Dossier

Entre identité et identitaire[Record]

  • Shawn Huffman and
  • Dominique Lafon

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  • Shawn Huffman
    Université du Québec à Montréal

  • Dominique Lafon
    Université d’Ottawa

En décrivant le théâtre québécois des années 1980, on établit souvent une relation de cause à effet entre l’échec du premier référendum sur la souveraineté-association et l’émergence d’un théâtre décrit comme étant plutôt intimiste , apolitique  et éclaté alors que la scène québécoise de la décennie précédente avait, surtout sur le plan poétique, pleinement participé aux aspirations d’indépendance du pays. Françoise Loranger et Robert Gurik, pour ne nommer que ceux-là, représentent une génération de dramaturges pour qui le théâtre est surtout un lieu de contestation politique et sociale. Il faut admettre que cet engagement contestataire est bien dans l’air du temps : le Living Theater à New York, les expériences théâtrales issues de Mai ‘68 à Paris et le Théâtre de l’opprimé à São Paulo exemplifient le rôle du théâtre dans la vie sociale et politique un peu partout dans le monde. Comment comprendre ce qui arrive, du moins dans l’univers assez restreint du théâtre québécois, à la suite de l’échec du référendum ? S’agirait-il d’une remise en question collective de la notion même d’identité québécoise dont Michel Tremblay, dans ses pièces et dans ses entrevues, décrit souvent l’ambivalence, voire l’inauthenticité latentes et que le résultat du référendum aurait exacerbées ? Ou faut-il plutôt interpréter ce ressac comme l’effet d’un traumatisme collectif provoqué par l’idée d’avoir perdu, peut-être à jamais, l’espoir d’une nation ? Dans Cabaret neiges noires, Dominic Champagne reprend le titre de l’écrivain nationaliste Hubert Aquin pour mieux souligner une profonde aliénation vis-à-vis du récit unificateur nationaliste et en faire un cri de désillusion. Quoi qu’il en soit, le résultat du référendum force le récit nationaliste à céder la place à d’autres préoccupations et à d’autres esthétiques qui sont déjà en place, mais qui étaient jusque-là restées dans l’ombre. Le théâtre de Réjean Ducharme ou encore celui du Théâtre Expérimental de Montréal, fondé en 1975, illustrent ces premiers flirts avec la métathéâtralité, la discontinuité et le fragment qui font écho aux pratiques scéniques en émergence un peu partout en Europe et aux États-Unis et qui exerceront une influence indéniable sur la dramaturgie québécoise . C’est dans ce contexte global de la postmodernité qu’émerge, au Québec, un théâtre qui participe de cette esthétique mondiale, mais qui aura ses propres couleurs. En 1980, la création presque simultanée de Panique à Longueuil, de René-Daniel Dubois, et de Rêve d’une nuit d’hôpital, de Normand Chaurette, suivie en 1981 par l’épopée Vie et mort du Roi Boiteux de Jean-Pierre Ronfard, marque le début de ce que l’on nommera « la nouvelle dramaturgie  » caractérisée par une sorte de repli sur soi exprimé par toute une série d’interrogations autour de l’identité plutôt que de l’identitaire. C’est dans ce courant qu’émerge, en 1984, la production de Michel Marc Bouchard dont la famille, la sexualité et le rôle de l’individu-artiste constitueront les principaux lieux et sujets de réflexion. Ce dossier est l’occasion, sinon d’une synthèse, du moins d’une relecture qui nous a permis de retracer les pistes d’une production touffue comme la forêt qui isole le Saguenay-Lac-Saint-Jean du reste du monde. Balisant quelques-uns des chemins parcourus par Michel Marc Bouchard, les titres de la quinzaine de pièces que comprend désormais le corpus bouchardien nous ont invités à nouer les fils d’une inspiration baroque qui conjugue le mythe, l’intime, le tragique et le mélodrame, la poésie et le calembour. Au commencement étaient la fascination pour la tragédie grecque (Chrysippe), une certaine forme d’engagement social (écologiste) ainsi que le goût des couplages provocants, qui associent Chrysippe à Tanguay et la préservation de la nature au désir d’enfant d’un homosexuel. La contre-nature de Chrysippe …

Appendices