Chroniques : Dramaturgie

À l’origine de toutes les origines[Record]

  • Lucie Robert

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  • Lucie Robert
    Université du Québec à Montréal

« L’humanité, qui découvre sans cesse du sens, ne peut toujours inventer de nouvelles formes, et il lui faut parfois investir de sens nouveaux des formes anciennes  », écrivait Gérard Genette. Inscrire des sens nouveaux dans des formes anciennes est peut-être l’enjeu qui réunit les textes dont il sera question ici. Car, au théâtre, et sans doute plus que dans n’importe quel autre genre de l’écriture littéraire, la tradition du palimpseste est bien présente. Depuis deux millénaires, les dramaturges réinventent les mêmes fables, réinterprètent les mêmes événements, reconstruisent les mêmes schémas. Nombreux sont les auteurs qui reviennent sur des textes antérieurs qu’ils relisent, corrigent, récrivent, en plus long ou en plus court. Et que dire du jeu de l’acteur ou de la mise en scène qui sont fondés, dans leur principe même, sur la lecture ou la relecture de textes déjà-là ? Ce qui importe au théâtre, en effet, n’est peut-être pas tant l’originalité de l’histoire racontée que la manière dont on utilise cette histoire pour représenter l’être humain, qu’il soit confronté au monde extérieur ou à son monde intérieur, et pour repenser le sens de son histoire à lui, voire le sens de l’Histoire elle-même. À travers ces multiples redites, apparaît la volonté de remonter aux sources de l’Histoire, pour rappeler à la mémoire des vivants que notre civilisation s’est construite sur un fond de violence. « À l’origine de toutes les origines », est ainsi le titre du prologue de Tristan et Iseult, la pièce de Pierre-Yves Lemieux dont il sera tout de suite question. Comme s’il fallait en arriver à laisser entendre que, malgré la variation de ses formes, et tant que l’humanité sera ce qu’elle est, le monde ne pourra qu’être à son image et à sa ressemblance, c’est-à-dire qu’il ne sera jamais que la répétition de lui-même, et qu’il faut peut-être envisager l’hypothèse selon laquelle l’Histoire n’aura jamais été qu’une succession de palimpestes. Et s’il est un second enjeu qui réunit les textes qui suivent, c’est bien de déployer cette éthique de la répétition dans une esthétique qui repose sur le fragment. Plutôt qu’une action unique qui se déploierait dans le temps, ces textes présentent le plus souvent une succession de tableaux ou de micro-récits dont l’unité résulte de la présence d’un personnage — le Poète, la Mémoire, la Didascalienne, l’Ange annonciateur, voire Gisèle Schmidt —, qui lui donne un cadre, une logique, une cohérence. La narrativité du théâtre contemporain est un phénomène déjà bien établi , mais ses formes n’en finissent plus de bouger. En conséquence, on ne s’étonnera guère de trouver un certain nombre d’appellations, « roman-dit », « conte » ou « nouvelles-théâtre », qui accentuent le brouillage entre les genres et nous invitent à lire encore autrement. Pièce en cinq parties, avec prologue et épilogue, Tristan et Yseult  de Pierre-Yves Lemieux s’ouvre sur le discours du poète Ymir : « Mon conte se déroulera tout juste après le passage des divinités […]. Ce chant que je recrée inlassablement depuis l’origine de toutes les origines,/bien d’autres se l’ont approprié,/au fil des temps,/ sous diverses formes,/sous divers noms. » (9) Il ne sera toutefois pas question pour l’auteur de reprendre l’histoire connue « sous d’autres noms », mais au contraire de revenir à une version donnée comme authentique sinon originale, plus proche de la tradition celtique, dont l’auteur reprend les motifs tout en les développant. Parti à la recherche de « celle à qui appartient ce cheveu d’or » (32), que le roi Marc’h entend épouser, Tristan doit d’abord mener deux combats : tuer le monstre, le gardien de l’île verte, puis …

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