Les pièces dont il est question plus loin marquent toutes bien nettement la présence de l’écrivain au théâtre. Il ne s’agit plus simplement de mettre en abyme une oeuvre qu’un personnage lirait ou écrirait en scène ou de représenter un dialogue entre un auteur et un acteur (généralement en ce cas, plutôt une actrice), encore que ce modèle existe toujours et qu’il ait peut-être été comme un indice annonciateur. Il s’agit plutôt d’affirmer l’importance de l’écriture et la résurgence de l’existence textuelle (voire littéraire) du théâtre. Plus nombreux qu’autrefois sont les auteurs dramatiques qui prennent la peine de publier leurs textes, souvent encouragés par les nouvelles maisons d’édition (dont l’existence même confirme ce fait), mais aussi plus nombreux sont les écrivains qui viennent ou qui reviennent au théâtre. Si l’auteur ne fait toujours pas autorité sur scène (là n’est pas son lieu, qui appartient au metteur en scène), il s’impose de nouveau comme actant de première importance. Forcément, le retour de l’écrivain au théâtre (de l’écrivain tout court et non seulement celui que Michel Vaïs désignait sous le nom d’« écrivain scénique ») a pour conséquence un certain déplacement de l’écriture dramatique, non plus seulement centrée sur les besoins de la représentation (proposant un texte elliptique, écrit comme une partition et conçu pour laisser la plus grande place à l’acteur), mais également destinée à la lecture : « C’est important que le texte soit publié… et qu’on puisse voir clairement ta part de création », dit Brigitte Haentjens à Louise Dupré, dans la conversation qui suit la publication de Tout comme elle . C’est là quelque chose de neuf chez les metteurs en scène que cette humilité qui rend justice aux maîtres des mots. Rien ne montre mieux l’importance qu’a récemment prise l’écriture dramatique que le simple fait que Robert Lepage ait entrepris de publier ses pièces. On aurait pu croire que la publication, il y a deux ans, de La trilogie des dragons , avait été un accident de parcours ; que Lepage avait publié ce texte, d’une part en réponse aux demandes insistantes des uns et des autres, d’autre part, parce qu’il en avait fini avec cette production et qu’elle avait atteint sa forme définitive. Toutefois, la parution récente de deux autres pièces, La face cachée de la lune et Le projet Andersen , laisse supposer un virage chez l’acteur scénographe, qui se conçoit peut-être même désormais aussi comme un écrivain. On sait, depuis le début de sa carrière, que la dramaturgie de Robert Lepage naît de la rencontre entre un thème et une scénographie, que le thème lui-même superpose toujours deux temps : un passé (un lieu, un personnage ou une oeuvre source) et un présent (tout entier concentré dans un personnage de créateur en action), que le tout s’inscrit dans une démarche essentiellement autobiographique, et que celle-ci est à la fois fragmentaire (c’est-à-dire qu’elle ne propose aucune vision d’ensemble de la « vie ») et menteuse (c’est-à-dire qu’elle entremêle les expériences vécues et la fiction). Quant à la scénographie, celle-ci a fait l’objet de tant de commentaires, qu’il n’est peut-être pas nécessaire d’y revenir ici, sinon pour rappeler son caractère déterminant, car c’est de sa réalisation que dépend l’existence même de la pièce. Aussi, chacun des textes dramatiques que publie Lepage est-il accompagné d’une description précise du mécanisme scénique qui a présidé à la représentation. Dans La face cachée de la lune, ce mécanisme est un mur pivotant à trois faces et à basculement vertical, dont le mouvement entraîne à la fois un changement de temps et de lieu dans la fiction. Dessins, croquis et …
L’écrivain au théâtre[Record]
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Lucie Robert
Université du Québec à Montréal