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Tatouage [1]
L’expression graphique des images de l’âme
Le corps en tant que « lieu de création »
Assaille le niveau de conscience
moyen d’accéder à l’informulable
en lui donnant une structure visible.
La fine démystification de la tradition orale
le tatouage est l’excès de tout corps
voué à l’excessive blessure
de « l’effacement »
le tatouage doit se situer
dans la pure symétrie du désordre
Les scarifications radicales et rockers de la poésie.
Les tatoueurs seront spatiaux
et fluorescents.
Le culte de la laideur qui est aussi
un grand art (ex. Spider Webb)
doit contrer les déesses et amazones
du désir.
Le tatouage est un effet secondaire de l’absolu
Un corps tatoué transcende sa définition toute dialectique
autre qu’[illisible]
C’est un corps fermé, ouvert qu’à la mort
déjà représentée, fuyante et apaisé[e]
par son interprétation souvent fulgurante.
N’oublions pas que le tatouage du poète
constitue son testament biologique :
des marques de Caïn
comme autant de cosmétiques
pour peau délicate.
Justice poétique [2]
La poésie est un geste libre n’ayant d’autre but que de renverser son inexistante identité sociale.
Lorsqu’à la première réunion de l’Association des poètes du Québec l’on entend déclarer avec un air sous-entendu, emprunté au plus béat folklore d’anarchie granole, que si quelqu’un d’entre nous occupe un poste, ce le sera à titre honorifique, on est en droit de se demander si cette Association, avec son président honorifique et ses deux vice-présidents sous-honorifiques, a peur de répondre des actes poétiques des membres de l’aile sur-radicale de l’Association, déjà identifiée sous l’appellation de « Les blessés concrets du suprême souffrant » ; illuminés, dangereux et techniquement implacables.
Il y aura des gestes poétiques de niveau terroriste. Plus clairement, une action terroriste répétée au nom de la poésie qui, soit dit en passant, exprime aussi le désespoir.
Attention de se méprendre en supposant que, pareils aux Indiens, tout ce que veulent ces poètes « c’est un pepsi, pis un gros char » (dixit Péloquin). À cette question s’en ajoute une autre encore plus primordiale pour les non-buveurs « d’eau de mains lavées ».
Que faut-il penser, lorsqu’on entend Madame Nicole Brossard de l’Académie des Lettres du Québec, proclamer bien haut que « Pierrot “le fou” Léger ne fait pas partie de la littérature » sinon que la poésie est un luxe devant nécessairement être représentée par les Jérôme Choquette de la création. Ce n’est pas Trois-Rivières, la capitale de la poésie, c’est Outremont.
J’ai toujours été pour le coup d’éclat. Mes armes sont les mots que je veux tatoués dans l’obscénité ravageuse de la douleur.
Soyons clairs. S’il y a des textes à publier, il y a surtout des tracts à distribuer décrivant les états illégaux de la pensée et de l’amour : des feuillets brûlants au coin des rues froides et sans espoir.
Comme l’a si bien laissé entendre notre président, ce que nous voulons, c’est de l’argent — être payé en terme(s) poli(s) — et j’ajoute, pour payer la traite à notre solitude, car c’est l’indifférence qui tue.
Écrire, c’est une mort non-assistée dans la chambre sale de la rue débandée. Brûlée dans la discipline de l’anarchie en toute droite et froide lucidité.
Je ferai ce qu’il y a à faire, mais ne l’expliquerai plus. De toute façon, avant qu’il soit trop tard, je l’avais déjà assez dit.
La « menace de mort » n’existe pas en poésie. Cette Association sera criminelle ou pas, en exprimant la « petitesse haineuse » de notre condition.
À ceci, ma blonde dit que je me revois dans la société.
C’est en effet à revoir.
Appendices
Notes
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[1]
Ce texte inédit se trouve au fonds d’archives Denis Vanier de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec, dans un dossier (387-013-002) avec une copie des épreuves de L’hôtel brûlé, publié en mai 1993. S’il est impossible de le dater avec précision, on peut avancer que « Tatouage » forme vraisemblablement le point de départ de « Teintures, sirops et pastels narcotiques (étude sur le lyrisme de la souffrance dans l’art dermographique) » dont la parution est annoncée dans Hôtel Putama (paru en mars 1991), mais qui ne verra jamais le jour, tout comme le projet d’un livre sur le tatouage qui devait être publié aux Éditions de l’Aurore en 1979. Ce texte, ici reproduit avec la permission de Dylan Vanier, est formé de quatre feuilles photocopiées avec un passage retranscrit au crayon de plomb. Puisqu’il s’agit d’un texte inachevé (son écriture s’interrompt au milieu d’une phrase) et que certains passages sont illisibles, nous n’en publions ici que les deux premiers feuillets, pour lesquels nous avons laissé la ponctuation telle quelle.
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[2]
Ce texte inédit de Denis Vanier a vraisemblablement été lu lors du spectacle « Paroles d’honneur » organisé par l’Union des écrivaines et écrivains québécois (UNEQ), au Café Campus, à Montréal, en février 1994. Il a été publié dans Littoral, le bulletin de liaison de l’Association des poètes du Québec, mais ce périodique, dont la diffusion demeurait plutôt confidentielle, est introuvable. Le dossier où « Justice poétique » se trouve dans le fonds Denis Vanier de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (387-013-002) comprend deux versions manuscrites (datées du 10 et du 22 décembre 1993) et une dactylographiée (non datée) du texte. C’est cette dernière que nous reproduisons, avec l’accord de Dylan Vanier et d’Alain-Arthur Painchaud, et en respectant sa disposition originale. Sans établir une édition critique de « Justice poétique », nous retranscrivons deux passages qui ont été retranchés par Vanier du texte final. La première version manuscrite, intitulée « Intervention Événement-manifeste », débute ainsi : « Si je parle ce soir, c’est parce que j’enseigne et jure qu’un homme de principe meurt sans jamais pardonner. » À la suite de ce qui est placé en exergue dans la dernière version, on lit également cette phrase : « N’oublions jamais que le poète sera toujours et immanquablement le paria de toute structure commerciale. »