Même ceux et celles qui ne sont pas familiers avec son oeuvre connaissent l’activité d’Alonzo dans le champ littéraire ; celle-ci fut écrivaine (elle a publié son premier texte littéraire, Geste, en 1979, aux Éditions des femmes), éditrice (aux Éditions Trois, à la revue Trois), et animatrice d’un festival littéraire se tenant à Laval au mois d’août de chaque année (Festival de Trois), sans compter qu’elle a longtemps exercé la critique littéraire (notamment à La Vie en rose et à La Nouvelle Barre du jour). Ses textes commandent une lecture avisée et volontaire, la classant parmi les écrivains de la sphère restreinte. En effet, son écriture est défamiliarisante (André Brochu parle d’un « langage déroutant » [89]), les énoncés fuyant le modèle phrastique du « bon usage ». Ce bref portrait nous en convainc : Les secrets de la Sphinxe était nécessaire. Deux textes-témoignages ouvrent le recueil. D’abord celui d’Hélène Cixous, puis celui de Catherine Mavrikakis. La première, sous le titre « Appels », souligne le paradoxe entre la condition d’immobilité à laquelle est condamnée l’écrivaine et le caractère mobile et fluide de son écriture et de sa pensée. Ainsi vue, l’impossibilité du mouvement serait le moteur même de la création et de l’écriture : « Elle invente la marche sur papier, sur le papier ça marche ça grimpe, grave, marque. » (17) L’écrivaine est sculpture, son texte est Geste ; il donne ainsi à déchiffrer « la lecture du corps » (18). Ce motif de la marche (tout comme celui de la sculpture) figure aussi dans le texte de Mavrikakis, où le rire se fait joyeusement entendre. Dans un rêve, celle-ci prévient l’autre : « Tu ne devrais plus marcher encore sur les eaux, il te faut arrêter les miracles, cela chuchote derrière nous, il y a comme un murmure, […] tu dois faire attention. » (19) La marche-écriture s’avère ici un pouvoir transcendantal — l’écriture étant le médium permettant de dépasser l’immobilité, et les lettres, le meilleur moyen de rejoindre l’autre par-delà l’espace, à défaut de le rejoindre physiquement. En ce sens, l’écriture est indéniablement salvatrice. Mavrikakis rapporte qu’elle a réellement été atteinte par les mots d’Alonzo : la lectrice qu’elle a d’abord été, avant de devenir son amie, a reconnu en elle celle qui écrivait « au nom de toutes les [s]iennes » (20). Un texte d’Alonzo, « Le jardin d’Héliane », précède les analyses critiques. Placé sous le signe de la mère — de sa disparition —, ce texte parle de vie et mort du livre. Un ouvrage se vit d’abord au jardin, parmi les fleurs et le chat — tous deux nommés bonheur —, puis il s’écrit, et enfin il revient au jardin où on le lit (« Entre le livre et moi, entre mon livre et moi s’installera alors bien confortablement le nouveau lecteur la nouvelle lectrice dans sa chaise longue au fond du jardin où le livre mon livre naît pour la première fois » [28]). Par-delà les mots et les végétaux, l’écriture et la lecture font communion dans le bonheur de vivre. Cet inédit est suivi d’un entretien que l’auteure accordait à Janine Ricouart en 2002, dans lequel elle aborde la genèse de certains de ses livres. Les diverses études critiques dressent un portrait de l’écriture d’Alonzo, qui repose en grande partie sur l’écriture elle-même, le soi, la révélation de la vulnérabilité que ce regard introspectif entraîne, même lorsque porté sur l’autre, le dialogue qui s’ouvre avec sa présence et la richesse qu’il constitue, puisque cet autre est destinataire du récit de soi. Lucie Lequin fait ressortir à …
Écrire l’incontournable[Record]
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Isabelle Boisclair
Université de Sherbrooke