Chroniques : Poésie

Solitaires dans la foule[Record]

  • Gabriel Landry

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  • Gabriel Landry
    Collège de Maisonneuve

Bon sang de bonsoir ! Un livre de poèmes qui frise les trois cents pages ! L’amateur d’ordinaire tenu au régime des plaquettes tient sa revanche. Je veux dire sur ses amis et sa blonde, qui dévorent, au temps des vacances, à l’ombre du parasol ou sur la galerie du chalet, de toujours imposants romans. Un fort volume a quelque chose d’estival en soi. Mais la plaquette et la plage sont inconciliables. La plaquette appelle la chambre ou la cellule. Or, voilà un livre de poésie que le soleil ne desquamera pas, qu’on pourra déposer sur le sable sans qu’il parte au vent, qui nécessitera l’usage d’un signet, car deux cent quatre-vingt-quinze pages, tout de même, on ne lit pas ça d’une traite. Un livre qui fera donc de vous un lecteur anonyme parmi la foule lectrice des vacances de la construction. Ainsi devisais-je bêtement, encore à l’étonnement d’avoir reçu Il y a quelqu’un  ?, le nouveau titre d’Hélène Monette, qui pesait aussi lourd dans ma main que n’importe quelle grosse affaire de Marie Laberge. La dernière fois que le poème-grenouille s’était fait aussi gros que le roman-boeuf, ça remontait à Une certaine fin de siècle, du vaillant Claude Beausoleil, avec son refrain-avertissement désormais célèbre nous reviendrons comme des Nelligan. Je n’en étais pas revenu. Le monde qu’Hélène Monette donne à voir dans Il y a quelqu’un ? est un monde dévasté, une planète de culs-de-sac et de chemins impraticables, un « monde sous zéro » (119). Topographie du désenchantement que précisent les intitulés des diverses sections du livre : « Impasse des Confettis », « Place du Déluge », « Autoroute du Système », « Ponts de glace », « Impasse des Splendeurs ». La relative synonymie de ces titres suggère assez qu’on ne saurait, dans cet univers monochrome, changer le mal de place. Le motif récurrent du train, métonymie du voyage, bien sûr, mais aussi de la vie qui passe (« et le train s’en vient/maudit train d’enfer », [115]), figure la fuite perpétuelle et l’absurdité de toute mobilité, car « nous avançons nowhere » (263) et : « il n’y a pas de gare/qu’un train fou dans la nuit » (116). Des quatre coins de cet univers où « il n’y a plus rien » (159), où « l’Arche de Nobody est une banque qui prend l’eau » (163), Monette élève une voix prolixe où s’entremêlent plaintes et revendications, cris et chuchotements, appels d’air et miserere, élans lyriques et boutades décapantes. Le copieux récitatif a quelque chose de paradoxal, car si, d’un côté, il cherche à exprimer l’absence, la solitude (amoureuse) ou le manque, de l’autre il vient saturer de paroles ce monde dépeuplé. On me dira qu’il s’agit d’un renversement calculé et symbolique, le chant du poème venant combler tous les vides. Je reste d’avis qu’on aurait dû presser davantage cette éponge gorgée d’eau. Ce n’est pas la longueur du texte qui est en cause, c’est sa redondance. Les infatigables attaques contre Big Brother, le Système, l’américanisme, si elles brillent souvent par un sens remarquable du décapant et du satirique, finissent, à force de redites, par se diluer. Elles ne sont pas sans verser, ça et là, dans un registre qu’il vaudrait sans doute mieux laisser aux poètes de brousse ou aux Francs-tireurs de Télé-Québec, ces grands singes de la Protestation. Dans Il y a quelqu’un ?, en tout cas, la veine contestataire a tendance à réduire le poème à la nomenclature de ses cibles. Je dis poème, je devrais dire poésie. Le livre donne en effet l’impression d’une seule …

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