Chroniques : Poésie

Sous le signe de Miron[Record]

  • André Brochu

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  • André Brochu
    Université de Montréal

Huit ans après sa mort, Gaston Miron est devenu la référence incontournable de nos lettres. Pourtant, le projet québécois qu’il a porté à bout de bras s’enlise, invalidé par les vastes mouvements de peuple où ne surnagent que les cultures les plus fortes. Les petites collectivités comme la nôtre, soumises à un multiculturalisme dévastateur, ne trouvent plus que dans leur passé, à l’état de souvenir, la cohésion qui les animait. Miron n’est le symbole du Québec que parce qu’il a enraciné la foi nationale dans un désespoir et une souffrance démesurés et que ceux-ci donnent finalement son sens à celle-là. Le colloque de l’ACFAS consacré aux récents Poèmes épars  m’incite à commenter ce précieux recueil posthume, dont j’ai salué ailleurs la parution. Deux successeurs de Gaston Miron aux éditions de l’Hexagone, Alain Horic et Jean Royer, racontent leur accompagnement, pendant plusieurs décennies, du grand poète qui fut aussi un incomparable animateur de nos lettres. Enfin, Guy Champagne réédite l’oeuvre poétique d’Eudore Évanturel, dont il nous a déjà procuré l’édition critique, et dédie cette version, allégée de tout l’appareil de notes, « à Gaston Miron  ». Dans les poèmes de L’homme rapaillé , on peut faire une distinction entre les très grands textes et les autres. Ces autres ne sont jamais médiocres, ils sont même souvent des réussites, mais les très grands textes ont quelque chose de proprement génial. « La marche à l’amour », « La batèche », « La vie agonique », « L’amour et le militant » nous habitent comme les meilleurs poèmes de Nelligan, de Saint-Denys Garneau ou d’Alain Grandbois. « Poèmes de l’amour en sursis » et « J’avance en poésie » contiennent aussi des textes tout à fait remarquables. Bref, presque tout, dans ce recueil, est marquant. Les quelques autres poèmes qui accompagnent ce noyau énorme, issus pour la plupart de « Deux sangs » et de « Courtepointes », font entendre l’accent inimitable de Gaston Miron, mais n’accèdent pas à la plénitude de forme et de sens des textes précités. Il en va ainsi, me semble-t-il, des Poèmes épars. Ils sont un complément très précieux de L’homme rapaillé, mais ils n’ont ni la densité ni la richesse de ses grands poèmes. Pour reprendre le titre de mon article du Devoir sur ce recueil, « De paille et de tonnerre  », je dirais qu’ils font entendre le tonnerre, c’est-à-dire cet accent prodigieux de la poésie mironienne, mais de façon intermittente et un peu lointaine ; pour le reste, il y a la paille, avec laquelle le poète construit l’homme et sa présence de tonnerre ; la paille qui est le matériau fragile dont se constituent nos existences, et que Gaston Miron assemble en constructions de langage accueillantes, d’un accès sans doute plus facile que ne le sont ses grands textes. À ce titre, les Poèmes épars sont une introduction très utile à ce qui fait l’essentiel de L’homme rapaillé, et la confirmation que ces grandes réussites n’ont rien d’un hasard, mais s’appuient sur un travail du langage et de la pensée (au sens le plus élevé du mot pensée) qui comporte des étapes, des états variables et, pour ainsi dire, de l’inachevé. Toutefois, je ne crois pas que les poèmes épars auraient pu, à force d’être fignolés, atteindre la même densité d’inspiration que les meilleurs textes de L’homme rapaillé. Leur conception les voue à une réussite d’un autre ordre, plus modeste, parce qu’ils sont moins porteurs de totalité, signifient dans moins de directions simultanées, individuelles et collectives. L’individuel y prédomine — de là la présence voyante des noms propres, ceux …

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