Michel Beaulieu est incontestablement l’un des poètes les plus importants de la génération qui émerge vers 1968, fortement marquée par la contre-culture américaine et par le formalisme français. Son oeuvre compte une trentaine de recueils de poésie, dont plusieurs livres d’artistes, trois romans, une pièce de théâtre, plus d’une quinzaine de pièces radiophoniques, des traductions et de très nombreux textes critiques qui témoignent d’une curiosité exceptionnelle pour la poésie contemporaine d’ici et d’ailleurs. Beaulieu participe à la vie littéraire montréalaise, principalement durant les années 1960, alors qu’il fonde les Éditions Estérel (1964) et crée l’éphémère revue Quoi (1967) où se rassemblent des écrivains aussi différents que Nicole Brossard, Gilbert Langevin et Victor-Lévy Beaulieu. Il obtient un premier prix littéraire important avec Variables (Prix de la revue Études françaises) en 1973, mais s’impose surtout au tournant des années 1980 avec ses recueils Visages (Prix du Gouverneur général du Canada, 1981) et Kaléidoscope ou Les aléas du corps grave (Grand prix du Festival de poésie, 1985). Au-delà de ces marques de reconnaissance, c’est bien davantage l’ascendant de Michel Beaulieu sur des poètes québécois plus jeunes qui le distingue : Pierre Nepveu, Hélène Dorion, Paul Bélanger, Guy Cloutier, Rachel Leclerc, parmi d’autres, lui rendront hommage de diverses manières, comme à une sorte de modèle contemporain. Cela dit, en dehors de quelques poètes et critiques fidèles à sa mémoire, il faut bien convenir et s’étonner du fait que l’oeuvre de Beaulieu est tombée, depuis sa mort, dans un oubli relatif. La bibliographie publiée dans le cadre de ce dossier en témoigne. À quoi tient ce silence ? Comme d’autres poètes qui émergent après la période de gloire incarnée par les poètes du pays, Michel Beaulieu est sans doute victime d’une certaine marginalisation de la poésie elle-même qui n’occupe plus, après la première Nuit de la poésie de 1970, la place centrale qu’elle a eue durant la décennie précédente. Plus encore, à l’instar de poètes comme Gilbert Langevin ou Juan Garcia, Beaulieu ne cherche pas à rompre avec les poètes du pays comme voudront le faire de nombreux jeunes poètes associés aux Herbes rouges et à La Barre du jour. Il se trouve ainsi dans un entre-deux qui le rend difficilement situable. Cela dit, il est extrêmement présent sur la scène de la poésie québécoise et s’impose rapidement comme une des voix les plus originales de la nouvelle génération. Son écriture marque le passage de la poésie du pays, centrée sur les éditions de l’Hexagone, aux avant-gardes des années 1970, puis à la poésie intimiste propre aux années 1980. Lire la poésie de Beaulieu, c’est suivre l’évolution de la poésie québécoise au cours de cette période riche en mutations de toutes sortes. Beaulieu participe aux premiers numéros de La Barre du jour ; selon Claude Beausoleil, c’est même son témoignage sur Borduas (simplement intitulé « Texte »), publié dans le numéro spécial de la revue consacré aux automatistes (1968), qui aurait amorcé, au Québec, la série d’écrits désignés comme formalistes. Au même moment, Beaulieu montre son irrévérence en publiant — de façon confidentielle il est vrai —, aux Éditions de l’Obscène Nyctalope, un court recueil provocateur intitulé X, où chacun des vingt-six chapitres est chapeauté d’une lettre de l’alphabet, qui apparaît comme un abécédaire de la conquête de l’amante. La libération sexuelle de même que l’expérience des drogues font désormais partie de l’univers thématique de cette poésie résolument impudique. Ces thèmes, fortement liés au corps et à la vie urbaine, s’accompagnent de recherches formelles dont on voit les traces dans ses deux premiers romans, Je tourne en rond mais c’est autour de …
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Michel Biron
Université McGillFrédéric Rondeau
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