Chroniques : Dramaturgie

La vie au jour le jour[Record]

  • Lucie Robert

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  • Lucie Robert
    Université du Québec à Montréal

Le vingtième siècle aura connu la transformation radicale de ce que Jean-Pierre Ryngaert appelle « le territoire ordinaire du texte de théâtre  » avec la remise en question des genres, l’éclatement de l’action dramatique, la problématisation de la notion de personnages. Les assises de l’écriture dramatique ont été secouées en profondeur. La tentation est forte, dès lors, de se réfugier dans les diverses formes que prend la narrativité moderne dans l’espoir de trouver une nouvelle boussole pour explorer un univers fondé, dans son essence, sur la gestion de l’espace. Toutefois, force est de constater que cette narrativité, utilisée en lieu et place de l’action dramatique, selon des modalités fréquemment empruntées au roman, opère elle aussi en eaux troubles. Narrer plutôt que montrer était déjà une transformation d’importance. Narrer le vide, le quotidien et l’intime est déjà autre chose que raconter une histoire : Aux extrêmes, on trouve ainsi le silence ou encore une parole pléthorique qui remplit l’espace à elle seule, parole vide qui construit des thèmes sur un mode quasi musical. Entre les deux, on trouve de plus en plus souvent des textes construits sur de tout petits événements de la vie quotidienne, fondement de l’exploration de la condition humaine en ce qu’elle a de plus fondamental ou, à l’inverse — mais c’est aussi la même chose —, des textes qui posent les questions essentielles, mais n’y répondent pas faute de pouvoir atteindre les vérités profondes de cette même vie quotidienne. «Je suis sûre que vous avez déjà imaginé la mort de quelqu’un que vous aimez pour vérifier si ça vous fait pleurer. Pour moi, c’est ça le théâtre : c’est vérifier si je suis un vrai être humain. » Ainsi nous accueille Évelyne de la Chenelière, en quatrième de couverture de Théâtre , ouvrage qui réunit quatre pièces, toutes mises en scène par Daniel Brière entre 1999 et 2003, qui explorent, chacune à sa manière, les diverses facettes de l’intimité. Dans cette écriture dont les critiques ont maintes fois noté la fraîcheur, l’auteure revient à des fables dont le caractère conventionnel ne cesse d’étonner, abordant les problèmes fondamentaux de la vie quotidienne à partir de la relation intime que les personnages entretiennent avec l’existence, ce qui nous renvoie à la naissance, aux rapports amoureux, voire à la mort. Toutefois, le traitement qu’elle en propose, dans une architecture toujours raffinée, revitalise les lieux communs en brouillant chaque fois la frontière entre le réel et le fictif au point où le lecteur ne sait plus toujours très bien où il en est et en construisant des histoires « de détails qui viennent tout faire basculer » (61). Écrite en collaboration avec Daniel Brière, Henri & Margaux a été créée le 23 octobre 2002 au Nouveau Théâtre Expérimental de Montréal. À leur entrée en scène, Henri et Margaux s’embrassent : « Est-ce que tu trouves ça plus agréable quand il y a du monde qui nous regarde ? » (111) La question est claire et pose d’entrée de jeu celle de la relation entre le théâtre et la vie intime, entre la vie privée et la vie professionnelle. Chaque personnage s’adresse ensuite au public et se présente. Henri : « J’ai été acteur et maintenant je fais des meubles. » (111) Margaux : « J’ai déjà écrit des pièces de théâtre et maintenant j’enseigne le français. » (113) Leur histoire s’articule autour d’un événement, l’anniversaire d’Henri qui célèbre ses quarante ans, mais elle se vit dans un temps non linéaire entrecoupé de prolepses et d’analepses. Voilà onze ans qu’ils se connaissent : « J’ai rencontré Henri en faisant du théâtre. J’étais …

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