitudes anglophones sont restées dans les coutumes, même si la ville est devenue francophone avec le temps. J’ai eu l’occasion de revoir Tout comme elle récemment, lors du lancement de la vidéo du spectacle, réalisée par Jean-Pierre Masse. Peut-être la violence est-elle plus explicite visuellement que quand on lit le texte. Chose sûre, certains tableaux portés par une voix de mère, comme d’autres portés par une voix de fille, sont très durs. Pour le deuxième acte, je me suis d’ailleurs inspirée de la relation de madame Claudel avec ses deux filles, Camille et Louise. Relation dévastatrice pour Camille, on le sait. Votre question me fait réfléchir aussi à la violence dans la société. On est habitués à considérer comme violents des faits spectaculaires : des assassinats, du terrorisme, des viols, etc. Mais il se vit aussi beaucoup de violence dans les rapports humains : les rapports amoureux, les rapports entre parents et enfants, et même les relations en milieu de travail — une remarque méchante, blessante, par exemple. La violence et la blessure sont étroitement liées. Ce qui m’intéresse dans l’écriture, c’est la violence ordinaire, celle qu’on ne remarque pas parce qu’elle fait partie de la vie, qu’elle ne porte pas le nom de violence. Ceci dit, je ne vise pas à montrer la violence pour la violence : je trouve qu’actuellement, il y a dans notre culture une valorisation de l’esthétique de la violence parce que celle-ci est rentable. On aime les films « coup-de-poing », les oeuvres « bruyantes », on confond souvent la force de l’imaginaire avec les situations extrêmes. Je ne veux surtout pas en rajouter, ni exposer la violence pour l’exposer, mais essayer de la comprendre. J’essaie de mettre une tension dans mes textes entre cette présence de la violence — et parfois de la cruauté — et la douceur, un mot d’un autre siècle mais qui, pour moi, est important et qu’il faut rapatrier. Cela dit, je n’ai jamais voulu tomber dans l’autre travers, c’est-à-dire m’en tenir aux happy few. Il peut y avoir dans …