Dossier

Soirée bénéfice pour tous ceux qui ne seront pas là en l’an deux mille[Record]

  • Dominique Lafon

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  • Dominique Lafon
    Université d’Ottawa

Je dois ce statut de dépositaire, bien sûr, à une longue familiarité avec l’écriture de Michel Marc Bouchard, mais aussi, et surtout, aux circonstances qui ont entouré la naissance de cette pièce qu’il conçut alors qu’il était, à Ottawa, directeur artistique du Théâtre d’la Corvée qu’il s’empressa de rebaptiser sous le nom de Théâtre du Trillium, nom sous lequel il est encore connu aujourd’hui. Cette direction artistique fut douce à notre amitié puisqu’elle abolissait, quelques jours par semaine, la distance qui sépare Montréal de la capitale fédérale. C’est donc tout naturellement que je fus conviée à me joindre non pas à « une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exécution n’aura point d’imitateur  », mais à des rencontres qui font désormais partie de tous les works in progress de la modernité, au cours desquelles le dramaturge veut éprouver, réviser, commenter avec les comédiens et le metteur en scène une oeuvre déjà écrite… sous le bienveillant regard d’une équipe de télévision. Quatre versions furent ainsi conçues dans un jeu de remaniements qui étaient autant de concessions aux participants qui ne laissaient pas leur place : Brigitte Haentjens, Robert Bellefeuille, Robert Marinier et Anne-Marie Cadieux n’étaient pas encore au pinacle de leur carrière, mais ils montraient déjà de belles prédispositions au vedettariat. Ce fut donc toute une aventure qui se solda par une sorte de compromis étrange selon lequel les comédiens en représentation lisaient le texte (avec lutrins), mais utilisaient aussi l’espace au centre duquel trônait, le mot n’est pas trop fort, une vraie grosse voiture dont l’installation coûta une petite fortune. Voilà pour l’anecdote et les souvenirs. Il faut dire que la voiture est essentielle à une pièce dont la situation initiale est provoquée par une panne au bord de la route au beau milieu d’une forêt qui, à défaut d’être profonde (elle se limite à une mince rangée d’arbres), semble déserte. C’est le 31 décembre 1999 et les étoiles filent dans le ciel comme pour annoncer une imminente apocalypse. La famille dont les membres sortent les uns après les autres de la voiture est, elle aussi, en panne ou, pour prendre un terme qui fait florès en psychologie, totalement dysfonctionnelle. Les fils Bruno, Martin et Pierre-Louis sont d’une agressivité extrême à l’égard de leur mère Mathilde, présidente des Fourrures Mercier, alors que Lili, la fille de Bruno, se mure dans un mutisme hostile. Deux personnages secondaires complètent la scène domestique, deux femmes au service de la famille : Nathalie, employée d’une agence d’escorte qui sert de « couverture » à Pierre-Louis pour dissimuler son homosexualité, et Flora, une violoncelliste brésilienne, souvenir de voyage de Mathilde. Dans les premières versions, une mise en abyme se dessine, donnant à croire que toute la pièce est un fantasme de Lili, l’actualisation de son journal intime dans lequel elle imagine une révolte des enfants, une insurrection planétaire qui oblige les parents à fuir leur progéniture ou à l’exterminer avant qu’elle ne leur fasse un mauvais sort. En attendant, les enfants regroupés en hordes sauvages brûlent et saccagent tout sur leur passage. Cet imaginaire vengeur est inspiré à Lili par un traumatisme de sa propre enfance qui s’est produit dix ans plus tôt alors qu’elle a vu, du haut de l’escalier menant à sa chambre, son père Bruno battre violemment Nathalie, sa mère. Celle-ci, prise de boisson, lui avait annoncé qu’elle était atteinte d’une maladie mortelle transmise par un amant de passage. La référence au sida est implicite, mais ce n’est pas la seule évocation des maux qui frappent ce monde en furie : pêle-mêle sont évoqués la misère du Tiers-Monde (par le biais …

Appendices